Images de page
PDF
ePub

à la proscription: ce n'est là ni persécuter, ni proscrire. Les échafauds et les prisons de Roberspierre ont compromis la Révolution; des lois de garantie l'auraient maintenue pure des crimes de l'anarchie, et des crimes non moins nombreux de la réaction. La mesure indiquée n'est ni honorable, ni flétrissante pour les individus qu'elle concerne; mais elle est nécessaire à la société : elle écarte des fonctions et les malveillans et les indifférens; elle rallie tous les amis du Gouvernement et de la Constitution de l'an III. Des extravagans seuls peuvent croire que cette Constitution, qui est un ouvrage humain, est douée d'une force surnaturelle et magique, capable de la maintenir sans les hommes et malgré les hommes. Tous les pouvoirs qu'elle organise, tous les citoyens qu'elle protège, doivent veiller à sa conservation: tel est le vœu prononcé par elle. Il faut des nobles et point de peuple pour étayer une monarchie; il faut un peuple et point de nobles pour maintenir une république.

CONVENTION NATIONALE'.

RAPPORT

AU NOM DES COMITÉS D'INSTRUCTION PUBLIQUE

- ET DES INSPECTEURS,

SUR LE MODE DE TRANSLATION

DE MICHEL LEPELLETIER AU PANTHEON 2.

Séance du 22 janvier 1793.

CITOYENS,

Vous léguerez à la Postérité de grands souvenirs et de grands exemples; mais depuis que le Peu

1. M. J. Chénier fut député à la Convention par le département de Seine-et-Oise, dans le mois de septembre 1792. Il touchait à sa vingt-septième année. (Note de l'Éditeur.)

2. Michel Lepelletier de Saint-Fargeau, député à la Convention par le département de l'Yonne, fut assassiné, le dimanche 20 janvier 1793, par un nommé Paris, ex-garde du corps, chez le restaurateur Février, au jardin du Palais-royal, alors

ple français a brisé le joug despotique, ses annales révolutionnaires n'offrent pas une époque plus imposante que celle où nous avons vu presque au même instant un ami de la Liberté tomber sous le fer des assassins, et la tyrannie frappée du glaive de la Loi. Quel était donc le monstrueux pouvoir de cette tyrannie, si du fond de sa prison, et dans son agonie même, elle immolait encore les fondateurs de la République! Toutefois, ce reste de fanatisme et d'idolâtrie que le despotisme expirant laisse au sein des âmes criminelles ou pusillanimes, bien loin de vous effrayer, vous affermira dans la route que vous devez suivre. Lepelletier, immortalisé par son assassin, vous montre la palme civique des martyrs de la Liberté : il vient de prendre place entre Barnevelt et Sidney. Son sort paraîtra digne d'envie à tous les

jardin de l'Égalité. La Convention avait promis une somme de 10,000 livres à celui qui livrerait l'assassin; mais Pâris, se voyant sur le point d'être arrêté à Forges-les-Eaux, en Normandie, où il s'était réfugié, se brûla la cervelle avec un pistolet à deux coups, chargés chacun d'un lingot mâché; il expira à l'instant. La cause de cet assassinat fut le vote de Lepelletier pour la mort de Louis XVI. (Note de l'Éditeur.)

1. On sait que Barnevelt, avocat-général des États de Hollande, et Sidney, fils cadet de Robert, comte de Leicester, furent injustement décapités, le premier, le 13 mai 1619, comme coupable d'avoir voulu livrer sa patrie à la monarchie espagnole, lui, dont tous les efforts avaient eu pour but d'ar

vrais républicains; et les honneurs dont vous récompensez sa mémoire lui donneront des successeurs, qui, comme lui, comme vous, Citoyens, sauront tout sacrifier à la Nation souveraine, et, dans les circonstances les plus graves, environnés de périls et d'orages, considéreront toujours la liberté, le devoir, et jamais la vie.

Ce n'est point ici une mort vulgaire; les funérailles doivent porter également un caractère particulier. Que la superstition s'abaisse devant la religion de la liberté; que des images vraiment saintes, vraiment solennelles, parlent aux cœurs attendris; que le corps de notre vertueux collègue, découvert à tous les yeux, laisse voir la blessure mortelle qu'il a reçue pour la cause du Peuple; qu'une inscription retrace avec une énergique simplicité le glorieux motif de sa mort; que le fer parricide, sanctifié par le sang d'un Patriote, étincelle à notre vue, comme un témoignage des fureurs de la tyrannie et de ses vils adorateurs; que les vêtemens ensanglantés frappent les regards des Citoyens, et prononcent

racher la Hollande à cette puissance; et le second, le 7 décembre 1753, comme prévenu de haute trahison envers l'Angleterre. La sentence prononcée contre Sidney fut abolie la première année du règne de Guillaume. (Note de l'Éditeur.)

d'avance l'arrêt de mort contre l'assassin de la Patrie. Nous verrons marcher devant nous l'image de la Liberté, seul objet des hommages républicains, et la bannière de la déclaration des droits, fondement sacré des Constitutions populaires. Le génie de David animera ces faibles esquisses', tandis que le génie de Gossec fera retentir les sons de cette harmonie lugubre et touchante qui caractérise une mort triomphale. Ainsi, Michel Lepelletier, accompagné de ses vertus, entouré de sa famille en pleurs, au milieu de la Convention nationale, du Conseil exécutif, des Administrateurs et des Juges, dépositaires de la Loi, s'avancera vers le Panthéon français, où la reconnaissance nationale a marqué sa place. C'est là que nous déposerons les restes de notre estimable Collègue; c'est encore là, Citoyens, que nous déposerons les fatales préventions qui nous divisent; c'est là que nous jurerons de nous occuper uniquement du bonheur de la République, de mourir avant qu'elle périsse, de braver également le

1. David, peu de temps après, exécuta ce tableau et en fit hommage à la Convention Nationale dans la séance du 29 mars 1793. L'assemblée, sur la motion du député Sergent, décréta unanimement que le tableau représentant la mort de Michel Lepelletier serait gravé aux frais de la République, et donné aux peuples qui viendraient demander secours et fraternité à la Nation Française. (Note de l'Éditeur.)

« PrécédentContinuer »