Images de page
PDF
ePub

,

qu'elle n'eût des raisons très-pressantes de se départir du plan qu'elle s'étoit tracé. Tous les jours elle se levoit de grand matin. Après une longue méditation, elle récitoit matines, laudes et prime; ensuite elle entendoit la messe où elle communioit souvent. Elle disoit aussi chaque jour l'office de la Vierge et celui des morts. Elle se retiroit fréquemment dans son oratoire pour y faire des lectures pieuses; elle avoit aussi des heures réglées pour ses affaires domestiques, ainsi que pour l'accomplissement de ses autres devoirs envers le prochain. Son travail consistoit à faire des ornemens, ou des choses à l'usage des pauvres; en quoi elle étoit aidée par ses dames d'honneur. Il ne lui restoit aucuns momens pour les conversations inutiles ou autres amusemens. Tout son extérieur annonçoit la simplicité. Elle étoit affable et pleine de bonté pour tout le monde; elle possédoit éminemment l'esprit de componction, et souvent il lui arrivoit, dans la prière, de verser des larmes abondantes. Plus d'une fois on voulut lui persuader de modérer ses austérités; mais elle répondit toujours que la mortification n'est nulle part plus nécessaire que sur le trône, où tout semble exciter et nourrir les passions. Les jeûnes prescrits par l'église ne suffisoient point à sa ferveur; elle jeûnoit tout l'Avent, et depuis la SaintJean-Baptiste jusqu'à l'Assomption. Peu de temps après, elle recommençoit un nouveau carême, qui duroit jusqu'à la fête de saint Michel. Elle ne vivoit que de pain et d'eau les vendredis et les samedis, les veilles des fêtes de la Vierge et des apôtres, et plusieurs autres jours. Souvent elle faisoit à pied la visite des églises et des lieux de dévotion.

La charité pour les pauvres étoit une des vertus

qu'on admiroit principalement dans sainte Elizabeth. Par ses soins, les étrangers étoient pourvus de logemens, et de tout ce qui leur étoit nécessaire. Elle faisoit faire une exacte recherche des pauvres honteux, et leur fournissoit secrètement de quoi subsister d'une manière conforme à leur état. Les pauvres filles, si souvent exposées au danger d'offenser Dieu, trouvoient dans ses libéralités une dot pour se marier suivant leur condition. Elle visitoit les malades, les servoit de ses propres mains, et pansoit leurs plaies les plus dégoûtantes. Elle fit divers établissemens dans toutes les parties du royaume; elle fonda entre autres, à Coïmbre, un hôpital près de son palais, et à Torres-Novas une maison pour les femmes repenties, avec un autre hôpital pour les enfans trouvés. Indifférente à tout ce qui la regardoit personnellement, elle ne s'occupoit que des moyens de procurer du soulagement aux malheureux, et paroissoit vivre uniquement pour eux. Tant de soins ne l'empêchoient point de remplir ses autres devoirs. Elle aimoit et respectoit son mari; elle lui étoit soumise, supportoit ses défauts avec patience.

Denys avoit d'excellentes qualités : il aimoit la justice, il étoit brave, humain et compatissant ; mais il se conduisoit d'après les maximes corrompues du monde, et il souilla la sainteté du lit nuptial par des amours illégitimes. Elizabeth, moins touchée de l'injure qu'elle recevoit, que de l'offense de Dieu et du scandale qui en résultoit, prioit assidument, et faisoit prier pour sa conversion. Elle tâchoit de gagner le cœur de son mari par les voies de la douceur; elle s'intéressoit au sort des enfans qu'il avoit eus de ses maîtresses, et se chargeoit elle-même du soin de les faire élever.

Une telle conduite lui fit ouvrir les yeux. Il renonça à ses désordres, et garda toujours depuis la fidélité qu'il devoit à sa vertueuse épouse. Ses vertus brillèrent d'un nouvel éclat après sa conversion. Il devint la gloire et l'idole de ses sujets. Il institua l'ordre de Christ en 1318, fonda avec une magnificence vraiment royale l'université de Coïmbre, et orna son royaume d'édifices publics. Ce fut quelque temps avant sa parfaite conversion qu'arriva l'événement que nous allons rapporter.

Elizabeth avoit un page extrêmement vertueux, dont elle se servoit pour la distribution de ses aumônes secrètes. Un autre page, jaloux de la faveur dont il jouissoit à cause de sa vertu, résolut de le perdre; et pour y réussir, il persuada au roi qu'il avoit un commerce criminel avec la reine. Le prince, que la corruption de son cœur portoit à mal penser des autres, ajouta foi à la calomnie, et forma le projet d'ôter la vie au prétendu coupable. Il dit à un maître de four à chaux qu'il lui enverroit un page pour lui demander s'il avoit exécuté ses ordres, et que c'étoit là le signal auquel il le reconnoîtroit. Vous le prendrez ajouta-t-il, et le jetterez dans le four, afin qu'il y soit brûlé; il a mérité la mort pour avoir justement encouru mon indignation. Au jour marqué, le page fut envoyé au four à chaux. Ayant passé devant une église, il y entra pour adorer JésusChrist. Il entendit une messe, indépendamment de celle qui étoit commencée quand il entra dans l'église. Cependant le roi, impatient de savoir ce qui s'étoit passé, envoya le délateur s'informer si l'on avoit exécuté ses ordres. Le maître du four prenant celui-ci pour le page dont le prince lui avoit parlé, le saisit et le jeta dans le feu, qui le consuma en un instant. Le page de la reine, après

avoir satisfait sa dévotion, continue sa route, gagne le four, et demande si l'ordre du roi est exécuté ; et comme on lui répond affirmativement, il revient au palais rendre compte de sa commission. Le roi fut singulièrement étonné en le voyant de retour contre son attente; mais lorsqu'il eut été instruit des particularités de l'événement, il 'adora le jugement de Dieu, rendit justice à l'innocence du page, et respecta toujours depuis la vertu et la sainteté de la reine.

Sainte Elizabeth eut du roi de Portugal deux enfans, Alphonse qui succéda à son père, et Constance qui fut mariée à Ferdinand IV, roi de Castille. Alphonse épousa depuis l'infante de Castille. Peu de temps après son mariage, il se mit à la tête d'une conjuration formée contre son père. Elizabeth fut vivement affligée de ces troubles; elle employa le jeûne, la prière, les aumônes, pour obtenir de Dieu le rétablissement de la paix; elle exhorta son fils de la manière la plus pressante à rentrer dans le devoir, et pria en même temps le roi de pardonner au coupable. Enfin la conduite qu'elle tint en cette occasion fut si sage et si religieuse, que le pape Jean XXII lui écrivit une lettre où il en faisoit de grands éloges: mais certains flatteurs trouvèrent le moyen de prévenir le roi; ils lui représentèrent même la reine comme une mère aveugle qui favorisoit le parti de son fils. Le prince crédule ajouta foi à ce qu'on lui disoit, et exila la reine à Alanquer.

Elisabeth supporta cette disgrâce avec beaucoup de patience, et se servit de l'occasion que lui procuroit sa retraite pour redoubler ses austérités et ses autres pratiques de piété. Elle ne voulut point entendre les propositions que lui faisoient les mécontens, ni même avoir avec eux aucune sorte de

correspondance. Le roi ne put s'empêcher d'admirer les vertus qu'elle fit éclater dans sa disgrâce; il la rappela, et se montra plus que jamais pénétré d'amour et de respect pour elle.

Comme la Sainte étoit d'un caractère doux et paisible, elle s'employoit de toutes ses forces à étouffer les divisions, et sur-tout à écarter les guerres qui traînent tant de maux à leur suite. Elle réconcilia son fils avec le roi, lorsque leurs armées étoient prêtes à en venir aux mains, et fit rentrer tous les rebelles dans le devoir; elle rétablit aussi la paix entre Ferdinand IV, roi de Castille, et Alphonse de la Cerda son cousin-germain, qui se disputoient la couronne, ainsi qu'entre Jacques II, roi d'Aragon, son frère, et le roi de Castille, son gendre. Pour parvenir à la dernière de ces réconciliations, elle fit avec son mari un voyage dans les deux royaumes, et y étouffa jusqu'au germe de toute division.

4

Peu de temps après, le roi Denys, qui régnoit depuis quarante-cinq ans, tomba malade. Elizabeth lui donna en cette occasion les plus grandes marques d'attachement et d'affection. Elle le servoit elle-même, et ne sortoit presque jamais de sa chambre que pour aller à l'église; mais son principal soin étoit de lui procurer une sainte mort. Elle distribua donc d'abondantes aumônes, et fit faire des prières de tous côtés, dans l'intention de lui obtenir cette grâce. Le roi, durant tout le cours de sa maladie, donna des preuves d'une sincère pénitence. Il mourut à Santaren le 6 de Janvier 1325. Lorsqu'il eut expiré, la reine alla prier pour lui dans son oratoire; puis elle se consacra au service de Dieu, en prenant l'habit du tiers-ordre de saint François. Elle assista aux funérailles de son mari, et suivit son corps jusqu'à

« PrécédentContinuer »