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IDÉES

POUR UN CAHIER DU TIERS-ÉTAT

DE LA VILLE DE PARIS'.

18 AVRIL 1789.

N

ARTICLE PREMIER.

On a mis en question s'il fallait opiner par Ordre ou par tête aux États - Généraux. Si l'on opine

par Ordre, il arrivera de deux choses l'une: ou la pluralité des voix dans deux Ordres ne sera point censée lier le troisième Ordre; ou la volonté du troisième Ordre sera enchaînée par la pluralité des voix dans les deux autres. En admettant le premier cas, il y aura deux nations en France, trois législations différentes. Chaque Ordre sera

1. Mon avis est que les Représentans du Tiers-état de la ville de Paris doivent faire toutes les demandes que j'ai rédigées dans cet Écrit. Comme Citoyen, j'ai le droit de publier mon avis : j'ai cru devoir le publier. S'il paraît bon en tout ou en partie, il sera adopté en tout our en partie; s'il paraît mauvais, il sera rejeté. Le seul amour propre qui puisse animer un bon Citoyen dans les circonstances où nous sommes, c'est de servir la cause publique. (Note de Chénier.)

juge et partie. Et comment détruire des privilèges, quand les privilégiés seront juges et parties? En admettant le second cas, les privilégiés seront juges et parties d'une manière bien plus injuste, bien plus criante. Si l'assemblée des ÉtatsGénéraux est de douze cents personnes, par exemple, la Noblesse et le Clergé formeront six cents personnes, le Tiers-État six cents personnes; et, la majorité d'une seule voix dans chaque Ordre étant suffisante pour établir la pluralité, il pourrait arriver que trois cent deux suffrages l'emporteraient sur huit cent quatre-vingt-dix-huit. Cette disproportion, déja si effrayante, le paraîtra bien plus encore, si l'on veut songer que les six cents personnes de la Noblesse et du Clergé représentent à peine un million d'hommes, et que les six cents Députés du Tiers - État représentent vingttrois millions d'hommes. Cela posé, les Représentans du Tiers-État de la ville de Paris doivent demander, comme une chose indispensable, qu'on opine par tête aux États-Généraux.

II.

La puissance législative ne saurait être unie, même partiellement, avec la puissance exécutive, sans que la liberté des Citoyens soit menacée. Ainsi, les Représentans du Tiers-État de la ville de Paris doivent demander, comme le seul fondement d'une bonne Constitution, que la puis

sance législative réside uniquement et sans aucun partage dans les États-Généraux qui représentent

la Nation.

III.

Tous les Magistrats, c'est-à-dire, tous les Citoyens qui sont chargés d'une portion de la puissance exécutive, doivent obéir aux Lois, et par conséquent à la puissance qui fait les Lois. Du moment qu'on suppose un seul Magistrat qui n'est pas responsable de sa conduite à la Nation, il est évident qu'on demanderait en vain l'abolition des lettres de cachet et de tous les actes d'autorité arbitraire. Il est donc essentiel que toutes les personnes chargées de la puissance exécutive soient responsables aux États-Généraux.

IV.

On doit toujours craindre que la puissance exécutive ne cherche à s'étendre, et n'envahisse peu

à

peu la puissance législative. Il faut donc que l'exercice de la puissance législative soit aussi fréquent qu'il est possible. Ainsi, les Représentans de la ville de Paris doivent demander que les ÉtatsGénéraux soient naturellement convoqués tous les deux ans, à commencer d'un jour de l'année, fixé à perpétuité par les prochains États-Généraux.

V.

Si les États-Généraux croient devoir se convoquer extraordinairement pour l'année qui suivrait

celle de leur convocation ordinaire, il est bien évident qu'ils ont ce pouvoir; mais il n'est pas moins évident qu'à chaque convocation ordinaire ou extraordinaire la Nation doit nommer de nouveau ses Représentans, et jouir du droit d'élection.

VI.

Si, dans l'espace de tems qui s'écoulerait entre deux convocations ordinaires, une guerre, une paix à conclure, un subside nécessaire, ou tout autre acte de la puissance législative, exigeait la présence du Législateur, le principal Magistrat, c'est-à-dire, le Roi, serait tenu de convoquer au plus tôt les États-Généraux; car il ne doit pouvoir y suppléer, ni par lui-même, ni par des conseils, ni par un corps intermédiaire, quel qu'il soit; autrement il y aurait dans l'État plusieurs puissances législatives: ce qui est une chose mon

strueuse.

VII.

Dans le cas où le décès du premier Magistrat, c'est-à-dire, du Roi, amènerait une minorité, la Nation doit élire aussitôt ses Représentans; et les États-Généraux doivent être assemblés dans deux mois au plus tard, à compter du jour du décès, pour nommer à la régence.

VIII.

Il est très-important que la Couronne de France soit héréditaire de mâle en mâle, et selon le droit

de primogéniture; mais il est aussi très-important que la régence soit élective, bien entendu que les membres de la Famille royale pourront seuls y concourir.

IX.

Les pouvoirs des Représentans doivent être indéfinis sur tous les objets; mais ils doivent durer l'espace d'un an tout au plus.

X.

Il est de justice rigoureuse que les Colonies françaises puissent envoyer des Députés à l'assemblée des États-Généraux.

XI.

Les États- Généraux pourvoiront aux moyens d'anéantir les abus qui se sont glissés dans l'élection des Représentans actuels, notamment les procurations, et les élections de personnes attachées à la Cour.

XII.

Il est essentiel que les États provinciaux soient établis dans toutes les provinces de France, et tenus dans la même forme que les États- Généraux, à commencer d'un jour de l'année, fixé à perpétuité par les prochains États-Généraux. Entre ce jour et le jour où commencera tous les deux ans la grande Assemblée nationale il doit y avoir au moins un intervalle de trois mois.

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