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pour ramener l'ordre et la paix, qu'une procédure criminelle, qui serait elle-même une suite de forfaits et de vengeances.

La société des Jacobins ne regarde point comme des perfides tous ceux qui ne sont point au nombre de ses membres ou de ses amis. Elle sait distinguer, parmi ses adversaires, les hommes faibles qui se laissent entraîner par les déclamations d'un journal, les hommes ardens et prévenus qui l'attaquent avec fureur, en avouant qu'ils ne l'ont jamais vue; les ennemis de l'Égalité, les amis d'une chambre haute, les ambitieux qui trouvent en elle une barrière insurmontable; enfin les perfides qui l'ont abandonnée, quand ils ne pouvaient plus la tyranniser; les factieux que Mirabeau voulait combattre dans les derniers tems de sa vie; les intrigans qui ont insulté ce législateur d'une manière atroce, dans le moment même où il s'arrachait aux adulations du club de 89, pour se réunir aux Jacobins calomniés.

Certes, je ne disconviendrai pas que le gouvernement est plongé dans une effrayante inertie; mais ce n'est pas aux Jacobins qu'il faut l'imputer. Cette inertie du gouvernement cessera, quand il voudra prendre de l'activité; quand les hommes qui parlent sans cesse du respect qu'on doit aux autorités constituées ne décrieront pas sans cesse la première des autorités constituées : l'As

semblée nationale; quand une certaine coalition ne se fera plus un plaisir de la contrarier dans toutes ses mesures; quand les membres d'un directoire ne se présenteront plus entre le Corps législatif et le Roi, pour protéger des prêtres conspirateurs; quand des amis de la Liberté succéderont dans le ministère à des hommes qui ont perdu la confiance nationale 1.

Les citoyens un peu au fait de ce qui se passe dans Paris pourront trouver étrange qu'on reproche aux Jacobins des intrigues et des trames obscures dans les assemblées primaires ou électorales. Les intrigues et les trames obscures appartiennent à ceux qui complotaient secrètement des choix indignes, mais non point à ceux qui appelaient à leurs discussions et le public et leurs adversaires. Tout lecteur qui a quelque notion d'une constitution représentative sait très-bien que les assemblées populaires, au moment des élections, sont toujours divisées par deux partis: ceux dont le patriotisme est fervent, et ceux qui sont modérés, sinon dans leur conduite et dans leurs écrits, du moins dans leur zèle pour la Liberté. Le parti modéré, toujours condamné à la minorité dans les assemblées primaires, avait

1. Il ne faut pas perdre de vue que cet écrit fut composé sous le dernier ministère. (Note de Chénier.)

une influence marquée dans le corps électoral de Paris, en 1791. Ce n'est pas lui, cependant, qui a choisi pour députés MM. Condorcet, Brissot, Garran-Coulon; ce n'est pas lui qui a nommé M. Roederer procureur - syndic du Département; mais c'est lui qui, dans le centre des lumières, élevait aux fonctions législatives cette foule de citoyens sans talens, sans moyens, sans idées : législateurs dont l'ineptie compromet à chaque instant la chose publique, et fait rougir la France entière pour le département de Paris.

Après avoir peint énergiquement les désordres de la France, désordres qui sont trop réels, l'accusateur des Jacobins ne suppose même pas qu'on puisse les imputer à cette horde de prêtres, de courtisans, de princes, de ci-devant nobles, d'opulens agioteurs, qui calculent les malheurs de l'Empire, et appellent ouvertement la guerre civile. S'il faut l'en croire, les Jacobins sont les vrais coupables. Il part de cette proposition, comme si elle était nécessairement admise; et l'on doit conclure avec lui, à moins d'être un fripon ou un imbécille, que ces clubs anéantiront la Constitution; que leur organisation est un systéme complet de désorganisation sociale; que leur destruction est le seul remède aux maux de la France; et que le jour de leur mort sera un jour de fête et d'allégresse publique. Voilà, certes, une déci

sion effrayante; mais il est permis d'en appeler. Je vais citer, non pas un factieux, comme J.-J. Rousseau, Syeyes ou Mirabeau, par exemple, mais un publiciste à chambre haute, un modéré. Lisez de Lolme, sur la Constitution de l'Angleterre, tome second, page 178 et suivantes : vous y verrez jusqu'où s'étend l'influence politique des clubs anglais. C'est au milieu de cette désorganisation sociale que l'Angleterre a fait, depuis cent années, l'admiration et l'envie de tous les peuples du monde. C'est dans ces sociétés que les Fox et les Sheridan, les Price et les Priestley, les Wilberforce, ont préparé l'abolition de la traite; c'est de là qu'ils nous encouragent à la Liberté; c'est là que l'éloquence des orateurs, les méditations des philosophes, accélèrent chaque jour la destruction des préjugés politiques et religieux, la perfection des lois sociales, et le bonheur de l'espèce humaine.

Lorsqu'un membre de l'Assemblée nationale a demandé qu'on lui citât les prétendus excès des Jacobins, l'on s'étonne que l'Assemblée ne se soit pas levée tout entière pour lui répondre par une énumération de huit pages. Si quelque législateur s'était chargé de cette diatribe violente, voici ce que la France entière aurait pu lui répondre :

« Vous affirmez beaucoup et vous prouvez peu: ce qui n'est pas une bonne manière de raisonner,

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surtout dans un accusateur. Vous croyez que la Liberté ne peut exister avec les Jacobins : c'est la doctrine que M. Mallet-Dupan prêche depuis trois ans. Les Aristides du club de 89, les Solons du cabinet de lecture, l'empereur Léopold et M. Pitra, sont de cet avis. Voilà de grandes autorités. Cependant, permettez-nous de ne pas regarder une amplification de rhétorique comme une démonstration mathématique. A travers une foule d'accusations trop vagues ou trop évidemment injustes pour mériter quelque attention, vous avez cité cinq ou six faits particuliers, qui sont véritablement répréhensibles, s'ils sont prouvés; mais, à ces faits, on vous oppose les nombreux, les immenses services que les Jacobins ont rendus et rendent tous les jours à la Liberté. Vous demandez la destruction de ces sociétés: cela prouve seulement que vous avez oublié le premier titre de la Constitution; mais, s'il était possible de les détruire, l'égalité politique s'anéantirait avec elles. Écoutez les gens de Coblentz: les Jacobins perdent la France. Écoutez les prêtres réfractaires : les Jacobins perdent la religion. Écoutez les gens à chambre haute, les plats importans qui sont écrasés du poids de l'égalité: il faut détruire les Jacobins. Si tous les ennemis de la Liberté, de la Constitution, sont les ennemis déclarés des Jacobins n'est-il pas pas démontré par cela seul que les Jacobins

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