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les Philippines ne peuvent être secourues. Les Américains peuvent en toute liberté élaborer des plans et les mettre à exécution. Si le gouvernement a foi dans le Parlement, le représentant du peuple, ce sera le moment de demander à ce peuple si, oui ou non, il veut continuer sans vaisseaux une guerre lointaine dans les colonies, une guerre pendant laquelle les nouvelles ne nous apprendront que la mort de nos fils tués à des milliers de lieues. Si la représentation nationale ne sert pas à transmettre au gouvernement l'opinion du pays, à quoi donc peut-elle servir? La Epoca est non moins catégorique en écrivant :

Et maintenant que cette escadre est perdue, que la flotte de Manille est détruite et que les vaisseaux de Camara, sans but fixé, ne savent s'il faut gagner l'Orient ou l'Occident, que pouvons-nous faire contre les Américains?

Pouvons-nous trouver à Cuba, aux Philippines, à Puerto-Rico des éléments de combat suffisants? Pouvons-nous sans vaisseaux envoyer à nos colonies des hommes, des munitions et des vivres? Le ministre de la guerre semble se leurrer de la vague espérance que sans cartouches et sans pain nos soldats pourront continuer la lutte.

Et M. Sagasta veut lutter encore. Cette attitude est logique puisque déjà au commencement de la guerre nous marchions au combat sans chance de réussir. Nous marchions vers le désastre. Le désastre est là maintenant. Nous avons perdu 24 vaisseaux, et aux Philippines nous ne possédons plus que le sol où campent nos troupes. A Santiago, les forces des Américains s'accroissent et bientôt leurs vaisseaux bombarderont nos ports. Certes, nous ne doutons pas de la vigueur de notre race et nous sommes les premiers à admirer le courage de notre armée. Cependant, sans escadre et sans munitions que faire dans la lutte? Le gouvernement invoque de soi-disant raisons patriotiques. Mais le patriotisme ordonne-t il de laisser fusiller nos soldats qui n'ont plus de cartouches pour leurs fusils, qui n'ont plus d'obus pour leurs canons?

En ALLEMAGNE, les journaux conseillent aussi généralement la paix. On lit par exemple dans la Gazette de Voss:

L'Espagne va-t-elle enfin se décider à abandonner une lutte sans espoir parce qu'elle est devenue par trop inégale, et ouvrir elle-même directement des négociations à Washington ou faire appel à une intervention des puissances? L'orgueil espagnol s'insurge encore contre une telle pensée. Et pourtant vouloir continuer la guerre encore aujourd'hui, ce serait de la folie, une héroïque folie sans doute, mais de la folie. L'honneur national de l'Espagne est suffisamment sauvegardé par l'héroïque défense de Santiago et le glorieux anéantissement de l'escadre Cervera. Pour continuer la guerre, l'Espagne manque de tout. Elle n'a plus ni flotte qui pourrait se mesurer avec la flotte américaine, elle n'a plus non plus les ressources financières nécessaires. Que peut le légendaire esprit chevaleresque de la nation espagnole contre cette situation désespérée?

La Germania dit que la disparition de la flotte de l'amiral Cervera ne laisse plus aux Espagnols l'espoir de pouvoir défendre efficacement San

tiago. Elle ajoute que le ministre de la guerre d'Espagne doit aujourd'hui se familiariser lui-même avec l'idée de conclure la paix.

La Gazette de l'Allemagne du Nord dit que la destruction de la flotte de Cervera porte à la puissance maritime de l'Espagne un coup mortel.

Le Berliner Tageblatt prévoit que, d'ici à peu de temps, la capitulation de Santiago aura détruit les illusions espagnoles et porté un coup cruel à l'optimisme des hommes d'État de Madrid.

L'Espagne n'a plus qu'une ressource: se décider à conclure une paix honorable.

En AUTRICHE, on rencontre encore la même unanimité.

La Nouvelle Presse libre fait ressortir que l'héroïsme de la flotte de l'amiral Cervera est de nature à atténuer le désespoir que sa défaite soulèvera en Espagne, et cela d'autant plus que c'est uniquement l'honneur national qui a lancé les Espagnols dans une guerre contre l'Amérique, et non la foi en un succès plus qu'invraisemblable. Or, l'honneur national a été augmenté d'un nouveau titre de gloire. En continuant maintenant la guerre avec des moyens de plus en plus insuffisants, l'Espagne ne pourrait qu'accroitre ses malheurs, mais une paix honorable lui serait assurée en tout cas par le sacrifice héroïque de sa flotte.

Le Fremdenblatt croit également que la partie est désormais perdue pour l'Espagne qui pourrait, en persistant dans la lutte, arriver tout au plus à retarder la défaite finale. Le peuple espagnol a fait suffisamment de sacrifices pour l'honneur national et peut, maintenant que celui-ci est sauf, se familiariser avec l'idée de conclure la paix avec l'Amérique.

La Gazette allemande écrit:

Par la chute du brave et capable, mais malheureux amiral Cervera, le sort maritime de l'Espagne est décidé. La tragédie de l'héroïque marin clôt le premier acte du drame qui se joue à Cuba et aux Philippines.

En ANGLETERRE, le Daily Graphic écrit:

Certainement le moment est arrivé où les patriotes de sang-froid peuvent prononcer le mot de « paix ». Dans le premier accès d'amertume causé par l'arrivée de la terrible nouvelle, M. Sagasta avait repoussé l'idée de s'en remettre à la volonté du vainqueur. Il rappelle qu'il y a encore à la Havane l'armée du général Blanco et que tout espoir n'est pas perdu.

A la vérité l'Espagne pourra encore prolonger la lutte pendant plusieurs mois, mais l'issue est facile à prévoir et la cause de l'Espagne est une cause perdue.

Dans de telles circonstances, il n'est plus ni courageux ni patriotique d'aller au-devant de nouveaux désastres.

Les troupes américaines ne sont pas en état de lutter avec les légions du maréchal Blanco à la Havane, mais ces troupes ne peuvent par contre défendre la Havane des ravages que les Américains pourraient y causer.

De promptes négociations de paix peuvent seules sauver Santiago et Manille, et si ces ouvertures sont rejetées, le commodore Watson viendra bientôt bombarder les côtes d'Espagne, et infliger à l'amiral Camara un

désastre comme ceux de Manille et de Santiago. Si M. Sagasta ne recule pas devant ces terribles possibilités, il encourra une terrible responsabilité. Le pavillon espagnol s'est couvert de gloire, l'honneur a été largement satisfait. Il faut qu'un patriotisme moins étroit se rende compte des véri tables intérêts de la nation, il ne faut pas que la passion d'un moment puisse entraîner l'ultime décadence de ce peuple conscient et fier. Que l'Espagne reprenne un nouvel espoir en voyant l'héroïsme déployé par ses fils dans la présente guerre. C'est à ses hommes d'État de ne pas épuiser ces grandes qualités afin que les génération futures ne soient pas écrasées par les sacrifices inutiles de la génération actuelle.

On lit d'autre part dans le Saint-Jame's Gazette:

La destruction de l'escadre espagnole donne à l'escadre américaine l'entière liberté de ses mouvements, lui permettra même, si le gouvernement le veut, d'aller attaquer les cótes d'Espagne.

En attendant la prise de Santiago assure aux Américains un solide point d'appui à Cuba et une base d'opérations d'où ils pourront résister à toutes les forces espagnoles de l'ile.

Les conséquences politiques sont plus délicates à envisager. Ce désastre coincidant avec l'arrivée à Manille des premiers renforts donnerait aux Espagnols une bonne occasion de faire la paix. L'honneur ne peut commander de faire davantage : ils ont combattu aussi bravement que possible. Cependant il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'ils continuent la lutte... Et la Gazette ajoute, montrant ainsi le bout de l'oreille :

Mais que vont faire les Américains? Que va faire l'Europe? Les Américains ne permettront à aucune puissance de placer un mot dans la discussion finale. Une politique de paneuropéanisme est impossible sans l'adhésion de l'Angleterre, surtout s'il faut agir sur mer. Et maintenant justement l'Angleterre aurait beaucoup de raisons pour ne pas se ranger du côté de l'Europe. Quelles que soient les intentions de l'Europe envers l'Amérique, s'il existe une coalition contre les États-Unis, l'Angleterre n'en fera point partie, et sans l'Angleterre cette coalition net pourra qu'échouer.

Le Daily News écrit:

Il est probable que l'amiral Cervera a tenté de fuir Santiago, non pas parce qu'il croyait tout espoir perdu, mais parce que justement les renforts venaient d'arriver. Sa présence dans le port n'était plus nécessaire, et, au lieu d'être pris comme un rat dans une souricière selon ses propres termes, il préférait tenter la chance de s'enfuir. Maintenant Santiago succombera; mais l'échec de Cervera n'a pas changé grand'chose à la situation et on ne peut qu'admirer la fermeté des Espagnols qui veulent lutter jusqu'au bout tout en convenant que la paix serait maintenant pour eux infi niment plus profitable.

Enfin l'Economist, dans une étude très approfondie, se demande si une intervention étrangère est possible aujourd'hui.

Qui est-ce qui interviendrait? dit-il. Et pourquoi? A ces deux questions on ne voit aucune réponse raisonnable.

Qui interviendrait? Ce ne serait pas l'Europe entière, car la GrandeBretagne se tiendrait à l'écart et le concert européen est beaucoup trop circonspect, et même défiant, pour agir sans elle et risquer de transformer sa sympathie pour les États-Unis en une alliance active.

Ce ne serait pas la France, bien que l'on compte beaucoup sur elle en Espagne. Sans doute la France a de grands intérêts engagés dans les entreprises financières et industrielles de l'Espagne; elle a avec elle des liens de sympathie et elle pourrait craindre que des désordres en Espagne n'aient leur contrecoup chez elle. Mais cela ne suffit pas pour que la France s'engage dans une guerre avec les États-Unis. Elle n'a rien à y gagner et beaucoup à y perdre, à savoir sa flotte et une indemnité à payer. Une défaite lui barrerait l'accès de l'Algérie et pourrait y amener une révolte. Enfin la Russie la détournerait d'une guerre semblable.

La Russie cherche avant tout à s'étendre en extrême Orient et ne tient pas à ce que l'Amérique s'immisce dans les affaires de l'Europe. D'autre part une défaite affaiblirait son alliée et elle-même par contrecoup. Enfin, même si l'Angleterre se tenait tranquille, la Russie détournerait la France de cette guerre, car ses hommes d'État sont désormais persuadés à jamais de l'hostilité de l'Angleterre à l'égard de la Russie.

Restent l'Autriche et l'Allemagne. L'Autriche est liée, il est vrai, par des liens de famille avec l'Espagne, mais elle n'a pas de flotte et ne désire pas de colonies.

L'Allemagne, elle, n'agirait que par intérêt mmédiat. Mais l'Allemagne ne peut pas annexer les Philippines pour être simplement venue au secours de l'Espagne; y avoir un dépôt de charbon serait une compensation insuffisante des frais de la guerre. D'autre part, elle ne pourrait guère faire de mal à la flotte américaine, tandis que celle-ci porterait grand tort à son commerce. Sans doute, si la flotte votée par le Parlement était déjà construite et si l'empereur pensait pouvoir mettre la main sur le sud du Brésil ou sur l'Uruguay, il est possible que l'Allemagne se lançât dans cette aventure, mais la flotte n'est pas prête et l'empereur n'a sous la main aucun prétexte de conflit avec l'Amérique du Sud qui puisse lui servir tant qu'il n'est pas sûr de l'appui ou même de la connivence des colons allemands de La Plata, lesquels ne sont nullement pressés de se soumettre de nouveaux aux lois de la conscription.

Il n'y a donc aucune puissance qui soit pour intervenir d'une façon directe, car les représentations diplomatiques n'auraient aucune sorte d'effet.

Les gouvernants espagnols devraient songer que toute grande puissance consulte surtout ses intérêts. Or pourquoi l'une d'elles interviendraitelle?

L'Espagne n'a pas de colonies à céder, puisqu'elles sont à peu près occupées par l'ennemi. Le Maroc ne lui appartient pas ; elle n'a donc rien à donner de ce côté. Comme alliée maritime, elle ne saurait plus compter à présent.

Et l'Economist conclut :

Il ne reste donc plus qu'à obtenir du gouvernement américain les conditions les plus acceptables possibles. Sans doute elles seront assez dures, mais elles ne porteront que sur les colonies espagnoles. Or, celles-ci n'ont pas été administrées jusqu'ici de telle façon qu'elles soient une source de revenus pour la Métropole; nous osons même dire au contraire. Peutêtre donc se pourrait-il que cette perte soit plus dure à supporter en apparence qu'en réalité et il n'est pas impossible que l'Espagne, affranchie de ce qui étai en fait pour elle une source de dépenses, ne relève ses finances plus rapidement qu'autrement.

RENSEIGNEMENTS POLITIQUES

Le ministère Brisson. Quand M. Félix Faure invita M. Brisson à former un ministère que, ni M. Ribot, ni M. Sarrien, ni M. Peytral n'étaient arrivés à constituer, on pensa communément que c'était un cabinet homogène radical qui sortirait de ces pourparlers. C'est en fait un ministère républicain dont le programme soumis immédiatement au feu d'une brillante interpellation de MM. Krantz, Ribot et Beauregard a été accepté par la majorité progressiste de la Chambre.

Les considérations de personnes étant évidemment indifférentes au pays, quelle sera la politique extérieure et coloniale de ce cabinet, dans la mesure où une déclaration ministérielle permet d'augurer d'une politique?

Nous retenons volontiers les affirmations contenues dans cette déclaration; elles témoignent de l'intention formelle du cabinet de suivre la politique qui est celle de la France depuis dix ans au dehors.

« Nous vous prierons de résoudre le plus promptement possible la question de l'armée coloniale. La défense de notre vaste empire d'outre-mer doit être assurée.

«La conquête que nous en avons faite ne doit pas être pour la France une gloire stérile. (Très bien! au centre.) Il faut appeler dans ce domaine nouveau les énergies qui ne trouvent pas leur emploi dans la métropole et favoriser cette émigration d'intelligences et de capitaux qui permettra l'exploitation des ressources presque intactes dont nos colonies abondent.

« Fidèle à une alliance populaire et déjà consacrée par le temps (Applaudissements), notre politique extérieure demeurera pénétrée du sentiment national qui a inspiré ce grand acte. (Applaudissements.) Forte de l'appui des représentants du pays auxquels les renseignements ne seront pas ménagés (Applaudissements à l'extrême gauche), elle défendra avec une égale vigilance le patrimoine moral et les intérêts matériels de la France, »

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