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à ces infulaires avec le continent, tarement ils s'y établiffent; plus rarement encore y vont-ils chercher des époufes. C'eft ainfi qu'ils confervent leurs mœurs; & fi ceux qui s'éloignent ne périffent pas dans leurs voyages, ils reviennent vieillir & mourir dans leur patrie entre les bras de leurs frères : tant le fol qui les a vu naitre a pour eux d'attraits! Jamais une fille libertine n'y eft foufferte, & quand il s'en trouve une on l'exile en grande terre. Mais lorfque deux jeunes gens d'un sèxe différent paroiffent fe convenir & fe chercher, on prévient la nature en les unif fant par les nœuds du mariage.

Comme cette ifle eft entourée d'écueils, il n'eft pas rare que la mer jette fur fes bords les débris de quelques naufrages; on raconte même affez plaifamment à ce fujet qu'après une faifon belle & peu orageufe un Curé raffembla fes Paroiffiens & leur dit :

Vous voyez comme la Providence » vous abandonne; depuis long-temps >>aucun bâtiment n'a péri à la côte; »vous avez perda les richeffes que vous » deviez en attendre.Ce font vos fautes, » miférables

» miférables pécheurs, qui ont iruté » contre vous la Juftice divine. Quand ce trait auroit quelque fondement, tout ce qu'on en pourroit férieafement conclure, c'est qu'à l'Ifle des Saints les ha bitans s'emparent des débris que la vague leur porte après une tempête, comme font tous les habitans des côtes,lorfqu'ils peuvent prévenir la defcente de l'Amirauté. Pourquoi donc dire que dans les temps d'orage ils allument de grands feux fur des tonneaux, & que ce font des barbares qui ne refpirent que. la guerre & ne vivent que de rapines. Au contraire, dans les temps d'orage, au premier coup de canon qu'ils enten-, dent,ces bonnes gens mettent leurs ch. loupes à la mer ; excellens & hardis pi lotes ils abordent au milieu des écueils les navires qui demandent du fecours, & les conduifent au large en sûreté. Le paffager reconnoiffant les paye bien, & ce profit honnête eft même pour eux afez confidérable.

De la part du Gouvernement ils n'éprouvent que de la protection. Les Etats de Bretagne, dans chacune de leurs affemblées, lorfqu'ils paffent le bail des AN. 1768. Tome VI. B

Devoirs, font un article particulier en faveur des habitans de l'Ile des Saints, par lequel ils permettent à ceux-ci, à titre de charité, d'acheter où bon leur femble trente barriques de vin & deux pipes d'eau-de-vie, & de les partager entr'eux fans payer aucun droit de Devoir. Par le même article. il leur eft défendu de tranfporter dans aucune autre ifle aucune partie desdites boiffons.

Voilà, Monfieur, une idée de ces deux ifles, bien différente de celle que femble avoir adoptée M. de Sauvigny. Il a fans doute été mal informé, & s'il y avoit plus de traits de reffemblance dans ce qu'il dit de l'une & de l'autre, je croirois qu'il les a confondues. C'est à l'Ifle des Saints qu'habitent l'amitié, la candeur, l'égalité; & les Spartiates fi fiers & fi vertueux de l'Ifle d'Oueffant, ne font que des hommes ordinaires.

Aurefte, l'entreprise de M. de Sauvigny n'eft pas moins digne d'éloge & d'encouragement. Il divife l'Innocence du premier age en France en trois parties. La première contient l'Hifloire Amou

renfe de Pierre le Long, dont on vient de donner une nouvelle édition chez le même Delalain Libraire rue S. Jacques; la deuxième, la Rofe ou la Fête de Salency & l'Ile d'Oueffant; la troifiéme, les Hautponnois ou les habitans des Ifles flottantes. Il fera fait mention dans cette troifiéme partie du fameux village d'Auvergne & de celui de la Lorraine où les habitans vivent en commun. L'auteur prie ceux des Lecteurs qui ont connoiffance de pareils ufages en France, de vouloir bien lui en donner avis par la voie du Libraire.

Je fuis, &c.

A Paris, ce 24 Août 1768.

LETTRE

II.

Lettre d'un Fils Párvenu à fon Père Laboureur. Pièce qui a remporté le Prix de l'Académie Françoise en 1768: par M.Abbé de Langeac.

E

T l'auteur de cette Pièce & la Pièce même, Monfieur, font deux phénomènes fur notre Parnaffe. M.

l'Abbé de Langeac a, tout au plus, quinze ans ; il peut fe flatter d'être le premier qui, dans un âge fi tendre, ait vû fon jeune front ceint du laurier Académique. Son ouvrage n'eft pas moins étonnant; ce n'eft point un amas de grands mots vuides de fens & de jus teffe, d'idées triviales déguifées fous un mafque impofant de paroles, d'antithèles forcées & puériles, de vers fententieux prétendus philofophiques; c'eft la raifon, la nature même & la vérité.

J'aime à vous répéter que je vous dois la vie ; Mon ame aux yeux des Grands en eft enorgueillic;

Je me plais à compter dans un nombre d'ayeux
Autant de Laboureurs pauvres & vertueux.
De fuperbes tombeaux, dont le néant se vante,
Ils n'ont point furchargé la terre gémissante;
Mais de nobles fueurs humectant fes fillons,
Ils ont fçu la couvrir d'abondantes moiflons;
C'est là qu'il faut chercher leurs cendres, leur
mémoire ;

Et leurs travaux pour moi font des titres de gloire.

Oh, quel plaifir je goûte à me faire un tableau

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