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poudre; nous les rangeâmes en trois tas à une distance convenable de la tente; nous les entourâmes d'un petit fossé pour empêcher l'eau d'en approcher, et nous plaçâmes dessus les chaudières renversées comme une espèce de toit qui les couvrait complétement. Le reste de l'espace, jusqu'à la terre, fut rempli d'argile et de mousse. Les canons furent couverts tant bien que mal avec des planches et des toiles de voiles, plus pour garantir le bois que le métal, et nous traînâmes prudemment les grandes tonnes de poudre derrière une avance de rochers, où, lors même qu'elles auraient sauté, il ne pouvait en résulter rien de fàcheux; nous les couvrîmes de planches en attendant que nous eussions exécuté le projet d'un magasin à poudre, qui nous tenait fort au cœur. Ma femme insista surtout pour ces précautions, et voulut s'assurer par ses propres yeux qu'il n'y avait aucun danger pour Zeltheim. Ce fut pendant cet examen, et en cherchant une place de côté pour se reposer l'ombre en nous voyant travailler, qu'elle fit l'agréable découverte que deux cannes et une

à

de nos oies avaient couvé sous un buisson, et conduisaient déjà une quantité de leurs petits qui caquetaient dans l'eau. Nous nous réjouîmes de cette bienvenue inattendue, et nous la regardâmes comme une récompense du pénible travail que nous avions fait depuis quelque temps. Mes fils aînés voyaient, dans cette jeunesse animée qui sautillait autour de nous, d'excellens rôtis, et Jack et François s'amusaient des jeux et de la frayeur de cette petite troupe en voyant des hommes pour la première fois; nous les apprivoisâmes bientôt en leur jetant des morceaux de pain de manioc. Cette occupation et la vue de cette nouvelle famille emplumée ranimèrent en nous le désir de retourner à Falkenhorst, près de la société du même genre que nous y avions laissée. L'un soupirait après son singe, l'autre après son flammant, François après son perroquet, et ma femme après sa volaille, son ménage, un bon lit, et toutes les jouissances de chez soi : en sorte que nous fixâmes au lendemain notre départ de Zeltheim, et que nous allâmes nous occuper des préparatifs nécessaires.

CHAPITRE XXV.

Nouvelle excursion. Le vin de palmier.

Lorsque nous fumes entrés dans la nouvelle plantation d'arbres fruitiers servant d'avenue dans le port de Falkenhorst, nous remarquâmes que nos jeunes arbres n'étaient pas assez forts, et qu'ils se courbaient en croissant. Nous résolumes à l'instant de leur mettre des tuteurs, et, pour cet effet, d'aller cueillir des bambous du côté du cap de l'Espérance trompée. Dès que j'eus prononcé ce nom, mes trois fils cadets et ma femme même s'écrièrent à la fois qu'ils voulaient être de cette course. Nous avions excité leur curiosité par le récit de tout ce que nous avions trouvé de curieux, Fritz

et moi, de ce côté-là. Arrivés à Falkenhorst, chacun de nous trouva quelque chose qui demandait absolument cette excursion. Une poule était à couver, il fallait aller chercher des œufs de poule à fraise: notre provision de bougies tendait à sa fin, il fallait se procurer des baies à cire; ma femme se trouvait à merveille de cette lumière pour raccommoder nos vêtemens, ainsi que moi pour écrire le soir mon journal, dans notre château d'arbre, et nous ne pouvions plus nous en passer: notre laie s'était sauvée de nouveau, nous pensions qu'elle avait établi son domicile dans le bois des chênes aux glands doux; Jack avait envie de manger des goyaves, François de sucer quelques cannes à sucre; en sorte que tout nous attirait dans ce pays de Canaan.

Un beau matin donc nous partîmes de Falkenhorst en caravane. Je voulais, cette fois, examiner à mon aise cette partie de l'île, et récueillir en abondance tout ce dont nous avions besoin; je fis donc les préparatifs nécessaires pour y coucher, si le temps nous manquait. Je pris mon char au lieu de ma claie ; j'y posai

en travers quelques planches pour asseoir ma femme et son plus jeune fils lorsqu'ils seraient fatigués. Je me pourvus de toutes sortes d'instrumens pour faciliter nos récoltes, de quelques provisions de bouche, de quelques vases pleins d'eau, et d'une bouteille de vin de la caisse du capitaine; je pris aussi des instrumens particuliers, que j'avais composés exprès pour aider à mes enfans à grimper sur les hauts cocotiers : il n'y avait pas apparence qu'un crabe complaisant vînt encore leur en épargner la peine. Lorsque tout fut placé sur le char, j'y attelai cette fois l'âne et la vache, parce que la charge au retour devait augmenter; et nous nous mîmes en route le long du champ de pommes de terre et de manioc. Notre première station fut vers l'arbre où nous avions trouvé le grand nid d'oiseaux vivant en colonie; tout autour croissaient les arbres à cire, entièrement couverts de leurs baies brillantes, et plusieurs goyaviers chargés de fruits. Cette fois-ci je pus donner un nom aux oiseaux ; je me rappelai que les naturalistes les avaient nommés loxia gregaria on loxia socia.

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