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Les personnes pieuses avoient jusque-là aimé la retraite, à l'exemple de Jésus-Christ et des Saints de tous les siècles. De tout temps on avoit connu la nécessité de la méditation, et la manière de la faire; mais Ignace, par une méthode nouvelle et facile, a mis cet exercice à la portée de tous les hommes. Il a réduit comme en art de la conversion du pécheur, qu'il conduit par degrés à la plus haute perfection. Il dit dans son livre qu'on ne doit jamais quitter la méditation, ni en abréger le temps à cause de la sécheresse qu'on y éprouve; qu'il ne faut point faire de vœux dans les mouvemens d'une ferveur subite; qu'il est nécessaire d'attendre et de consulter avant que de s'y déterminer; qu'outre l'examen général de conscience qui se fait tous les jours, on doit en faire un particulier sur sa passion dominante, ou sur les meilleurs moyens d'acquérir quelque vertu que l'on n'a pas. Il établit cette excellente. maxime (2): « Quand Dieu nous a marqué une » voie, nous devons la suivre fidellement sans » penser à une autre, sous prétexte qu'elle est plus » facile et plus sûre. C'est un des artifices du dé» mon de représenter à l'ame quelque état, saint » à la vérité, mais qui lui est impossible, ou du » moins différent du sien, afin qu'elle se déplaise » ou se relâche dans l'état où Dieu l'a placée, et » qui est le meilleur pour elle; de même il lui re» présente d'autres actions comme plus saintes et › plus utiles, pour qu'elle se dégoûte de ses occu

sont attachées. Dans la méditation sur les souffrances de Jésus-Christ, il enseigne la douceur, la charité, la patience dans les contradictions, etc.; dans celles qui ont pour objet ses mystères glorieux et le bonheur du divín amour, il nous apprend à unir intimement nos cœurs à Dieu. (Voyez Bartoli, Bouhours, etc.)

(2) Exercices spirituels, max. 2, 3.

pations présentes. » En 1548, le pape Paul III approuva les Exercices spirituels de saint Ignace, comme un livre plein de l'esprit de Dieu, et fort utile, tant pour l'édification que pour l'avancement spirituel des fidèles.

Ignace, après avoir demeuré dix mois à Manrèze, résolut d'en sortir. Les larmes de ses amis. ne furent point capables de l'y retenir. Il voulut partir seul, et refusa l'argent qu'on lui offrit pour son voyage. Etant arrivé à Barcelone, il s'embarqua pour l'Italie, et après cinq jours de navigation, il aborda à Gaète. Il alla successivement à Rome, à Padoue et à Venise. Il voyageoit seul, à pied, jeûnant tous les jours, et mendiant selon sa coutume. Il célébra la fête de Pâques à Rome; de là il se rendit à Venise. Il s'y embarqua sur la capitane, qui faisoit voile pour l'île de Chypre, où la république envoyoit un nouveau gouverneur. Il y avoit dans le vaisseau des gens d'une vie fort débordée, qui commettoient des péchés énormes presqu'à la vue de tout le monde. Les matelots ne faisoient nul exercice de religion, et l'on n'entendoit parmi eux que des paroles sales et impies. Ignace ayant inutilement employé les voies de douceur pour les corriger, leur fit de sévères réprimandes, et les menaça de la sévérité des jugemens de Dieu. Cette liberté leur déplut, et pour se défaire d'un censeur si importun, ils résolurent tous ensemble de gagner une île déserte, et de l'y laisser; mais leur dessein ne réussit pas car lorsqu'ils approchoient de la côte où ils vouloient le débarquer, il vint un coup de vent qui repoussa le vaisseau. Lorsqu'on eut abordé dans l'île de Chypre, on trouva dans le port un navire rempli de pèlerins qui étoit prêt à faire voile. Ignace y entra, et après

quarante-huit jours de navigation, depuis son départ de Venise, il arriva enfin à Jaffa (b) le dernier août 1525; il prit de là le chemin de Jérusalem, et s'y rendit le 4 de Septembre avec les autres pélerins.

La vue des lieux saints le remplit de la plus grande joie, et en les visitant, il éprouva les plus vifs sentimens de piété et de componction. Il eût bien voulu ne les quitter jamais, et s'y occuper à travailler à la conversion des 'Mahometans; mais le provincial des Franciscains, à qui le saint siége avoit donné une pleine autorité sur tous les pélerins, lui ordonna de renoncer à son dessein. Il obéit, après avoir toutefois visité de nouveau quelques-uns des lieux saints, et revu au Mont des Olives les vestiges que Notre-Seigneur laissa sur la pierre en montant au ciel. S'étant rembarqué pour l'Europe, il arriva à Venise sur la fin du mois de Janvier de l'année 1524; il en partit pour aller à Gênes, d'où il se rendit à Barcelone.

Animé du désir de se consacrer au service des autels, et de travailler au salut des ames, il forma le dessein d'étudier la grammaire. Il s'adressa pour ce sujet à Jérôme Ardebale, qui enseignoit publiquement à Barcelone. Une dame vertueuse nommée Isabelle Rosel, se chargea de pourvoir à sa subsistance. Il avoit alors trente-trois ans. Il est incroyable combien il lui en coûta de peines pour dévorer les difficultés attachées à l'étude des premiers élémens. Les occupations de sa jeunesse, et les exercices de la vie contemplative, le rendoient peu propre à plier son esprit aux bagatelles de grammaire. Comme il étoit tout absorbé en Dieu, il oublioit aussitôt ce qu'il avoit lu. Par exemple, au lieu de conjuguer le verbe (b) L'ancienne Joppé.

amo, il faisoit des actes d'amour de Dieu. « Je » vous aime, mon Dieu, disoit-il, vous m'aimez; » aimer, être aimé, et rien davantage. » Gependant, à force de se vaincre, il vint à bout de faire quelques progrès. Quelques personnes lui conseillèrent de lire les Ouvrages d'Erasme, et surtout le Soldat chrétien (c). ll le fit; mais il trouvoit que cette lecture laissoit son cœur dans la sécheresse. Il ne laissoit passer aucun jour sans lire quelque chose du livre de l'Imitation. C'étoit là qu'il trouvoit de quoi nourrir et augmenter la ferveur de son ame. L'utilité qu'il retira de ce livre admirable, le lui fit recommander fortement à tous ceux qui avoient du zèle pour leur sanctification.

Ignace logeoit chez une femme vertueuse nommée Agnès Paschal. Jean, fils de cette femme, encore jeune, mais sage et dévot, se levoit quelquefois la nuit pour observer ce que faisoit Ignace dans sa chambre, et il le voyoit tantôt à genoux, tantôt prosterné, le visage toujours en feu, et souvent baigné de larmes. Il l'entendoit soupirer profondément, et répéter ces paroles : « O Dieu, » mon amour, et les délices de mon ame, si les » hommes vous connoissoient, ils ne vous offen» seroient jamais! Mon Dieu, que vous êtes bon » de supporter un pécheur comme moi ! »

Il menageoit si bien son temps, qu'il en trou

(c) Erasme écrivit le Soldat chrétien à la prière d'une dame vertueuse qui le lui avoit demandé pour son mari, engagé dans l'état militaire, et d'une vie très-corrompue. On sait que cet auteur est célèbre pour sa belle latinité. Il ya dans ses ouvrages, sur-tout dans sa paraphrase de l'oraison dominicale, et dans ses traités de piété, d'exellentes maximes : mais on n'y trouve point le langage du cœur ; on doit observer d'ailleurs qu'il n'est pas toujours exact, et qu'on doit le lire avec précaution. Saint Ignáce l'avoit cette précaution, et il la recommanda depuis à ses disciples.

Tome VI.

Y*

voit encore pour travailler à la conversion des pécheurs. Il rétablit la réforme parmi les religieuses du monastère des Anges, dont la conduite étoit fort scandaleuse. Ceux du dehors qui avoient part au désordre en furent extrêmement irrités; ils s'en vengèrent sur Ignace, en le maltraitant de la manière la plus cruelle.

Le Saint ayant étudié deux ans à Barcelone, alla faire son cours de philosophie à l'université d'Alcala, qui avoit été fondée depuis peu par le cardinal de Ximenès, et qui étoit très-florissante. L'envie d'apprendre lui fit embrasser plusieurs matières à la fois; mais cette multiplicité mit de la confusion dans ses idées, et il ne retenoit rien, quoiqu'il étudiât avec la plus grande ardeur. Il se logea dans un hôpital, où il ne vivoit que d'aumônes. Il étoit vêtu pauvrement, ainsi que les quatre compagnons qu'il s'étoit associés dans ses bonnes œuvres. Il catéchisoit les enfans, et avoit beaucoup de talent pour leur inspirer l'amour de la vertu. Il tenoit dans l'hôpital des assemblées de charité, et convertissoit par ses discours des pécheurs endurcis dans le crime depuis longtemps. Une des plus célèbres conversions qu'il opéra, fut celle d'un homme fort libertin qui possédoit une des premières dignités de l'église d'Espague.

Si les choses extraordinaires qu'il faisoit lui attirèrent des admirateurs, elles lui suscitèrent aussi des ennemis. Quelques personnes l'accusèrent de magie; d'autres le représentèrent comme un hérétique, et comme un homme attaché au parti de certains visionnaires qui s'appeloient Illuminés, et qui venoient d'être condamnés en Espagne. Les choses en vinrent à un point, qu'il fut déféré à l'inquisition: mais son affaire ayant

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