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en effet que cette Fête à élever l'ame, à lui donner le goût de l'honnêteté, à exciter l'émulation de la fageffe. Malheur à ceux qui ne regarderoient pas le triomphe de la vertu couronnée comme le fpectacle le plus touchant pour l'humanité! Je vous parlai, Monfieur, il y a deux ans de cette Fête & de fon inftitution*; elle n'étoit point encore connue alors. L'auteur a mis à la tête de fon ouvrage les éclairciflemens que je vous donnai. Voici comme il débute; c'est une espèce de poëme en profe.» Toi, dont la voix ingénue fe fait moins entendre fous » les lambris dorés que fous les toits » couverts de chaume! toi, qui m'as » fait contempler fouvent avec un G » tendre intérèt les travaux & les

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plaifirs des habitans des campagnes ! Viens, ô touchante Senfibilité, compagne de la candeur & de la paix, prête à mes écrits tes dou» ceurs & tes charmes; daigne échauf» fer mon cœur de ce feu pur & facré » qui anima deux amans heureux.

» viens

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* Voyez l'Année Littéraire 1766, 'Tome IV page 217.

Bafile, jeune laboureur d'un ha meau voisin, arrive fur la hauteur qui domine le village de Salency; fon cœur palpite en voyant ce féjour délicieux qui lui a été fi funefte; il apperçoit les habitans en mouvement; un vieillard appellé Anfelme le préfente à les yeux; celui-ci vole dans fes bras; il lui demande pourquoi il a quitté Salency depuis deux ans ; il avoit promis d'y paffer fes jours Bafile lui raconte qu'i! a vu dans ce temps Emée, qu'elle lui a infpiré l'amour le plus tendre; il s'eft rappellé la loi qui défend aux Salenciennes de prendre des maris étrangers; il a fai pour vaincre fon penchant; une affaire remife à l'arbitrage du père d'Emée le ramène. » O vertueux An» felme, ajoûte-t il, je fçais que chaque » année vos vieillards choififfent parmi » les jeunes Salenciennes celle dont la fagefle eft la plus reconnue, pour lui » donner une couronne de rofes. Je fçais que pour y prétendre elles doi » vent renoncer à l'hommage d'un étranger; viendrois je propofer à » Emée de me faire un fi grand facri„fice ? »

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Bafile reçoit l'hofpitalité dans la maifon du père d'Emée; il ne peut la voir fans fentir fon amour fe renouveller; il apprend qu'Emée est destinée à Aléxis; cette nouvelle le trouble; il eft inftruit qu'Emée n'aime pas Alexis; le père d'Emée veut le bonheur de fa fille; il s'apperçoit de fa répùgeance & retire fa parole. Bafile n'en eft pas plus heureux; la loi fatale eft toujours préfente à fes yeux; il ofe fuivre Emée dans un jardin folitaire qu'elle feule cultive; il ne peut s'empêcher de laiffer éclater fes fentimens, Emée le quite fans lui répondre.

Le jour où l'on doit choisir la Salencienne qui merite la rofe arrive; il faut en lire la defcription dans l'ouvrage même; rien de plus agréable ni de plus délicat. Toutes les filles fe rendent juftice, & veulent qu'on préfère Emée, la vertueufe Emée s'humilie pour élever fes compagnes ; une vieille arrive dans l'enceinte. Ma chère Emée, » lui dit-elle, tu veux te rabaiffer à nos » yeux; c'eft à moi de publier le facri»fice que tu m'as fait. Eft-il une de tes »jeunes compagnes qui en ait voulu

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» faire autant? Souviens-toi du jour où » vous couriez toutes ensemble à une » fête qui le donnoit dans un hameau » voifin; tout refpiroit autour de toi le plaifir & la gaîté; tu m'apperçus alors fatiguée, défaillante, & m'efforçant » de retourner au village; je te vis à » l'instant tout abandonner; tu m'offris » ta main pour me reconduire, & N paffas d'un air fatisfait avec moi des » heures destinées aux amufeniens de » ton âge; le foir, quand tu me quittas, » il fembloit à te voir & à t'entendre » que je t'avois procuré le plaifir le plus » cher à ton cœur. » Ce difcours réunit tous les fuffrages; on alloit infcrire le nom d'Emée fut le regiftre, quand Aléxis paroît; il vient dire qu'Emée ne mérite point la couronne; qu'elle a refufé fa main ; qu'elle lui préfère un étranger. On murmure contre lui; on l'éloigne; on regarde ce difcours comme l'effet de la jaloufie; Emée a pu le refufer fans être remplie d'une paffion criminelle pour un autre; on continue la cérémonie; on veut lui faire prononcer le ferment redoutable de n'é

poufer jamais qu'un Salencien. Bafile s'évanouit; Emée ne peut réfifter à ce fpectacle; elle dévoile le fecret de fon cœur ; les vieillards font interdits; le père d'Emée veut priver fa fille de la couronne; un bruit de hautbois fe fait entendre; un des faveris du Roi arrive; il apportoit la bague & le cordon bleu que fon maître accordoit à la belle qui devoit être couronnée. Inftruit de ce qui vient de fe paffer, il dit ces mots : » Salenciens, la vertu » n'eft point de vivre fans paffions, » mais de les vaincre; c'eft ce qu'a » fait Emée; je la crois donc toujours digne de la rofe; mais je la

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crois plus digne encore de fon "amant; s'il n'eft pas de Salency, il » a mérité d'en être ; un homme ver» tueux doit-il être étranger parmi » vous? » Ce difcours eut fon effer; Emée reçut & la couronne & la main de Bafile.

L'Ifle d'Ouessant eft le fecond petit ouvrage de Monfieur de Sauvigny, qui fe propofe d'y faire triompher l'amour de l'égalité, de la paix

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