Images de page
PDF
ePub

voyez-vous pas que, les établissemens une fois organisés dans des principes républicains et philosophiques, les diverses institutions, soit morales, soit physiques, qui ne font pas essentiellement partie de l'enseignement, viendront, comme autant de rameaux, se réunir à ce tronc vigoureux, dont vous aurez planté les racines fécondes.

Je vais maintenant jeter un coup-d'oeil rapide sur l'éducation physique, et parcourir, ou plutôt montrer du doigt les différentes institutions qu'elle embrasse. Il ne s'agit pas encore d'élever le monument, mais de ranger ensemble et de numéroter les pierres principales qui doivent servir à sa construction. Ici, comme dans la partie de l'enseignement, il faut travailler avec ses idées et non pas avec celles d'autrui; il faut étudier les hommes et les choses, les tems et les lieux, la Nature, immuable dans ses principes, mais toujours variée dans ses résultats; et peut-être, alors, sera-t-on moins empressé de nous présenter des romans politiques, faiblement échafaudés d'après la république de Platon, ou d'après les romans historiques composés sur Lacédémone.

La première chose qui se présente à l'esprit en traitant de l'éducation morale, c'est l'établissement des fêtes nationales1. C'est là que l'imagi

1. Voyez plus bas le Rapport sur la fête des victoires et celui sur les fêtes décadaires. (Note de l'Éditeur.)

nation doit déployer ses inépuisables trésors, qu'elle doit éveiller dans l'âme des citoyens toutes les sensations libérales, toutes les passions généreuses et républicaines. Je me rendrai maître du désir qui me porte à traiter avec étendue cette matière, dont je me suis spécialement occupé; quelque jour je remonterai dans la tribune, pour proposer une organisation complète des fêtes nationales. En attendant, je ne grossirai pas l'espace qu'elles doivent occuper dans cette espèce de discours préliminaire, où toutes les parties de l'Éducation nationale sont considérées en perspective et dessinées en raccourci. La Liberté sera l'âme de nos fêtes publiques: elles n'existeront que pour elle et par elle. L'Architecture élevant son temple; la Peinture et la Sculpture retraçant à l'envi son image; l'Éloquence célébrant ses héros; la Poésie chantant ses louanges; la Musique lui soumettant les cœurs par une harmonie fière et touchante; la Danse égayant ses triomphes; les hymnes, les cérémonies, les emblêmes, variés selon les différentes fêtes, mais toujours animés de son génie; tous les âges prosternés devant sa statue; tous les arts, agrandis et sanctifiés par elle, s'unissant pour la faire chérir: tels sont les matériaux qui s'offriront aux législateurs, quand il s'agira d'organiser les fêtes du Peuple; tels sont les élémens auxquels la Convention nationale doit imprimer

OEuvres anciennes. V.

9

le mouvement et la vie. Il ne suffira point alors, Citoyens, d'établir la fête de l'Enfance et celle de l'Adolescence, ainsi qu'on vous l'a proposé; des idées plus élevées et plus étendues se présenteront à vous: il faudra semer l'année de grands souvenirs, composer de l'ensemble de nos fêtes civiques une histoire annuelle et commémorative de la Révolution française. Sans doute, il ne sera point question de faire repasser annuellement sous nos yeux l'image des événemens rapides, mais sans caractère, qui appartiennent à toute révolution; mais il faudra consacrer dans l'avenir les époques immortelles où les différentes tyrannies se sont écroulées devant le souffle national, et les grands pas de la Raison, qui franchissent l'Europe, et vont frapper les bornes du monde. Enfin, libres de préjugés, et dignes de représenter la Nation française, vous saurez fonder sur les débris des superstitions détrônées la seule religion universelle qui apporte la paix et non le glaive, qui fait des citoyens et non des sujets, des frères et non des ennemis; qui n'a ni sectes, ri mystères, dont le seul dogme est l'Égalité, dont les lois sont les oracles, dont les magistrats sont les pontifes, et qui ne fait brûler l'encens de la grande famille que devant l'autel de la Patrie, mère et divinité commune.

Après les fêtes nationales, ou conjointement

avec elles, viennent les récompenses que le Peuple doit consacrer aux vertus utiles et au génie bienfaiteur des hommes. On sent bien qu'il n'est pas ici question de ces encouragemens, de ces indemnités pécuniaires, que l'État peut accorder, sous le titre de pension ou de gratification, soit aux fonctionnaires publics recommandables par de longs services, soit aux braves citoyens qui ont versé leur sang pour la Liberté, soit aux citoyens laborieux dont les veilles ont servi la Patrie, et qui réclament sa bienfaisance: ces importans objets n'ont qu'un rapport indirect avec l'Instruction publique. On conçoit qu'il est encore moins question de ces ridícules prix décernés par des académies à quelques poëmes médiocres, sur les sujets les plus futiles, ou à de longs éloges de personnages illustres que personne ne blâme : vous avez renversé les académies, et dissipé la fausse instruction qu'y répandaient le savoir sans philosophie, et le bel-esprit sans idées. L'objet dont il s'agit uniquement ici est un de ceux qui doivent le plus intéresser une république naissante, si elle veut s'appuyer sur des fondemens solides : j'entends parler de cet hommage public rendu par le Peuple aux choses extraordinaires dans un genre utile. Un peuple qui sait honorer ce qui est grand ne manque jamais de grandes actions, ni de grands hommes.

La nature et le mode des récompenses ne servent pas médiocrement à distinguer les nations libres des troupeaux d'esclaves. Laissons les trésors aux tyrans; la gloire est la monnaie des républiques. Cette pensée que j'ai déja énoncée dans la tribune, lorsque, au nom de vos comités d'instruction publique et de la guerre, je réclamais la couronne civique en faveur de Labretêche 1, cette pensée seule renferme, selon mon opinion, toute la théorie des récompenses nationales. Sans doute, il ne faut pas entendre par la gloire ces petites jouissances de l'amour-propre, cet honneur que Montesquieu appelle le fondement des monarchies. Quand les rois, qui achetaient des esclaves avec le sang du peuple, après avoir épuisé leurs monceaux d'or, distribuaient aux hommes qui restaient à corrompre cette foule ridicule de titres et de cordons, c'était l'orgueil d'un seul qui caressait la vanité de plusieurs. La gloire n'était point dans ces mascarades: elle est dans la feuille de chêne décernée par le Peuple au citoyen qui a bien mérité de la Patrie. La gloire ne peut être où n'est pas l'utilité publique : la gloire est inséparable de la vertu. Chez des républicains, amour de la Patrie, gloire, vertu, sont trois mots qui représentent une même idée.

1. Voyez plus haut page 100 et suiv. (Note de l'Éditeur.)

« PrécédentContinuer »