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Je suis sûr de lui avoir répondu avec les égards convenables; et tous les hommes qui savent lire auront senti que j'éprouvais quelque peine à le combattre, et quelque plaisir à lui rendre justice. Mais, en répondant principalement à mon frère, il n'était pas inutile cependant de faire voir que tous les partis contre-révolutionnaires et modérateurs, soit au dedans, soit au dehors du royaume, se sont coalisés pour détruire les sociétés patriotiques. J'ai avancé que cette réunion était une preuve infaillible du civisme de ces sociétés. L'on me répond que les passions sont quelquefois de l'avis de la raison: j'en conviens; et je n'aurais pas conclu de cette manière, si je n'avais compté parmi les ennemis des Jacobins qu'un petit nombre des ennemis de la Liberté; mais, lorsque tous les partis qui veulent anéantir ou modifier la Constitution: les rois, les ci-devant nobles, les ci-devant parlementaires, les prêtres, les grands propriétaires, les agioteurs, divisés d'opinions sur tout le reste, sont réunis sur ce point seul, cette haine unanime me démontre jusqu'à l'évidence l'utilité, la nécessité de ces sociétés patriotiques; et je demeure convaincu que, malgré les inconvéniens attachés à tous les établissemens humains, il faut chérir et défendre ces clubs comme le plus ferme rempart de la Liberté, de l'Égalité.

J'ai dit: L'inertie du Gouvernement cessera quand il prendra de l'activité. Je ne me suis point trompé sur l'acception du mot Gouvernement : j'ai bien entendu par là la collection des gouvernans, des autorités établies pour faire exécuter la loi. Mon frère ne conçoit pas comment un gouvernement institué ne veut point agir quand il le peut : rien n'est pourtant plus facile à concevoir. Si le chef suprême du pouvoir exécutif avait le mauvais esprit d'être mécontent de sa part constitutionnelle; s'il était environné de ci-devant nobles qui voudraient ressusciter la noblesse, de prêtres conspirateurs qui voudraient étouffer la Constitution entière; s'il existait dans toutes les administrations, même dans celles qui sont du choix du Peuple, une foule d'hommes liés par leur intérêt personnel à ces projets liberticides, tous les habiles

gens suivraient à la fois un systême d'inertie. Ils attribueraient, d'abord, cette inertie aux sociétés populaires, dont ils craignent la surveillance. S'ils parvenaient à détruire ces sociétés, bientôt ils diraient que la Constitution n'a point donné assez de force au Gouvernement. De là, ils proposeraient quelques lignes d'amendemens à cette Constitution, comme, par exemple : l'extension de la prérogative royale et la résurrection de la noblesse. Quand les faits n'existeraient pas au milieu

de nous, certes, leur existence est possible. Il est donc aisé de concevoir comment un gouvernement institué ne veut point agir quand il le peut.

Je pourrais prouver encore que mon frère n'a point réfuté ce que j'ai dit, en citant les assertions qu'il répète sur la prétendue souveraineté des tribunes des Jacobins, et sur la composition de ces sociétés.

Sur le premier article, je répondrai ce que j'ai déja répondu : les tribunes ne font point de lois, n'élisent point des autorités constituées. Telles sont les fonctions de la souveraineté.

Quant au second article, mon frère pense que les sociétés dont il s'agit ne renferment point des commerçans...... Ils en font la majorité dans les villes de commerce. Des cultivateurs.... Ils en font la majorité dans les campagnes. Des ouvriers.... Ils ont des jours de repos; et leur loisir est mieux employé dans ces assemblées que dans les lieux de débauche ou dans les cabarets. Il assure que, pour faire un dénombrement complet, j'aurais dû citer les farceurs, les chevaliers d'industrie, les voleurs effractaires, etc. Quant aux farceurs, c'est, je crois, une manière injurieuse de désigner les Comédiens. Il peut en exister, il en existe qui sont honnêtes gens et patriotes. Quant aux chevaliers d'industrie, aux voleurs effractaires, etc., mon

frère aurait fait une action civique en voulant bien les nommer avec des preuves irrécusables: il aurait donné aux sociétés des amis de la Constitution les moyens d'écarter, par un scrutin épuratoire, les membres qui les déshonorent.

J'aurais voulu, je l'avoue, ne point parler de moi dans une discussion qui intéresse la Liberté civile, et par conséquent la chose publique; mais, puisque mon frère m'y contraint, en exposant les motifs d'intérêt personnel qui peuvent diriger les défenseurs des Jacobins, je lui répondrai d'abord que, moi aussi, j'ai chéri la Liberté avant qu'elle vînt réjouir le sol de la France; l'Égalité politique, avant qu'elle fût la base de notre Constitution. J'ajouterai que j'ai prouvé cet amour, non pas seulement par des entretiens particuliers, mais par des ouvrages de quelque étendue, composés avant la Révolution, publiés dans ses premiers tems. Ils n'ont pas été sans éclat; et, surtout, ils n'ont pas contrarié la marche de l'esprit public. Depuis cette époque, j'ai toujours suivi le même plan de travail; et je le suivrai toute ma vie, m'embarrassant fort peu si quelques journalistes, quelques obscurs partisans du modérantisme, ignorant à la fois la force des mots et celle des choses, appellent factieux et incendiaires des écrits qui ne respirent que le respect des Lois et l'amour de l'Égalité.

Quant aux emplois, je ne connais, et ne veux connaître aucun ministre ; je ne solliciterai jamais aucune de ces places considérables et lucratives qui sont à la nomination du Roi. Quant à ces succès littéraires dont la nature est d'avoir besoin des applaudissemens de la multitude, suivant l'expression de mon frère, voici ce que je lui répondrai: Si j'avais perdu deux ou trois années à composer des tragédies impartiales ou insignifiantes, et même deux ou trois matinées à écrire, pour un journal, quelques pamphlets modérés, j'aurais trouvé un grand nombre de prôneurs puissans et actifs; et peut-être, en 1793, ils m'auraient consolé de n'avoir pu, en 1791, me glisser dans la foule des députés de Paris, et siéger à l'Assemblée nationale entre M. Robin-Léonard et M. Thorillon. Cette bienveillance est dans la nature des choses; et, par une conséquence du même principe, je ne dissimulerai point, j'aime à croire, que les amis de l'Égalité se sont intéressés au succès des productions qui la font chérir. Est-ce là être un homme de parti? je veux l'être de cette manière. Le cercle des vrais patriotes aura beau se resserrer, je veux y rester toujours; et, si tous les ennemis de la chose publique parviennent à précipiter la France vers une transaction ignominieuse; si, même, la multitude égarée redemande

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