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liberté est non - seulement permis, mais voulu, commandé par elle.

En voilà trop, sans doute, pour écarter cette objection misérable, mais avec laquelle l'ignorance et la mauvaise foi ne cessent de combattre toute loi démontrée indispensable. Une autre question se présente. Faut-il, au lieu d'une grande mesure d'exclusion, se contenter d'imposer aux ci-devant nobles un serment spécial et déterminé par la Loi?

Mais, d'abord, quel serait ce serment? Celui de renoncer à leurs privilèges: la Constitution les abolit. De renoncer à leurs titres féodaux : tous les actes qui en seraient souillés à l'avenir sont frappés d'illégalité. De renoncer à l'esprit de domination, au besoin de supériorité : ce serment serait aussi dérisoire qu'inutile.

En second lieu, à la suite des grandes commotions politiques, les sermens sont quelque chose, comme solennité, lorsqu'ils sont prononcés publiquement par des législateurs, par des directeurs, par des juges, au sein des corps électoraux, au milieu des rangs des armées. Comme garantie donnée, ils ne sont rien. Combien de royalistes ont prêté le serment de haine à la Royauté! Les huit dernières années auraient dû nous désabuser de l'efficacité des sermens exigés. Les sermens ne lient pas les hommes qui n'ont d'autre con

science que celle de leurs passions. Comment pourrait-on se fier à ces promesses jésuitiques? Le faible promet et trompe, en attendant qu'il soit fort, et qu'il puisse vaincre. Dans les révolutions, voilà toute la théorie des sermens.

Il faut donc en revenir à la première idée : celle d'exclure les ci-devant nobles de toute fonction, par une mesure législative; mais il ne faut pas dénaturer cette mesure, et la confondre avec une institution célèbre chez le peuple athénien. C'est bien mal à propos qu'un orateur, qui a néanmoins beaucoup de sagacité dans l'esprit, a jeté en avant l'idée de l'ostracisme.

L'ostracisme, comme chacun sait, n'était pas une loi de garantie contre une caste privilégiée : c'était un décret du peuple contre un citoyen dont les talens, les vertus, l'influence semblaient menacer la liberté publique ; c'était un exil honorable, mais nécessaire. Cette institution, utile dans une démocratie pure, serait peut-être trop rigoureuse en toute autre forme de gouvernement. L'esprit de cette institution était d'une telle nature qu'elle ne conserva quelque puissance qu'en frappant des citoyens vertueux. L'exil d'Hyperbolus avilit et brisa ce ressort politique, qu'avait renforcé l'exil d'Aristide.

A l'époque actuelle, il est uniquement question d'écarter de toute fonction républicaine une caste

qui a vu fonder la République sur les débris de ses privilèges. Pour sentir la nécessité d'une loi pareille, il ne faut que de la bonne foi et la prudence la plus vulgaire.

Mais adoptera-t-on la loi proposée par GayVernon'? Ce n'est point mon avis; et ce législateur estimable a senti lui-même qu'elle était loin de remplir le but auquel doit tendre le Corps législatif.

Pour qu'une loi de ce genre ne soit ni injuste, ni arbitraire, deux conditions sont indispensables: la première, de bien déterminer quels hommes vous prétendez exclure; la seconde, d'excepter tous ceux qui ont rendu de véritables services à la Liberté, et qui ne se sont pas démentis.

Je m'explique. Si vous laissez dans votre loi le mot de nobles, sans détermination précise; si vous l'appliquez à ces échevins, à cette foule de secrétaires du Roi, qui ont acheté d'une partie de leur

1. Ce projet de loi fut proposé, au nom d'une commission spéciale, dans la séance permanente tenue au Corps-Législatif le 23 fructidor an V. Il avait pour but d'interdire aux ci-devant nobles l'exercice des fonctions publiques jusqu'à quatre ans après la paix générale. Le conseil des Cinq-Cents ordonna l'ajournement de ce décret.

Le député Gay-Vernon est le même que l'ancien évêque de Limoges qui fut, en 1791, nommé à l'Assemblée Nationale par le département de la Haute-Vienne. (Note de l'Éditeur.)

fortune les mépris et la risée des Patriciens, vous embrassez un cercle immense; vous jetez l'arbitraire dans la loi même; et, par cela seul, vous rendez son exécution impossible. Or, il faut le répéter sans cesse aux législateurs, l'absence d'une loi nécessaire est un moindre malheur que son inexécution.

C'est le patriciat seulement qu'il faut exclure; et, en jetant un coup-d'oeil sur le systême de l'ancien régime, on rassemblera avec précision tous les élémens du Patriciat: il existait dans les qualifications féodales, dans les ordres de chevalerie et dans les chapitres où l'on exigeait des preuves de noblesse, dans la prélature, dans les places de ministres, dans les emplois supérieurs de la diplomatie, dans les magistratures des cours souveraines, dans les conseils d'État, dans les emplois honorifiques des maisons du Roi et des Princes. Je ne rédige pas ici un article de décret, mais je l'indique; et cette simple indication suffit, je pense, pour démontrer que la rédaction précise n'est pas aussi impossible qu'on veut bien le dire.

Quant aux exceptions en faveur des hommes attachés à la classe patricienne, mais qui ont donné des preuves constantes de leur attachement à la Liberté, la rédaction de cet article présente de véritables difficultés. Il faut cependant les

vaincre. Tous les nobles qui ont fait une ou plusieurs campagnes pour la République doivent être dans l'exception: leurs titres sont incontestables. Tous ceux qui ont rempli des fonctions à la nomination du Peuple depuis l'époque du 10 août jusqu'aux élections de l'an V exclusivement doivent être également maintenus dans la pleine jouissance des droits politiques. Pour les différens corps législatifs, je ne sais pourquoi l'on refuserait à l'Assemblée constituante l'honorable exception que l'on accorde aux autres législatures. De tous les nobles qui ont siégé dans cette Assemblée, il en reste tout au plus une vingtaine en France; et ceux-là sont des amis fidèles de la Liberté. Il peut exister sans doute quelques inconvéniens dans cette exception générale en faveur des deux premières législatures; mais on peut assurer que l'émigration les a rendus très-légers. Au reste, de tous les inconvéniens, le plus grave c'est d'être injuste; c'est d'envelopper dans la mesure d'exclusion des Républicains dont les talens, constamment utiles, peuvent encore servir et honorer la Patrie.

Une fois qu'on aura déterminé avec clarté, précision et justice, quels hommes doivent être exclus des fonctions publiques, quels hommes doivent être exceptés de l'exclusion, je le répète : la loi est indispensable. En vain criera-t-on à la persécution,

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