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l'empereur Ménélik, qui savait, au moment voulu, mettre en valeur une partie de son empire que d'autres avaient cru pouvoir se partager sans son consentement.

Les provinces équatoriales d'Ethiopie constituent au sud de l'Abyssinie un immense territoire de plus de 740.000 kilomètres carrés, limité au nord par le cours de l'Omo et le cours supérieur de l'Ouebi Chebeli, à l'est par la Somalie anglaise et la côte des Somalis, à l'ouest par le cours supérieur du Nil Blanc et au sud par le deuxième degré de latitude nord.

L'histoire et la géographie de ces régions sont assez peu connues. On sait toutefois que la côte des Somalis fut occupée par les Égyptiens, puis par les Arabes. Les Portugais, à l'apogée de leur puissance, y eurent des établissements. Ils en furent délogés par l'iman de Mascate. Enfin, le dernier maître de ces régions, avant le partage de l'Afrique par les États européens, était le sultan de Zanzibar.

Mais, si la côte était connue, il n'en était pas de même de l'intérieur. Les derniers voyages des explorateurs italiens Robbechi, Grixoni, Ruspoli, Bottego, etc., que notre brillant collaborateur Ned Noll a récemment décrits dans nos colonnes, ont jeté quelque lumière sur ce continent obscur. Il reste pourtant bien des problèmes ethnographiques et géographiques à résoudre.

Les habitants appartiennent, pour la plupart, aux races Somalis, Boran et Galla.

Un grand nombre de fleuves et rivières sillonnent la contrée. Nous devons citer la Djouba et l'Ouebi Chebeli qui coulent à l'océan Indien dans la direction nord-sud, le Sobat, affluent du Nil Blanc, et l'Omo qui se jette dans le lac Rodolphe.

Outre la grande masse d'eau du lac Rodolphe, les lacs Stéphanie, Pagade et Abbaya ont été relevés par les explorations italiennes.

Le système orographique est assez compliqué et peu connu. On sait seulement que la partie centrale est occupée par de hauts pla

teaux.

Avant d'étudier la situation économique et politique des provinces équatoriales, nous dirons un mot de la personne de leurs gouver

neurs.

Le prince Henri d'Orléans est trop connu par sa traversée d'Asie, du Turkestan russe au Tonkin, son exploration de l'inextricable massif du haut Indoustan, et ses voyages en Annam, aux Indes et en Abyssinie, pour que nous croyons devoir parler de lui.

Le comte Léontieff est également un vétéran de l'exploration

Son tour d'Asie exécuté à cheval, sauf quelques minimes parcours à pied ou à dos d'éléphant, sa chevauchée d'Arabie au Maroc l'ont classé parmi les plus hardis voyageurs contemporains. Les auditeurs de la Société de Géographie n'ont point oublié ces charmants récits, où le grand seigneur russe leur contait avec une admirable modestie les tours de force de son voyage asiatique.

Tels sont les deux hommes énergiques auxquels Ménélik a eu la sagesse de confier l'organisation d'une partie de son empire. Il a cru devoir leur abandonner une partie de ses droits souverains. Ils peuvent faire la paix et la guerre. Les troupes du Négus sont à leur disposition pour maintenir l'ordre et faire la police du pays. Les deux gouverneurs emmènent comme escorte particulière 100 Sénégalais recrutés avec le plus grand soin; 10.000 fusils et 2.000.000 de cartouches sont dans les bagages de la mission.

Au surplus, le comte Léontieff et le prince Henri ont cru devoir être discrets sur leurs intentions et sur les termes mêmes de l'investiture donnée par le souverain abyssin. Ils ont eu raison, car les provinces équatoriales vont faire l'objet de bien des convoitises et surtout de bien des regrets.

II. Situation internationale des provinces équatoriales d'Éthiopie.

Si l'on consulte une carte d'Afrique antérieure aux désastres italiens en Érythrée, on voit qu'autour de l'Abyssinie proprement dite, indiquée comme protectorat italien, s'étend une bande de faible largeur de possessions italiennes. Cette bande s'épanouit dans la région sud-est et vient embrasser toute la côte des Somalis sur plus de 12 degrés, du cap Guardafui à l'embouchure de l'Ouebi Chebeli. Les parties sud et sud-est de ces possessions italiennes ainsi que la zone qui les limite au sud, teintée aux couleurs de l'Est africain anglais, constituent les provinces équatoriales d'Ethiopie.

C'est qu'en effet, par les conventions de mars et avril 1891, confirmées en 1894, l'Angleterre et l'Italie se sont partagé les provinces du sud de l'empereur abyssin. Ce dernier ne se laissa pas dépouiller sans élever la voix. Il adressa, dès 1891, à tous les souverains d'Europe une lettre de protestation commençant par ces mots : « Lion vainqueur de la tribu de Juda, Ménélik, élu du Seigneur, roi d'Éthiopie, à notre ami, salut. »

Ce document, qui décrivait les frontières de l'empire, se terminait par cette phrase concernant les provinces équatoriales:

<«< En indiquant aujourd'hui les limites actuelles de mon empire,

je tâcherai, si Dieu veut bien m'accorder la vie et la force, de rétablir les anciennes frontières de l'Éthiopie jusqu'à Khartoum et <«<jusqu'au lac Nyanza avec les pays Gallas. »

Mais ce n'était pas seulement les intéressés directs qui avaient reconnu la spoliation. Dans le traité anglo-allemand de 1890, les pays Gallas étaient dévolus à l'Angleterre. Il n'est pas, jusqu'à l'État congolais qui, dans son traité de mai 1894 avec l'Angleterre, n'ait implicitement reconnu à celle-ci la possession du Sud éthiopien.

Il semble qu'avec de telles garanties diplomatiques, l'Italie et l'Angleterre aient dû jouir, sans conteste, des pays qu'elles s'étaient partagés. Le désastre d'Adoua vint renverser ce bel édifice. L'Italie, renonçant à la politique d'aventures, réduisait bientôt son occupation Nordafricaine à la colonie d'Érythrée. Le désastre de Magadoxo, l'évacuation de Lugh et enfin le massacre de l'expédition Bottego, qui avait voulu forcer le passage malgré l'opposition du djeddas abyssin Loul Segment, rejetaient l'Italie hors de la péninsule des Somalis.

Le départ des Italiens mettait l'Angleterre en présence du véritable propriétaire des terrains qu'elle s'était attribués. Les traités tombaient et les principes du congrès de Berlin, c'est-à-dire la loi de l'occupation effective restaient seuls applicables à la question. Or la suzeraineté anglaise n'existait que sur la carte, alors que des expéditions gallas et amharas venaient constamment jusqu'au sud des provinces équatoriales faire sentir l'autorité du Négus.

Le Foreign office comprit combien sa situation était fausse et se hâta d'envoyer à Addis Ababa une ambassade pour régler amiablement les questions de frontières. La mission Rennell Rod ne semble pas, malgré la taille extraordinaire des membres qui la composaient, avoir obtenu de bien grands avantages dans le traité qu'elle signa le 14 mai 1897 et que vient de ratifier le parlement anglais. En tout cas, le traité est muet sur le principal objet de la mission, la limitation des possessions anglaises et abyssines au sud de l'Abyssinie. C'est que le Négus sait à quoi s'en tenir sur la bonne foi anglaise. Il n'a pas oublié que l'Angleterre, après avoir signé un traité d'amitié avec lui, n'a rien eu de plus pressé que de donner une partie de ses États à l'Italie et de s'attribuer le reste. Aussi le fin diplomate qu'est Ménélik a-t-il su répondre au plénipotentiaire anglais qu'en raison du nombre des États intéressés à la délimitation de son empire, il était prêt à demander aux six puissances garantes de l'intégrité de l'empire ottoman de lui établir et surtout de lui garantir des frontières définitives.

Un semblable règlement ne pouvait convenir à l'Angleterre. Aussi, selon son habitude, elle semble vouloir prendre ce qu'on n'a pas voulu lui donner. Le gouvernement anglais vient en effet de communiquer à la presse la note ci- après :

« On est en train de compléter les préparatifs pour l'envoi dans « la vallée du haut Nil d'une expédition exceptionnellement forte « placée sous le commandement de M. Cavendish. L'objectif de <«la Mission serait d'atteindre la jonction du Sobat avec le Nil << Blanc. 1»>

Cette expédition traverserait donc en diagonale les provinces équatoriales dans toute leur étendue.

Il est en outre hors de doute que le major Mac Donald, actuellement aux prises avec les troupes révoltées de l'Ouganda, avait des instructions pour envahir le terrain contesté.

Enfin, le dépit anglais éclate, quand M. Curzon faisant allusion au nouveau gouvernement des provinces équatoriales d'Éthiopie déclare dédaigneusement, le 24 février, à la Chambre des Communes, qu'il n'a connu que par les journaux les concessions de territoire qui auraient été faites par Ménélik à certaines personnes.

On voit par ce court exposé que la situation internationale du sud de l'Empire éthiopien, très nette en droit, l'est un peu moins en fait par suite des prétentions de l'Angleterre.

Mais l'empereur abyssin est de force à faire valoir ses droits, et sait en outre qu'il est en Europe des nations décidées à défendre <«<le droit et la justice ».

III. Situation et avenir économique des provinces équatoriales

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Il n'est malheureusement pas en notre pouvoir de donner une idée d'ensemble de la situation économique présente et à venir des provinces équatoriales d'Éthiopie. Le pays est trop peu connu et présente des régions trop variées pour qu'il soit possible d'en préciser l'avenir commercial. Nous pouvons toutefois éclairer nos lecteurs par quelques citations relevées dans les récits des explorateurs dont le témoignage ne parait pas suspect.

Disons d'abord que le principal courant commercial du pays se dirige vers le sud-est, pour passer par le grand centre de Lugh sur la Djouba, où le sultan de l'endroit parait avoir bien compris l'art de rançonner les caravanes et convois. La réglementation officielle des

1 D'après des documents récents, l'Angleterre aurait renoncé provisoirement à l'envoi de l'expédition Cavendish.

droits de vente, de passage ou de séjour à Lugh, ne déparerait pas, par ses minuties et complications, nos meilleurs recueils administratifs.

Vers le centre de Lugh affluent des caravanes apportant les produits des Gallas (ivoire, café, esclaves), des Borrans (peaux, esclaves, ivoire, plumes d'autruche, gomme) et des Somalis (gomme, myrrhe, bestiaux).

Le système monétaire dont les éléments sont le thaler, certaines perles de verre, des bouquets d'aigrette et des cotonnades américaines, y est des plus compliqués. Il en est de même des mesures de longueur; la principale unité officielle, le drahar ou coudée, se mesure de la pointe du coude à l'extrémité du petit doigt du marchand. L'acheteur a donc intérêt à s'adresser à un vendeur de grandes dimensions.

Le commerce extérieur de Lugh, malgré les entraves apportées aux échanges par la réglementation et les bizarreries telles que nous venons d'en signaler, s'élève au chiffre considérable de 4.000.000 de thalers de Marie-Thérèse.

Un autre courant commercial moins étendu, se dirige vers le nordest, sur le centre toujours grossissant de Harrar. Les principaux produits sortant par le Harrar sont la cire, l'ivoire, les bestiaux, la gomme et surtout le café. On n'ignore pas que la totalité du café vendu en Europe sous le nom de moka, provient du Harrar.

Laissons maintenant la parole aux explorateurs africains qui ont, en dernier lieu, traversé les provinces équatoriales.

Dans la relation de son deuxième voyage en Afrique orientale, le capitaine Bottego s'exprime ainsi :

Pendant dix jours consécutifs, nous avons marché dans des terres cultivées sans discontinuité, coton, haricots, tabac, etc., très riches en eau que les indigènes recueillent dans des citernes..... Finalement, nos opérations terminées, nous descendons sur la rive du très grand et très beau lac Pagade, le plus gracieux que l'on puisse imaginer. Il mesure dans sa longueur 150 kilomètres, et ses eaux, très limpides et calmes, reflètent un archipel de douze iles, toutes habitées et cultivées à l'égal du rivage, en partie sans discontinuité et produisant du coton, du manioc, etc... Après avoir fait le tour du lac, nous trouvons des cultures encore plus riches et la population la plus nombreuse de tout le pays Badditou. Là se trouvent blé, orge, tabac, haricots, fèves, pois, blé de Turquie, café, différentes espèces de tubercules, choux bambous, dattiers, etc...

Quant au climat, aux produits du sol et à la beauté du panorama, on croirait traverser une des plus riches vallées du nord de l'Italie.....

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