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Yunnan qui, à Tong-Hing (Chine), de l'autre côté du fleuve, se vendait à prix très réduit. Il en était de même de la cotonnade, du pétrole et d'une foule d'objets de première nécessité. Aussi, entre Tong-Hing et les villages voisins de Mon-Kay (Traco, Hacoï, etc.), où n'existait aucun poste de douane, y avait-il un va-et-vient continuel.

Des hommes armés colportaient de Chine au Tonkin et du Tonkin en Chine les denrées que la douane française taxait aux portes de Mon-Kay.

Dans un voyage à l'intérieur que je fis en février 1895 avec le chef de la circonscription de douane de Mon-Kay 1, nous reconnûmes parfaitement que les voies de la piraterie et de la fraude étaient identiques, ce qui m'amena à conclure que tout pillard était doublé d'un contrebandier.

Le commandant du 1er territoire militaire, comprenant tout l'intérêt qu'il y avait pour l'avenir de Mon-Kay et pour le progrès de la pacification à faire disparaître ce régime qui faisait l'épouvante des populations et rendait presque déserte la route de Tong-Hing, amena le gouverneur général, qui était à cette date M. Rousseau, à abroger du moins momentanément l'arrêté de M. de Lanessan qui instituait un poste de douane à Mon-Kay. Le système, d'ailleurs, avait, depuis plus d'un an déjà, commencé une marche rétrograde. Dès le mois de décembre 1893, le poste douanier de Pac-Si devenait poste militaire; en avril 1894, le poste de DongMo- près d'Hoan-Mo était supprimé, et aujourd'hui, depuis le transfert à Hui Ngoc du poste de Mon-Kay, il ne reste plus rien de la mâchoire de fer »>, créée par M. Coqui sur la frontière du premier lerritoire.

La Douane, du reste, était absolument impuissante à empêcher la contrebande, même dans un rayon d'un kilomètre autour de MonKay, et, malgré le zèle de M. Durivault, sa sphère d'action ne s'étendait nullement. L'indigène, consacrant à frauder toute son intelligence, trouvait les moyens les plus ingénieux pour tromper la vigilance des douaniers qui passent à ses yeux pour de vulgaires pirates, car on n'ôtera jamais de son esprit l'idée que tout collecteur d'impôts ne garde pour lui la majeure partie de ce qu'il perçoit au compte de l'État. Du reste, pour lui, le temps ne compte guère, et pour gagner 3 ou 4 centimes, il arpenterait volontiers une journée entière le terrain qui dépare Tong-Hing de Mon Kay. Aussi, ironie du

1 M. Durivault, contrôleur de 2o classe.

sort, les vrais contribuables étaient les officiers et les fonctionnaires français qui achetaient à Mon-Kay allumettes, pétrole, etc., toutes denrées que l'indigène se procurait à Tong King à bien meilleur marché.

- Cependant, en établissant le régime ad valorem, faudra-t-il percevoir sur les produits les taux les plus modérés, si on veut les amener sur les marchés du Tonkin, car déjà ils ont une tendance à prendre le chemin de Pac-Koi, par Long-Tchéou et Nanning Fou, et le chemin de Canton par le Si Kiang qui est navigable jusqu'à Ho-Tchou Fou. Quant aux marchandises anglaises et allemandes, elles pénètrent dans le Yunnan et le Quang-Si par Pac-Koi'.

Les caravanes atteignent même le haut Laos, par Pe-Se et XienHong; mais le commerce du haut Laos qui consiste principalement en thé, coton, cornes, ivoire, plumes, indigo, riz, sel et peaux, n'est pas assez important pour justifier une marche qui dure parfois trois mois. Les produits déboucheraient plutôt vers Tourane, Bangkok ou Moulmein.

En ce qui nous concerne, nous devons donc, sur la frontière du Yunnan, du Kouang Si et du Kouang Tong, abaisser notablement nos tarifs douaniers et multiplier pour l'échange nos articles d'exportation. On ne saurait croire, en effet, combien grande est la tendance de l'indigène à acheter bon marché. Qu'importe la qualité de l'objet, pourvu que sa bourse, très légère, puisse lui en permettre l'achat! Les Anglais, les Américains et surtout les Allemands ont bien compris l'esprit insouciant du Chinois montagnard et agriculteur, et ils ne produisent sur les marchés de Chine que des articles de pacotille, vendus à des prix incroyablement réduits.

L'avenir commercial de notre colonie est là: l'abaissement sinon la suppression du tarif douanier qui pourrait être ramené à un simple droit de statistique; la confection — sur place, si c'est possible, avec la main-d'œuvre indigène qui est peu coûteuse d'articles d'échange qui se vendraient moins cher que ceux que livre actuellement l'industrie allemande; la création enfin de bonnes routes muletières et la continuation en Chine de notre chemin de fer.

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Le plus puissant élément de civilisation, le facteur le plus important pour le développement du commerce est sans contredit la voie

1 Une voie Decauville relie aujourd'hui Pac-Koi au Si Kiang que l'on atteint en trois jours à Wang-Chou.

ferrée. Les autres nations européennes qui nous disputent l'honneur et le profit de coloniser l'Extrême-Orient, l'ont aussi bien compris que nous. Les Anglais, à travers les États Schans, ont cherché à relier la Birmanie avec le Yunnan. Les Russes, au nord, profitent du dernier conflit sino-japonais pour faire pénétrer, dans le vaste empire chinois, leur réseau transsibérien. La Russie, s'il faut en croire les révélations faites en décembre 1896 par le North China Daily News, viendrait d'obtenir l'autorisation de prolonger le transsibérien sur le territoire chinois. Ce serait tout un réseau de voies ferrées dans la Mandchourie qui se relierait à Vladivostock, point terminus du Transsibérien sur le Pacifique. Cette concession, en même temps qu'elle enrichirait son industrie, permettrait à la Russie d'établir sa prépondérance dans le Nord où ses troupes, pour la garde du chemin de fer et la protection des nationaux, ne manqueraient pas de prendre pied. Ne serait-ce pas l'acheminement vers le protectorat militaire? Si la Russie, par son ingérence bienveillante dans le règlement du conflit sino-japonais, a des titres à la gratitude chinoise, la France a des droits tout aussi imprescriptibles, puisqu'elle a prêté son concours à la diplomatie russe pour garantir l'Empire du Milieu du morcellement qu'il avait à craindre après les victoires japonaises.

En outre le traité de 1885, passé avec la Chine, nous accorde le prolongement sur ses États de notre réseau du Tonkin. Celui-ci, depuis 1894, a atteint Lang-Son, et l'on prête au gouvernement français l'intention de le poursuivre à travers le Kouang-Si jusqu'à Long-Tchéou; on dit même que le général Su, qui commande la frontière chinoise du Kouang-Si, semble tout disposé à favoriser cette entreprise.

Mais ce sont là des promesses, et les mandarins n'en sont pas avares. Il ne faut pas se le dissimuler, la lutte sera vive, et, pour un observateur légèrement enclin à la méfiance, elle menace de s'éterniser jusqu'au moment où le cabinet de Paris, s'appuyant sur la Russie et invoquant la convention de 1885, manifestera, sans se laisser plus longtemps berner par les fallacieuses promesses du Tsung Li Yamen, sa résolution inébranlable d'atteindre son but. Les mandarins chinois, fidèles à leur vieille tactique, s'opposeront certes à la réalisation de nos desseins. Ils feront valoir les mauvaises dispositions du peuple chinois, réfractaire au progrès et toujours inquiet de sauvegarder la tradition des ancêtres.

La voie ferrée respectera-t-elle les sépultures des parents que l'enfant déclare inviolables? La pioche n'attaquera-t-elle pas la

maison des ancêtres et le bruit de la locomotive ne viendra-t-il pas troubler le repos des morts?

Raisons bien mauvaises, sans doute, dont l'or français aura bon compte, mais qu'on objectera sans cesse jusqu'au moment où notre diplomatie imposera au Fils du Ciel sa volonté bien ferme.

En Cochinchine, où cependant les mânes des ancêtres sont l'objet d'un culte aussi fervent, la construction du chemin de fer de Saïgon à Mytho s'est faite sans difficultés. Les bonzes ont exorcisé, et la locomotive a pu trancher la vaste plaine des tombeaux qui sépare Saïgon de Cholon.

La raison qui guide le mandarin chinois dans sa lutte contre l'introduction, en Chine, du chemin de fer et contre le progrès en général, est d'un ordre plus intime.

Aujourd'hui, le mandarin est une sorte de vice-roi dans sa province,et son influence est d'autant plus grande qu'il est plus loin du Fils du Ciel. Or la voie ferrée raccourcirait les distances, et les ordres de l'empereur, parvenant facilement jusqu'aux parties les plus reculées de son vaste Empire, feraient péricliter sans nul doute l'omnipotence actuelle de ses vice-rois.

Il semble, par contre, que l'empereur devrait se prêter à notre dessin et encourager notre ceuvre, qui doit concourir à l'extension de sa puissance. Mais le Fils du Ciel est entouré de puissants conseillers, et la cour actuellement est divisée en deux partis, l'un accessible et l'autre réfractaire au progrès.

Li-Hung-Tchang, après son voyage en Europe, consacrera-t-il à l'œuvre civilisatrice son incontestable intelligence et sa réelle influence? Il fut l'instigateur du premier chemin de fer en Chine, celui de Tien-Tsin, et l'on rapporte à ce sujet que, pour arriver à ses fins, il eut l'adresse de captiver la curiosité du jeune empereur en installant dans les jardins du palais un train miniature. On lui prête le dessein de doter l'empire d'un réseau de voies ferrées. Réussirat-il? L'avenir nous le dira. La chose, du reste, ne présentera pas de sérieuses difficultés, dès que l'empereur aura promulgué son édit. Les capitaux se trouveront assez facilement, et d'ailleurs la maind'œuvre en Chine coûte fort peu. D'autre part, les matériaux se trouveront facilement sur place. La houille, cette précieuse matière qui fournit le gaz et le goudron, qui permet de réduire les minerais, la houille, l'agent moteur par excellence, abonde dans les diverses régions du vaste empire. La carte géologique révèle l'existence de gisements si nombreux qu'on évalue leur production à plusieurs

milliards de tonnes. Il y a là de quoi alimenter le monde entier pendant des années si l'on songe que l'exploitation annuelle ne dépasse pas, aujourd'hui, 300 millions de tonnes.

Enfin, la prospérité de l'usine métallurgique que la maison Krupp a installée dans la province d'Hon-Kéou prouve suffisamment que les mines de fer relevées en Chine par les missionnaires et les voyageurs sont productives.

Cette richesse houillère de la Chine, le bas prix de la main-d'œuvre doivent nous inciter encore à introduire en Chine notre voie ferrée qui nous permettra de multiplier nos échanges avec l'Empire du Milieu.

Poursuivons donc notre but sans défaillance. La France, confiante dans l'intelligence commerciale de ses colons, assurée de l'héroïque dévouement de ses soldats d'infanterie de marine, qui n'ont jamais ménagé à la patrie leurs efforts ni leur sang, ne saurait manquer de conquérir le commerce chinois, dût-elle abattre le colosse jaune dont les pieds sont d'argile si la tête est d'or!

L. 0.

de l'infanterie de marine.

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