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se déclarait l'adversaire résolue de tout progrès nouveau des troupes japonaises et de toute occupation d'une partie quelconque de la Chine par le gouvernement de Tokio.

Poussant encore plus loin son intervention dans le conflit sino-japonais, la Russie signifiait au Japon qu'il eût à se retirer de la Corée et à respecter l'indépendance de ce pays.

On n'a pas oublié que le prétexte de la guerre fut la volonté exprimée par le Japon de soustraire la Corée à la suzeraineté de l'empire chinois. Ce n'était bien, en réalité, qu'un prétexte, car le véritable but du Japon était de prendre pied sur le continent asiatique, de s'emparer de la Corée et de la presqu'ile de Lia-Tung et, par son occupation de ces territoires, de mettre une barrière aux progrès de la Russie du côté des mers du Japon et de la Chine. Les Russes ne possédaient alors sur les mers qu'un seul port, celui de Vladivostock, peu favorable à leurs ambitions, car il est fermé par les glaces pendant huit mois de l'année. Si les Japonais parvenaient à mettre la main sur la Corée et sur la presqu'île de Lia-Tung, la Russie serait condamnée à se contenter de Vladivostock; elle serait confinée dans la région des glaces, elle ne pourrait pas se développer dans les mers extrême-orientales où le Japon serait prépondérant, surtout s'il avait l'appui de l'Angleterre et de la France.

Les calculs du gouvernement japonais étaient incontestablement fort habiles, mais ils ne pouvaient être suivis d'effet que si la France et l'Angleterre marchaient d'accord l'une avec l'autre et toutes les deux, avec le Japon. Il en eût été ainsi probablement si notre alliance avec la Russie, alors peu connue en France, ne nous avait pas entraînés dans une voie où le sentiment devait avoir sur nos actes plus d'influence que le souci de nos intérêts.

Il n'est pas douteux que notre intérêt est contraire au développement, dans les mers extrême-orientales, d'une influence européenne quelconque; s'il nous était impossible, en 1895, d'en chasser ceux qui s'y étaient déjà installés, nous devions nous efforcer d'empêcher toute intervention nouvelle. Nos intérêts étaient, en cela, d'accord avec ceux de l'Angleterre. On ne peut donc pas s'étonner que le Japon comptât sur nous comme sur les Anglais pour mettre obstacle à la pénétration de la Russie dans des mers où la France, l'Angleterre et le Japon seuls avaient alors des établissements et dont ils devaient rester les maîtres s'ils savaient s'entendre pour en écarter les autres nations.

Par suite d'une interprétation erronée des devoirs que nos rela

tions avec la Russie lui imposaient, notre diplomatie adopta une politique toute différente de celle que je viens d'exposer. Au premier signe qui nous fut fait par le gouvernement du Tsar, nous changeâmes d'attitude. Nous séparant de l'Angleterre et du Japon, avec qui nous avions jusqu'alors marché, nous emboitâmes le pas à la Russie, nous nous joignîmes à elle pour imposer au gouvernement de Tokio la signature d'une paix aussi honorable pour la Chine qu'humiliante pour l'amour-propre japonais. Les troupes japonaises devaient quitter immédiatement la presqu'île de Lia-Tung et la Corée; elles ne conservaient un pied à Weï-Haï-Weï que jusqu'au paiement de l'indemnité de guerre, et le rêve qu'avait fait le mikado d'une entrée triomphante à Pékin s'évanouissait pour toujours.

La Russie avait été puissamment aidée, dans cette circonstance, par la France d'abord, par l'Allemagne ensuite. La France renonçait à ses ambitions les plus légitimes par simple amitié pour son alliée; l'Allemagne était inspirée par le désir de mettre obstacle aux projets de la Grande-Bretagne et de la France; mais ni l'Allemagne ni la France ne paraissaient se douter qu'elles travaillaient au profit presque exclusif de la Russie et que celle-ci recueillerait le principal fruit de la politique suivie en commun par les trois puis

sances.

On ne commença à s'en apercevoir, à Paris et à Berlin, qu'au moment où la Chine, en 1895, contracta l'emprunt de 500 millions destiné au paiement de la première partie de l'indemnité de guerre qui lui avait été imposée par le Japon. Ce fut la Russie qui eut l'honneur et l'avantage de fournir à la Chine les cinq cents millions dont elle avait besoin. Je dis « honneur », car c'était la première fois que le gouvernement de Pékin traitait de la sorte avec une nation occidentale; et j'ajoute « avantage », car non seulement la Russie encaissa les millions, profits de cette opération financière réalisée avec notre argent, mais encore elle eut la grande habileté de se faire payer par de très importantes concessions territoriales et autres le service qu'elle rendait à la Chine. Indépendamment de la garantie qu'elle obtint sur les douanes chinoises, elle se faisait concéder le droit de pousser son chemin de fer transsibérien à travers la Mandchourie jusqu'à Vladivostock et elle posait les bases de l'occupation de Port-Arthur et de Talien-Wan, à laquelle la Chine a définitivement consenti par le traité du 27 mai 1898.

Par ce traité, la Russie obtient dans les mers de Chine deux ports ouverts à la navigation pendant toute l'année; elle n'était, dans le

nord de l'Asie, qu'une puissance terrestre; elle y devient, en outre, puissance maritime de premier orde. Par Talien-Wan, en effet, elle domine la Corée et fait face au Japon, tandis qu'avec PortArthur elle tient sous son influence tout le golfe du Petchili et la route marine vers Pékin. Lorsque le Transsibérien sera terminé, lorsqu'elle l'aura relié à Talien-Wan d'une part, à Port-Arthur de l'autre, elle pourra transporter par terre, en quelques jours, et dans les conditions de la sécurité la plus parfaite, toutes les troupes qu'il lui plaira de réunir dans le nord de la Chine. Avec un bon amiral et de fortes escadres, elle sera la maîtresse incontestée de toute la région septentrionale des mers de Chine, en même temps qu'avec le Transsibérien elle détiendra le monopole de tous les transports de marchandises riches entre l'Europe et le nord de l'Extrême-Orient. Dans son mouvement d'expansion sur les mers de Chine, le Japon seul était susceptible de la gêner, surtout s'il se mettait d'accord avec l'Angleterre ou avec l'Allemagne. Elle est en train de se rapprocher de lui, de le faire entrer dans sa sphère d'influence, en constituant avec lui le condominium coréen.

La Corée avait été, depuis trois ans, une véritable pomme de discorde pour la Russie et le Japon la première ne cachant pas assez l'intention d'y établir son protectorat, le second invoquant des droits antérieurs et ne dissimulant pas sa résolution de faire appel à des concours extérieurs afin de les faire valoir. Cette situation était périlleuse pour la Russie, elle lui créait une préoccupation incessante et la gênait dans la marche régulière de ses ambitions. Elle en est sortie par le traité qu'elle vient de signer avec le Japon et qui garantit l'inpendance de la Corée, sous le contrôle russo-japonais. En raison de la supériorité de sa puissance, la Russie n'en jouira pas moins d'une influence prépondérante sur le gouvernement coréen, et toute cause de conflit avec le Japon se trouve écartée.

Il était impossible que les progrès si considérables faits par la Russie dans le nord de la Chine, à la suite de la guerre sino-japonaise, ne provoquassant pas l'envie et l'appétit des autres nations européennes.

L'Allemagne en a pris prétexte pour exiger du gouvernement de Pékin la cession à bail du port de Kiao-tchéou, au sud du golfe du Petchili, et la concession d'un chemin de fer qui mettra sous son influence les provinces de Chan-toung et de Hou-nan, c'est-à-dire toute la portion méridionale du golfe du Petchili et l'une des routes qui, par terre, conduisent à Pékin.

L'Angleterre ne pouvait manquer d'imiter l'exemple de la Russie

et de l'Allemagne. Avec des allures plus modestes, moins belliqueuses, que celles de l'Allemagne, mais avec une habileté remarquable, elle est en train de se faire dans l'empire chinois, une situation sinon supérieure à celle de la Russie, du moins égale à certains égards et beaucoup plus avantageuse que celle des Allemands.

En même temps qu'elle fournissait à la Chine, d'accord avec e gouvernement de Berlin, les quatre cents millions nécessaires au paiement de la seconde moitié de l'indemnité de la guerre sino-japonaise, elle se faisait céder à bail le port de Weï-Haï-Waï, et attribuer la direction des douanes chinoises pour tout le temps où son commerce avec la Chine sera supérieur à celui des autres nations européennes; elle s'emparait, en outre, d'une action prépondérante sur les douanes intérieures de l'empire et par conséquent sur son administration; elle mettait à l'abri des convoitises de l'Europe et, par le fait, réservait à sa propre influence tout le bassin du Yan-tsé Kiang, c'est-à-dire le cœur mê me de la Chine; enfin elle se faisait donner en face de Hong-Kong, dans le bassin de la rivière de Canton, un territoire qui lui assure la domination de toute la vallée du SiKiang.

Qu'elle se mette d'accord avec les Etats-Unis déjà maîtres des Philippines, et elle aura, dans les parties centrale et méridionale des mers de Chine, une situation au moins égale à celle que la Russie occupe dans la région septentrionale de ces mers.

Si j'ajoute que l'Angleterre est déjà prépondérante au Siam, qu'elle est en train d'angliciser toutes les familles riches de ce pays, qu'elle en dirige l'administration intérieure et la politique extérieure, qu'elle est moralement, en un mot, la protectrice du gouvernement de Bangkok, j'aurai donné une idée exacte de la puissance à laquelle la Grande-Bretagne s'est haussée en Extrême-Orient depuis la guerre sino-japonaise.

Il me resterait à parler de la situation qui est faite à la France dans les mers de Chine. Je réserve ce sujet pour un prochain article.

J.-T. DE LANESSAN,

Ancien gouverneur général de l'Indo-Chine,

Député.

LA MONNAIE DANS L'INDE ANGLAISE

ET

SA RÉPERCUSSION SUR LA SITUATION FINANCIÈRE DE LA COCHINCHINE

La baisse de l'argent a, depuis 1873, pesé lourdement sur le budget de l'Inde. Ce budget est chargé de très lourdes sommes à payer en or en Angleterre, soit pour des dettes à intérêt, soit pour des pensions, soit pour des dépenses annuelles, par exemple, la partie européenne de son armée coloniale.

En 1873, avant la baisse, cette dette était de 13.285.000 livres sterling et coûtait à acquitter 142.657.000 roupies, au change d'alors de 1 shilling 10 pence et 1/2 par roupie '.

En 1893, elle s'était élevée à 16.532.000 livres sterling pour lesquelles il fallait 264.785.000 roupies, le change étant tombé à 1 shilling 3 pence.

Si on fait abstraction de l'augmentation effective de la dette d'or, on trouve que la baisse du change seule avait entraîné une augmentation de 87.265.000 roupies.

C'était la débâcle, il fallait l'enrayer.

.*.

Pouvait-on compter sur l'intervention des causes extérieures de rehaussement de l'argent? Non; l'Angleterre se refusait à devenir bimétalliste, et il paraissait certain que ni l'Allemagne, ni les ÉtatsUnis, ni la France ne reprendraient sans elle la frappe de l'argent. On avait pensé aussi que la baisse amènerait la fermeture de nombreuses mines et arrêterait automatiquement l'afflux du métal sur le marché. Quelques mines à rendement faible durent sans doute fermer; mais l'extraction générale n'en fut pas affectée; du reste, il existe dans cette industrie un élément puissant de vitalité : l'espoir incessant de tomber sur un filon abondant qui paiera les sacrifices d'années infructueuses, et l'on continue quand même.

Parmi les États argenticoles ou bimétallistes, il y avait plutôt tendance à renoncer à l'argent.

Enfin, les métaux précieux jouent dans le règlement des affaires

La roupie, 13 gr. d'argent, est la seule monnaie légale dans l'Inde anglaise.

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