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fils, et il vous seroit bien plus avantageux dé > vous considérer comme étant au-dessous de >> toutes les créatures; cela sert efficacement pour >> acquérir l'humilité. » Sans cesse il marchoit en la présence de Dieu, concentré dans son néant et sa bassesse (6). « Devenez petit, disoit-il à un » frère, renoncez aux satisfactions des sens, dé» gagez-vous des vaines inquiétudes du siècle, et >> vous trouverez la paix du cœur (7). » Il dit à un autre qui se plaignoit de n'être point encore parvenu à la perfection de saint Antoine : « Ah! » si j'avois dans le cœur un seul des sentimens » de ce grand homme, je serois tout embrasé du >> feu de l'amour de Dieu (8). » Il avoit de si bas sentimens de lui-même, que, malgré l'austérité de son genre de vie, il se regardoit comme un homme sensuel, et vouloit que les autres eussent de lui une semblable idée (9). Si par hasard la charité pour les étrangers l'obligeoit d'avancer l'heure du repas, il s'en dédommageoit ensuite par un long jeûne, et faisoit, pour ainsi dire, payer à son corps une condescendance dont le motif avoit été si louable (10). Il craignoit si fort les louanges, que, priant quelquefois les mains levées vers le ciel, il les baissoit aussitôt qu'il pensoit que quelqu'un pouvoit l'apercevoir. Toujours il étoit prêt à s'accuser. Il ne voyoit rien de bon dans les autres, qu'il n'en prît occasion de se condamner lui-même (11).

Trois solitaires étant venus le voir, l'un d'eux lui dit : « Mon père, que ferai-je pour éviter le » feu de l'enfer? » Et il ne répondit rien. «< Et » moi, continua le second, comment pourrai-je (6) Rosweide, Vit. Patr. l. 5, lib. 15, n. 47.

n. 17.

(7) Ibid. 1.5, lib. 1 9 (8) lbid. l. 5', lib. 15, n. 43. (9) Ibid. l. 5, lib. 15, n. 46. (10) Ibid. l. 5, lib, 8, n. 15.

(11) Ibid. l. 6, lib. 9, n. 5.

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» éviter le grincement de dents, et ce ver qui » ne mourra point?» Le troisième ajouta : « Qué ferai-je aussi? car toutes les fois que je me re» présente les ténèbres extérieures, je suis saisi » d'une frayeur mortelle. » Alors le Saint prenant la parole, leur répondit : « Je vous avoue que je » ne pense point à ces choses; et comme je sais » que Dieu est plein de bonté, j'espère qu'il aura pitié de moi. Vous êtes bienheureux, ajoutat-il, et j'envie votre vertu. Vous parlez des » peines de l'enfer, et vous en êtes si pénétrés, » qu'elles peuvent vous aider puissamment à éviter le péché. Eh! que ferai-je donc, moi qui ai le cœur » si insensible, que je ne pense pas seulement qu'il » y ait après la mort un lieu de supplices destiné » pour punir les méchans, ce qui est sans doute » la cause pour laquelle je commets tant de fautes?»" Les trois solitaires, édifiés de cette réponse, s'en retournèrent chez eux (12).

»

Le Saint disoit que depuis trente ans il faisoit à Jésus-Christ la prière suivante : « Seigneur Jé>sus, ne permettez pas que je pèche aujourd'hui » par ma langue; et cependant, ajoutoit-il, je

commets toujours quelque faute de ce côté-là.» Ce discours ne pouvoit être qu'un effet de son humilité car il gardoit exactement la retraite et le silence; il tenoit la porte de sa cellule toujours fermée, afin d'être moins interrompu; et lorsqu'on le consultoit, il ne répondoit jamais qu'en peu de mots (13).

Le serviteur de Dieu étant usé de vieillesse et d'infirmités, se rendit enfin à l'avis de son disciple Abraham, et alla demeurer quelque temps à Clysma, ville située sur le bord, ou du moins (12) Coteler. ibid. p. 669.

(13) Rosweide. Vit. Pat. l. 5, lib. 4, n. 39, et l. 6, lib. 3, n. 6,

dans le voisinage de la mer Rouge (14). Ammon ou Amum, abbé de Raithe, vint l'y visiter. Le voyant affligé de ce qu'il avoit quitté sa solitude, il le consola, en lui représentant qu'étant cassé de vieillesse, il avoit besoin de secours qu'il ne trouveroit pas dans le désert; mais le Saint jeta sur lui un regard de tristesse, et lui répondit : « Que » me dites-vous ? La liberté d'esprit dont j'y jouis» sois ne me suffisoit-elle pas? »

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Sisoès retourna dans sa solitude. Lorsqu'il fut parvenu à la fin de sa course, les solitaires s'assemblèrent autour de lui. Rufin dit qu'étant à l'agonie, il s'écria : « Voici que l'abbé Antoine » le chœur des prophètes, et les anges, viennent » prendre mon ame. » En même temps son visage devint lumineux; et après s'être entretenu intérieurement avec Dieu, il s'écria de nouveau : « Voyez Notre-Seigneur qui vient à moi. » Il expira en prononçant ces paroles, et sa cellule fut embaumée d'une odeur céleste (15). Sa mort arriva vers l'an 429, soixante-douze ans au moins après qu'il se fut retiré sur la montagne de saint Antoine. Sa fête est marquée dans les ménologes des Grecs, sous le 6 de Juillet, et dans quelques calendriers des Latins, sous le 4 du même mois. (Voyez Rosweide, Cotelier, Tillemont, t. XII, p. 453, et les Bollandistes, ad diem 6 Julii, t. II, p. 280.)

Il ne faut pas confondre ce Saint avec deux autres Sisoès qui vivoient dans le même siècle. L'un surnommé le Thébéen, demeuroit à Calamon, dans le territoire d'Arsinoé; l'autre avoit sa cellule à Pétra. C'est de Sisoès le Thébéen qu'on raconte le trait suivant, que quelques au(14) Coteler. p. 671.

(15) Rufin, ap. Rosw. l. 3, n. 162.

teurs ont attribué par méprise à saint Sisoès de Scété.

Un solitaire qui avoit été offensé par un autre, vint trouver Sisoès, et lui dit qu'il étoit résolu de se venger. Le saint vieillard le conjura de laisser à Dieu le soin de la vengeance, de pardonner à son frère, et d'oublier l'injure qu'il en avoit reçue; mais voyant qu'il ne gagnoit rien sur son esprit, il lui dit : « Adressons-nous au moins tous » deux ensemble au Seigneur. » Et puis se levant, il fit tout haut cette prière : « Mon Dieu, il n'est » plus nécessaire que désormais vous preniez soin » de nos intérêts, et que vous vous rendiez notre »protecteur, puisque ce frère soutient que nous » pouvons et que nous devons nous-mêmes nous » venger. » Le solitaire fut si singulièrement touché, que se jetant aux pieds de Šisoès, il lui demanda pardon, et lui promit d'oublier, dès ce moment, l'injure qu'il avoit reçue (16).

Le même Saint aimoit tellement la retraite, que quand il se trouvoit à l'église des solitaires, il en sortoit dès qu'on avoit achevé le sacrifice, et se hâtoit de se rendre à sa cellule. Il ne faisoit en cela que suivre l'esprit de Dieu, et son goût pour le silence et la prière. Dans l'occasion, il savoit se prêter aux devoirs de la société, surtout si la charité l'exigeoit. Il n'étoit point attaché à ses pratiques avec cette opiniâtreté qui vient de l'amour-propre.

Ordinairement il ne mangeoit point de pain. Les frères l'ayant invité aux fêtes de Pâques à prendre part au petit repas qu'ils faisoient dans ce saint temps: « Je mangerai, leur dit-il, ou du » pain, ou des autres choses que vous avez pré» parées. » Sur la réponse qu'ils lui firent qu'ils (16) Rosweide, Vit. Patr. l. 5, lib. 16, n. 10.

se contenteroient qu'il mangeât du pain, il en mangea tout de suite contre son usage (17).

Voyez Bulteau, Hist. mon. d'Orient, l. 1, c. 3, n. 7, p. 56; Tillemont, t. XII, et Pinius, un des continuateurs de Bollandus, sous le 6 de Juillet.

S.to BERTHE,

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VEUVE, ABBESSE DE BLANGY, EN ARTOIS.

SAINTE BERTHE étoit fille du comte Rigobert, et d'Ursane, parente d'un roi de Kent, en Angleterre. A l'âge de vingt ans, elle fut mariée à Sigefroi, dont elle eut cinq filles, entre autres sainte Gertrude et sainte Déotile. Après la mort de son mari, elle prit le voile dans le monastère qu'elle avoit fait bâtir à Blangy, en Artois, à peu de distance d'Hesdin. Ses filles Gertrude et Déotile imitèrent son exemple. Elle fut persécutée par le comte Roger ou Rotgar, qui tâcha de la noircir auprès du roi Thierri III. La haine que lui portoit ce seigneur venoit de ce qu'il n'avoit pu parvenir à épouser Gertrude; mais le prince ayant connu l'innocence de Berthe, qui gouvernoit son monastère en qualité d'abbesse, la reçut favorablement, et la mit sous sa protection.

De retour à Blangy, Berthe acheva son monastère, et fit construire trois églises, l'une en l'honneur de saint Omer, l'autre sous le nom de saint Vaast, et la troisième sous l'invocation de saint Martin de Tours. Ayant ensuite mis un bon ordre dans sa communauté, elle établit abbesse sainte Déotile, et se renferma dans une cellule pour ne plus s'occuper que de la prière. Sainte Berthe mourut vers l'an 725. Le monastère de Blangy, qu'elle avoit fondé vers l'an 682, fut détruit et (17) Coteler. t. I, p. 678.

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