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chaleur du combat, un éclat de pierre le frappa. à la jambe gauche, et un boulet de canon au même moment lui cassa la jambe droite. Les Navarrois le voyant blessé perdirent cœur, et se rendirent à discrétion. Les Français, traitèrent bien les prisonniers, et sur-tout Ignace dont ils admiroient la valeur; ils l'emportèrent au quartier de leur général, puis l'envoyèrent dans une litière au château de Loyola, qui n'est pas fort éloigné de Pampelune.

A peine y fut-il arrivé, qu'il sentit de grandes douleurs. On trouva qu'il y avoit des os hors de leur place, ou parce qu'ils avoient été mal rejoints, ou parce que le mouvement les avoit empêchés de se bien reprendre. Les chirurgiens jugèrent donc qu'il falloit casser la jambe de nouveau, Ignace se mit entre leurs mains, et ne fit paroître aucune foiblesse durant une si cruelle opération; mais il lui vint une fièvre violente, et accompagnée de symptômes dangereux. Bientôt il tomba dans une extrême langueur, et les médecins lui déclarèrent qu'il ne lui restoit plus que peu de jours à vivre. Il reçut les sacremens la veille de la fête de saint Pierre et de saint Paul, et l'on crut qu'il ne passeroit pas la nuit. Il guérit cependant contre toute apparence; il regarda comme miraculeux le rétablissement de sa santé, et l'attribua à l'intercession de saint Pierre, pour lequel il avoit toujours eu beaucoup de dévotion.

Mais cette guérison inespérée ne lui fit pas perdre l'esprit du monde. Sa jambe, qui avoit été mal pansé la première fois, ne le fut pas si bien la seconde, qu'il n'y restât une difformité notable. C'étoit un os qui avançoit trop au-dessous du genou, et qui l'empêchoit de porter la botte

-bien tirée. Comme il aimoit la bonne grâce, il résolut de se faire couper cet os. Les chirurgiens lui représentèrent inutilement que l'opération seroit douloureuse. Il ne voulut ni qu'on le liât, ni qu'on le tînt. On lui coupa l'os jusqu'au vif, "sans qu'il changeât de visage. Une de ses cuisses -s'étant aussi retirée depuis sa blessure, il se mit comme à la torture durant plusieurs jours, en se faisant tirer violemment la jambe avec une machine de fer; mais il fut impossible de l'étendre à la longueur de l'autre; ainsi sa jambe droite demeura toujours un peu plus courte.

Après l'opération faite à son genou, il fut obligé de garder le lit, quoique jouissant d'ailleurs d'une bonne santé. Comme il s'ennuyoit beaucoup, il demanda quelques romans pour s'amuser. Il avoit toujours été passionné pour ces sortes de livres, ainsi que pour tous ceux qui traitoient de la chevalerie errante. Ceux qui étoient auprès de lui n'ayant point trouvé de romans sous leurs mains, lui apportèrent la vie de Jésus Christ, et celle des Saints. Il les lut d'abord uniquement pour passer le temps; mais il y prit goût peu à peu, et s'y attacha de telle sorte, qu'il y employoit les journées entières. Il ne pouvoit se lasser d'admirer dans les Saints l'amour de la solitude et de la croix. Il considéroit avec étonnement, parmi les anachorètes, des hommes de qualité couverts de cilices, exténués de jeûnes, ensevelis tout vivans dans des cabanes et dans des grottes; il se disoit ensuite à lui-même : « Ces hommes étoient de la » même nature que moi; pourquoi ne ferois-je » pas ce qu'ils ont fait ? » En même temps il formoit la résolution de les imiter; il se proposoit de visiter les lieux saints, et de s'enfermer dans un ermitage; mais ces bons mouvemens s'éva

nouissoient bientôt; sa passion pour la gloire revenoit; il étoit encore distrait par une inclination secrète qu'il se sentoit pour une dame de la cour de Castille. Il s'occupoit à ce sujet de mille pensées ambitieuses. Lorsqu'il étoit las de rêver, il se remettoit à lire. Enfin, à force de réfléchir sur ce qu'il lisoit, il comprit que rien n'étoit plus frivole que cette gloire mondaine dont il étoit si épris, et qu'il n'y avoit que Dieu qui pût contenter le cœur humain.

Cette perplexité et cette agitation durèrent quelque temps. Il observa cependant que les diverses pensées dont il étoit combattu avoient des effets différens. Celles qui venoient de Dieu le remplissoient de consolation, et laissoient dans son ame la paix et la tranquillité. Les autres à la vérité lui causoient d'abord un plaisir sensible, mais elles portoient ensuite dans son cœur le trouble et l'amertume. Il apprit de là à distinguer l'esprit de Dieu de l'esprit du monde, et il en tira une règle sûre pour la vie spirituelle qu'il mit depuis dans ses Exercices.

Il prit donc une dernière résolution de marcher sur les traces des Saints. Il commença à traiter son corps avec la plus grande rigueur. Il se levoit toutes les nuits pour pleurer ses péchés dans l'obscurité et dans le silence. Etant une nuit prosterné devant une image de la Vierge avec des sentimens extraordinaires de ferveur, il s'offrit à Jésus-Christ par la sainte Vierge même, se consacra au service du fils et de la mère, et leur jura une fidélité inviolable. Sa prière finie, il entendit un grand bruit: la maison trembla, toutes les vitres de sa chambre se cassèrent, et il se fit dans la muraille une assez large ouverture, qu'on y voit encore, dit le dernier auteur de sa vie,

Dieu a pu marquer par-là qu'il agréoit le sacrifice de son serviteur; peut-être étoit-ce un effet de la rage du démon, qui se voyoit enlever sa proie, Une autre nuit, Ignace vit en songe la sainte Vierge tenant l'enfant Jésus entre ses bras, et tout environné de lumière (1). Cette vision, qui le remplit de joie, purifia son cœur, et effaça de son esprit toutes les images des voluptés sensuelles.

Dom Martin Garcias, son frère aîné, qui par la mort de Dom Bertram étoit devenu seigneur de Loyola, fit tous ses efforts pour le retenir dans le monde, et pour lui persuader de ne point renoncer aux avantages qu'il pouvoit s'y promettre : Mais Ignace avoit pris définitivement son parti. Lorsqu'il fut guéri, il monta à cheval, sans autre dessein en apparence que d'aller voir le duc de Najare, qui avoit souvent envoyé savoir des nouvelles de sa santé, et qui demeuroit à Navarret, petite ville voisine. Il renvoya de là, sous quelque prétexte, deux domestiques qui l'avoient accompagné, et sa visite faite, il s'en alla seul à Monserrat. C'est une célèbre abbaye de Bénédictins, bâtie sur une montage escarpée, qui a environ quatre lieues de circonférence, sur deux lieues de largeur, et éloignée d'environ une journée de Barcelone. Elle avoit été fondée, en 880, pour des religieuses, par les comtes de Barcelone; mais on y mit des moines en 990. Plusieurs rois d'Espagne l'ont depuis considérablement augmentée; on y voit une image miraculeuse de la sainte Vierge, qui y attire beaucoup de pélerins.

Il y avoit dans ce monastère un religieux d'une éminente sainteté, qui se nommoit Jean Chano(1) Voyez Bouhours, Baillet, etc.

nes. Il étoit Français de nation, et avoit été grand-vicaire de Mirepoix avant sa retraite; il vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-huit ans dans une rigoureuse mortification. Jamais il ne mangeoit de viande; il donnoit à la prière une grande partie des nuits, et partageoit le reste de son temps entre les exercices de la contemplation et le service du prochain. Enfin l'Espagne admiroit en lui un modèle accompli de toutes les vertus chrétiennes et monastiques. Ce fut à ce docteur expérimenté qu'Ignace s'adressa; il lui fit une confession générale de ses péchés, qu'il interrompit souvent par ses soupirs et par ses larmes. Il se consacra ensuite spécialement au Seigneur par le vœu de chasteté perpétuelle.

En arrivant au village qui est au pied de la montagne de Monserrat, il avoit acheté un habit de grosse toile, une ceinture et des sandales de corde, avec un bourdon et une calebasse. Son dessein, après avoir satisfait sa dévotion; étoit de faire un pélerinage à Jérusalem. Il parut à l'abbaye, déguisé sous son habillement de pélerin. Son confesseur, auquel il communiqua le plan d'austérités qu'il s'étoit formé, l'approuva et le confirma dans ses saintes résolutions. Ayant communié de grand matin le jour de l'Annonciation de l'année 1522, il partit de Monserrat dans la crainte d'être reconnu. Il pendit son épée à un pilier proche de l'autel, pour marque qu'il renonçoit à la milice séculière. Il laissa son cheval au monastère, et n'emporta avec lui que les instrumens de pénitence qu'il avoit demandés à son confesseur.

Il marchoit le bourdon à la main, la calebasse au côté, la tête découverte, et un pied nụ; il avoit chaussé son autre pied, qui se sentoit en

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