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la Révolution française? Au Peuple, qu'au milieu d'urgentes circonstances elle priverait de ses Représentans fidèles et de l'exercice du pouvoir le plus populaire qui soit créé par la Constitution? Aux deux Conseils, qui, après la journée du 18 fructidor, se rendraient coupables d'une lâche désertion, et sembleraient proclamer la dictature du Directoire exécutif, afin d'échapper à une responsabilité trop pesante pour leur courage? Au Directoire exécutif, qui aurait l'air d'avoir exercé, non pas une justice vigoureuse, mais une autorité arbitraire, afin de recevoir des mains complaisantes de la servitude une autorité plus arbitraire encore; afin d'établir l'empire militaire sur les débris de la puissance civile, et la force au lieu de la loi; afin d'anéantir la Constitution de l'an III par la confusion monstrueuse et l'usurpation de tous les pouvoirs? Ah! sans doute, d'après ce simple aperçu, on peut se convaincre aisément que, dans la mesure indiquée, il ne saurait exister aucun avantage pour la République, ni pour ses amis.

Examinons maintenant si elle peut servir la conspiration royale, et ses agens, plutôt dispersés qu'abattus. Certes, l'affirmative n'est pas difficile à démontrer. Et d'abord, qui ne sent qu'elle leur fournirait un cadre immense de calomnies, qui, d'abord sourdes et furtivement glissées dans l'o

reille, dégénéreraient bientôt en déclamations virulentes, mettraient en jeu toutes les passions, et déchireraient encore la République, en divisant les Républicains? Et, si, d'après le caractère connu des Royalistes, d'après leur conduite, toujours plus perfide que hardie, vous mettez en doute leur audace, songez qu'elle serait provoquée par les alarmes légitimes, et par la voix indépendante des amis ardens de la liberté politique. Ceux-là qui chérissent avec raison la publicité dans les actes qui stipulent les intérêts de tous se plaindraient avec amertume d'un gouvernement mystérieux qui anéantirait cette publicité. Les agens des émigrés enchériraient sur les Patriotes eux-mêmes; ensuite, semant des défiances, et travaillant à leur manière accoutumée, ils irriteraient sourdement le Directoire contre les Patriotes, les Patriotes contre le Directoire. Alors, recommencerait l'empire des mots; alors, par l'effet naturel des passions aigries, on crierait contradictoirement à la liberté attaquée, à l'autorité avilie, à la dictature, au terrorisme, au despotisme militaire, à l'anarchie révolutionnaire. Une fois deux partis formés entre les Républicains, leurs véritables ennemis, dont la puissance ne peut renaître que par la division, apparaîtraient plus nombreux, plus avides de vengeance, et plus entreprenans que jamais. Ici, les prêtres rebelles ranimeraient les cendres

mal éteintes du feu qui dévorait les départemens de l'Ouest. Là, s'organiseraient de nouveau ces bandes féroces qui ont promené les massacres dans le Midi. Plus loin, l'Angleterre, toujours habile, toujours vigilante, quand il s'agit de nuire à la France, irait chercher vos déportés, et les vomirait sur vos côtes. Alors, se joignant à leurs complices, condamnés comme eux à la déportation, mais cachés dans l'intérieur, se rassembleraient à un point indiqué ces orateurs des émigrés, ces patrons des prêtres réfractaires, ces protecteurs des brigands de la Vendée, ces défenseurs de l'aristocratie vénitienne contre le gouvernement français et la brave armée d'Italie. Ils se réuniraient en triomphe, forts de leurs anciennes défaites; ils se proclameraient eux-mêmes les martyrs de la Liberté, les victimes de la tyrannie directoriale et militaire, les vengeurs du Corps législatif et des droits de la Nation, les seuls, les véritables représentans du Peuple; en attendant qu'ils pussent se faire reconnaître hautement pour les missionnaires et les précurseurs de la Royauté.

Mais, me répondrez-vous, nous battrons encore la livrée de Louis XVIII: je ne mets pas plus que vous la chose en question. Dès qu'ils auront levé l'étendard royal, nos ennemis seront terrassés; mais leur chute serait précédée par de

nouveaux déchiremens, qu'il faut savoir épargner à la Patrie; mais du milieu de tant d'élémens de discorde, à la voix des orateurs de la contre-révolution, aux acclamations fanatiques des prêtres séditieux, sortirait tout-à-coup la guerre civile, la hideuse guerre civile, avare du sang des principaux royalistes, prompts à se cacher quand le péril commence; prodigue du sang des Républicains dont le péril appelle le courage, et qui n'estiment leur vie que pour en faire un sacrifice à la Liberté.

Je me résume: je crois avoir démontré qu'une loi qui suspendrait en ce moment les séances du Corps législatif ne serait d'aucune utilité au Peuple, aux deux Conseils, au Directoire exécutif; qu'elle ranimerait au contraire les espérances des Royalistes; qu'elle serait avantageuse au parti des émigrés et de l'étranger; qu'elle rassemblerait les élémens épars de la conspiration qui nous environne et nous presse encore; qu'elle anéantirait tous les fruits salutaires qui viennent d'affermir la République, du moins si l'on sait en profiter; qu'elle serait enfin la loi la plus impolitique et la plus funeste qu'il fût possible de rendre dans les circonstances actuelles.

Que l'opinion publique fasse donc justice d'une pareille idée. Ce dont il faut s'occuper, ce qui est nécessaire, ce qui est urgent, c'est d'unir le Corps

législatif et le Directoire par des liens solides et dignes d'eux. Ces liens ne seront pas plus formés par des complaisances serviles que par de sourdes jalousies et des querelles inconsidérées. Je ne connais pas de pacte social entre le maître et l'esclave. Pour les pouvoirs constitués, il ne peut exister de dignité, de sûreté, de force, d'union véritable que dans une indépendance mutuelle, garantie par la Constitution. Des hommes ont conspiré: les deux Conseils, le Directoire et les Armées, se sont réunis pour les punir. Ils sont punis: que l'ordre ne soit pas un moment interverti; que les conseils gardent l'attitude qui leur appartient. Purgés des conspirateurs, et rendus au Peuple, qu'ils reprennent leur vigueur native et constitutionnelle. Le Directoire est dépositaire de la force publique; mais c'est dans les deux Conseils que résident essentiellement l'intelligence et la volonté nationales. C'est du haut de leurs tribunes que doivent partir ces traits enflammés qui vont ranimer l'esprit public abattu par un long sommeil, déconcerter les trames ourdies dans l'ombre, et porter la reconnaissance du Peuple aux braves armées qui le défendent. Ce systême est profondément gravé dans l'âme de tous les législateurs et de tous les membres du Directoire. C'est en le suivant, et ce n'est qu'en le suivant qu'on peut conjurer les orages qui sont

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