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core de la blessure dont nous avons parlé. Il se réjouissoit de ne plus porter les livrées du monde, et d'être revêtu de celles de Jésus-Christ. Il avoit donné ses habits à un pauvre: mais celui-ci fut arrêté et mis en prison comme s'il les eût volés. Il fut obligé pour procurer l'élargissement de ce malheureux, de confesser la vérité; mais il ne voulut dire ni son nom, ni sa qualité.

A trois lieues de Monserrat est une petite ville nommée Manrèze, où il y a un couvent de Dominicains, avec un hôpital pour les pèlerins et les malades. Ignace alla droit à cet hôpital; il eut une grande joie de se voir au nombre des pauvres, et de pouvoir faire pénitence sans être connu. Il commença par jeûner toute la semaine au pain et à l'eau, excepté le dimanche, qu'il man geoit un peu d'herbes cuites, auxquelles il mêloit de la cendre. Il ceignit ses reins d'une chaîne de fer, et prit un cilice sous l'habillement de toile dont il étoit revêtu. Trois fois par jour il se donnoit la discipline; il dormoit peu, se couchoit à terre. Chaque jour il entendoit le service divin, prioit plus de sept heures à genoux, et participoit tous les dimanches au sacrement de l'eucharistie. L'amour de l'humiliation égaloit en lui l'amour des austérités. Il affectoit dans sa conduite toutes les manières d'un homme de la lie du peuple; il mendioit son pain de porte en porte, avec un extérieur négligé et dégoûtant. Les enfans le montroient au doigt, lui jetoient des pierres, et le suivoient dans les rues avec de grandes huées. Il souffroit les outrages et les moqueries sans dire un seul mot, se réjouissant en son cœur d'avoir part aux opprobres de la croix. Il triompha d'une tentation causée par un dégoût étrange qui lui vint des ordures de l'hôpital, et par la honte

qu'il ressentit intérieurement de se voir en la compagnie des gueux. A la longue, on prit d'autres sentimens pour cet homme extraordinaire. La connoissance de ce qui étoit arrivé à ce pauvre auquel il avoit donné ses habits, jointe à sa piété et à cette patience avec lesquelles il supportoit les plus indignes traitemens, lui attirèrent l'admiration et le respect de tous les habitans de Manrèze.

Pour éviter le piége de la vaine gloire, il alla se cacher à six cents pas de la ville, dans une caverne obscure, creusée dans le roc, et ouverte du côté d'une vallée solitaire qu'on appelle la vallée de Paradis; il ne put y entrer qu'en perçant les broussailles qui en fermoient les avenues et qui en bouchoient l'ouverture: là, il redoubla ses austérités, et il les porta si loin, que sa santé ne put y résister. On le trouva un jour à demi-mort à l'entrée de sa caverne, et on le mena à l'hôpital de Manrèze.

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Ignace avoit joui depuis sa conversion d'une paix profonde; mais Dieu l'éprouva de la manière la plus terrible. Il fut agité par mille craintes intérieures, et dévoré de scrupules; il ne trouva plus ni douceur dans la prière, ni goût dans les pratiques de la pénitence, ni remèdes dans l'usage de la discipline, ni consolation dans les sacremens. Son ame, accablée de tristesse, trouva comme inondée d'amertume. Les Dominicains, touchés de compassion pour son état, le retirèrent chez eux par charité; mais il tomba dans une noire mélancolie. Il s'imaginoit pécher à chaque pas qu'il faisoit. Souvent il étoit près de s'abandonner au désespoir. Il prioit cependant toujours, dans la pensée que les épreuves sont des moyens de salut dans la main de Dieu. Pour

obtenir plus sûrement le secours du ciel, il passa sept jours sans prendre aucune nourriture, et il auroit poussé son jeûne encore plus loin, si son confesseur ne l'en eût empêché. Peu de temps après, le calme et la paix revinrent dans son ame, et il recommença à goûter ces douceurs spirituelles dont la privation l'avoit laissé dans une sécheresse désolante. Cet état d'épreuve par lequel il avoit passé lui fit acquérir un talent singulier pour guérir les consciences scrupuleuses.

Depuis qu'Ignace eut recouvré la tranquillité intérieure, il fut comblé de plusieurs grâces extraordinaires. Il lui arriva souvent d'avoir des ravissemens et des extases dans la prière; il y reçut aussi de grandes lumières, qui furent accompagnées d'une connoissance sublime des mystères de la religion. Il cachoit aux hommes ces diffé rentes faveurs; mais il découvroit à ses directeurs ce qui se passoit dans son ame, afin de se prémunir contre le danger de l'illusion. Cependant le peuple admiroit sa conduite, et le révéroit comme un Saint; ce qui parut sur-tout par les sentimens qu'il fit éclater dans trois différentes maladies où le serviteur de Dieu étoit tombé à cause de ses austérités. On voyoit alors que le genre de vie qu'il avoit d'abord embrassé, et que les humiliations volontaires qu'il avoit pratiquées, n'étoient venues ni de foiblesse d'esprit, ni d'amour de la singularité; on reconnoissoit qu'en marchant par une voie extraordinaire, il n'avoit que suivre les mouvemens de l'esprit de Dieu.

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Les connoissances surnaturelles qui lui furent communiquées dans l'oraison, avoient principalement pour objet la beauté et l'ordre admirable qui éclatent dans la création de l'univers, le mystère de la sainte Trinité, et cet amour incom

préhensible que Jésus-Christ nous témoigne dans le sacrement de l'eucharistie. Il avoit été jusquelà peu instruit des vérités de la religion; et quand il renonça au monde, il ne savoit que trèsimparfaitement quels devoirs lui imposoit la qualité de chrétien. Nous en avons une preuve dans ce qui lui arriva lorsqu'il se retira à Monserrat. Ayant entendu un Mahometan parler de la sainte Vierge, d'une manière injurieuse, il délibéra si, étant officier, il n'avoit pas le droit de le tuer : mais durant son séjour à Manrèze, l'Esprit-Saint l'instruisit infiniment mieux que n'auroient pu faire tous les livres, et le mit bientôt en état de servir de guide aux autres.

Nous avons observé qu'il ne s'en rapportoit point à lui-même sur les faveurs qu'il recevoit de Dieu. Il ne se conduisoit en tout que par les avis d'un saint religieux dominicain de Manrèze, qui dirigeoit sa conscience, et par ceux de son ancien confesseur de Monserrat, qu'il alloit voir toutes les semaines. Il fut sans doute heureux de tomber dans des mains aussi habiles. L'Espagne avoit de son temps, et eut encore après lui, un grand nombre de pareils guides spirituels, comme on peut s'en convaincre par la lecture des œuvres de Saint-Pierre d'Alcantara, de Jean d'Avila, de Sainte-Thérèse, de Barthélemi des Martyrs, et de Louis de Grenade.

Ignace, qui ne s'étoit d'abord proposé que sa perfection particulière, se sentit embrasé d'un désir ardent de travailler à la sanctification des autres. Touché de compassion pour l'aveuglement des pécheurs, et considérant que c'est dans le salut des ames, rachetées par le sang de JésusChrist, que la gloire de la majesté divine éclate davantage, il se dit à lui-même : « Ce n'est point

> assez que je serve le Seigneur, il faut que tous » les cœurs l'aiment, et que toutes les langues le » bénissent. >>

Dès qu'il eut tourné ses pensées vers le prochain, il sortit de sa solitude, quelque chère qu'elle lui fût; et de peur d'éloigner ceux qu'il vouloit attirer à Dieu, il corrigea ce que son extérieur avoit d'affreux et de rebutant. Il modéra aussi ses austérités excessives: il se mit ensuite à exhorter les pécheurs à la pénitence et à la pratique de la vertu. Ce fut alors qu'il composa son livre des Exercices spirituels, qu'il retoucha dans la suite, et qu'il publia à Rome en 1548 (a).

(a) Constantin Cajetan, abbé du Mont-Cassin, prétend que le livre des Exercices spirituels fut d'abord écrit par Garcias Cisneros ou Swan, abbé de Monserrat, et qu'ensuite saint Ignace se l'appropria. Il est vrai que l'abbé bénédictin a composé un livre qui porte le même titre ; mais il est évident qu'il diffère entièrement de celui de saint Ignace. Que l'on compare l'un et l'autre, et l'on n'aura plus le moindre doute sur cet article. L'ouvrage de Cisneros est plein d'onction et de maximes admirables, mais présentées sous la forme scolastique, et embarrassées dans des divisions et sous-divisions inutiles. On ne sauroit faire le même reproche aux méditations de saint Ignace ; le plan en est totalement différent, et toutà-fait nouveau.

Saint Ignace donne pour fondement à ses Exercices une méditation fort touchante sur la fin de l'homme, pour montrer que l'on ne doit rien estimer ou rechercher que ce qui peut contribuer à la gloire et au service de Dieu. Il fait connoître les effets généraux du péché, par les méditations sur la chute des anges et de l'homme, sur le châtiment futur du péché, et sur les dernières fins. Pour montrer les désordres particuliers des passions, et pour en purifier le cœur, il nous représente deux étendards, l'un de Jésus-Christ, l'autre du démon, et tous les hommes qui se rangent sous ces différens étendards. Son but est encore en cela de nous exciter à nous attacher au parti de Jésus-Christ avec les ames généreuses; il propose ensuite ce que ce choix exige, et fait voir combien nous sommes obligés d'exprimer en nous la parfaite ressemblance du Sauveur, par les trois degrés d'humilité, par les méditations sur les mystères de la vie de Jésus-Christ, par le choix d'un état de vie, et le règlement des fonctions qui

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