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tier. Une minorité qui s'insurge est un rebelle; une minorité qui domine est un tyran.

Je passe maintenant à des considérations plus graves encore, et j'examine, non plus pour votre gloire, non plus pour vous, mais pour la République elle-même, les suites possibles, peut-être infaillibles, qu'entraînerait, dans ces graves circonstances, la prompte convocation des Assemblées primaires.

A quoi bon se dissimuler le plus grand crime des derniers tyrans de la France, l'inévitable résultat du régime de terreur qui a pesé dix-huit mois sur la République ?

Oui, l'Aristocratie médite des complots; le Royalisme nourrit un espoir coupable; et c'est encore là votre ouvrage, hommes de sang, qui avez opprimé le Peuple au nom du Peuple. Votre despotisme, vos fureurs ont calomnié la Liberté, que vous prétendiez venger. Si la réaction dans ce moment paraît menaçante aux amis inquiets de l'Égalité, c'est vous qu'il en faut accuser: vous avez voulu donner à l'esprit public cette férocité qui vous caractérise; et, par un effet de la haine générale que vous avez provoquée, l'esprit public, maintenant amolli, semble avoir perdu l'enthousiasme nécessaire pour achever la révolution. J'ai entendu siffler au théâtre les chants qui ont

guidé nos armées triomphantes; et les hymnes patriotiques sont devenus des cris de vengeance. Vous avez jeté dans les fers une foule de patriotes courageux qui avaient combattu vos mesures atroces; et l'intérêt qu'ils ont inspiré s'est répandu sur tous les compagnons de leur captivité, même sur ceux qui s'étaient fait remarquer par une conduite incivique. Vous avez dressé des échafauds; et non-seulement vous avez aigri toutes les familles, mais vous avez encore appauvri la Révolution; vous avez enlevé pour jamais à la Liberté ses apôtres les plus éclairés, ses défenseurs les plus énergiques. Enfin, vous avez commandé l'athéisme; et le Fanatisme, qui prend des forces à mesure qu'on le persécute, s'est relevé plus puissant que jamais.

Telle est en partie la position désastreuse où l'ignorance et la cruauté de quelques dominateurs ont placé une République triomphante partout, excepté dans son intérieur; une Convention qui fait trembler les rois de l'Europe, et que l'audace d'une faction expirante insulte impunément dans son enceinte.

Et c'est dans de pareilles circonstances, c'est au milieu des élémens qui nous environnent, c'est quand tous les partis opposés à la République méditent des séditions et des révoltes; c'est alors, Représentans, que l'on vous propose de

OEuvres anciennes. V.

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convoquer sans délai les Assemblées primaires! Mais, , pensez-vous que les rois humiliés par vos triomphes, les rois qui n'ont pu vaincre vos armées, ne sentiraient pas ranimer leurs espérances, si vous rendiez un pareil décret? Pensez-vous qu'ils négligeraient les moyens d'éterniser l'agitation qu'ils ont alimentée parmi nos concitoyens? Pensez-vous que leurs agens, parlant d'un roi aux amis de la royauté, rappelant les dignités aux ambitieux, montrant de l'or aux hommes corrompus, ralliant les terroristes par la crainte des vengeances, ne se ligueraient pas pour déchirer le sein de la France, et faire expirer la République naissante dans les convulsions et l'agonie d'une guerre civile?

Je ne parlerai pas de vos tètes: il était doux, il était glorieux pour Sydney d'être conduit à l'échafaud sous un parlement qui couronnait Charles II; mais, au nom de la Patrie, qui vous réclame; au nom des maux dont je ne vous ai tracé qu'une faible esquisse, et que vous devez tous réparer; au nom du sang des Républicains qui a coulé sur toutes les frontières; au nom même du sang de vos collègues, de vos frères, de vos amis morts sur l'échafaud pour la cause de la Liberté, restez à votre poste, puisqu'il est encore périlleux. Ne partons point avec l'ignominie d'avoir avoué publiquement notre insuffisance

et notre lâcheté. L'immense majorité de la Convention nationale est juste; elle veut la République, la Constitution démocratique, la punition des coupables, l'oubli des égaremens passagers. Qu'elle ait le courage de sentir qu'elle est la majorité; qu'elle soit ferme et calme; et tous les bons citoyens qui sont liés à sa destinée lui répondent du salut de la République.

Je demande aussi que la Convention nationale décrète qu'il n'y a lieu à délibérer sur la proposition faite de convoquer les Assemblées primaires, quant à présent.

Cette motion est décrétée.

m

RAPPORT,

AU NOM DES COMITÉS DE SALUT PUBLIC, DE SURETÉ GÉNÉRALE ET DE LÉGISLATION*,

SUR

LE DÉSARMEMENT DES PRÉ-THERMIDORISTES.

Séance du 21 germinal an III (10 avril 1795, vieux style).

CITOYENS-REPRÉSENTANS,

LES amis de la Terreur et les partisans de la Royauté, depuis long-tems coalisés, et composant une même armée, ont voulu dissoudre la Représentation nationale, et rétablir une domination sanguinaire. Votre courage les a vaincus; mais il faut consommer le 12 germinal. Il serait d'une extrême imprudence de prolonger les périls qui environnent la Patrie, et de laisser encore le Peuple Français courir les chances d'un nouveau combat entre la Justice et le Terrorisme; entre la République et la Royauté. Tel est l'esprit du décret que vous avez rendu hier sur le

1. Chénier fut nommé membre du Comité de sûreté générale dans la séance du 15 germinal an III (4 avril 1795, vieux style). (Note del 'Éditeur.)

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