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les cris de notre âne, qui paissait tranquillement dans le voisinage, et qui se mit à braire d'une telle force, que nous allâmes voir ce qui l'effrayait à ce point. Avant d'être près de lui, nous le vîmes, le nez en l'air, donnant des ruades, et faisant des sauts extraordinaires. Avant que nous eussions eu le temps de réfléchir à ce que nous devions faire, il nous tourna le dos et prit la fuite au galop, en nous laissant là tout surpris de le voir disparaître. Malheureusement Turc et Bill, que nous avions envoyés à sa poursuite, s'étaient glissés dans les buissons de cannes à sucre, et ne nous entendirent pas; l'âne, au contraire, était entré dans les bambous du côté opposé, sans que nous eussions pu l'arrêter. Nous n'étions pas d'ailleurs sans crainte que son effroi n'eût été causé par la vue de quelque bête sauvage, que nous n'avions nulle envie de rencontrer; et nous allâmes prendre nos armes à feu pour nous défendre en cas d'attaque. Nos chiens revinrent enfin à notre appel, et ne donnèrent aucun signe de danger; ils ne flairaient point, et sautaient autour de nous

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comme à l'ordinaire. Je fis la ronde autour de la cabane, et n'ayant pas aperçu la moindre chose qui pût m'inquiéter, je courus avec Fritz et les deux dogues vers le buisson où notre fuyard s'était dirigé; j'espérais, au moyen du nez de nos deux braves chiens, retrouver bientôt ses traces; mais ces bonnes bétes ne comprirent pas ce que nous leur demandions: la piste de l'àne, avec qui ils passaient leur vie, n'était pas pour eux un objet de chasse qui pût les encourager; en sorte qu'ils allaient de côté et d'autre dans les bambous, ne nous indiquant rien, et ne suivant aucune trace. La nuit s'approchait; je n'osai m'éloigner davantage des miens. Fatigué et chagrin de ma course inutile et de la perte de notre âne qui m'était si nécessaire, nous retournâmes vers la cabane, où nous trouvâmes tout en bon ordre; la hutte était entièrement finie. Nous n'avions plus qu'à couper de l'herbe pour nous coucher, et ramasser des branches sèches et des roseaux pour allumer du feu, tant pour nous chauffer que pour éloigner les animaux dangereux ; je remis ce

soin à ma femme. Comme je vis qu'elle ne pouvait se procurer ässez de bois sec pour entretenir du feu toute la nuit, je voulus y suppléer par un nombre de flambeaux que je composai d'abord. Je liai ensemble, comme de pêtits faisceaux, des cannes à sucre : on se sert pour cela aux Antilles de cannes vidées; mais, comme je n'en avais point, je les pris tout bonnement pleines de leur jus, et je soupçonnai qu'elles n'en brûleraient que mieux. J'en préparai donc, avant souper, trois ou quatre douzaines de cinq à six pieds. de longueur. Je les plaçai debout à droite et à gauche de la cabane, et au milieu de cette singulière avenue fut placé le feu qui devait servir à faire cuire notre souper, et que nous entretînmes aussi long-temps que nous eûmes du bois.

La fraîcheur de la nuit nous fit trouver grand plaisir à l'entourer. Après le repas, nous entrâmes sous notre tente de campagne, et nous nous trouvâmes heureux de nous coucher sur notre herbe fraîche, avec la perspective d'un doux sommeil. Nos deux chiens et

notre vache furent attachés en dehors de la cabane, comme une avant-garde; nous mimes près de nous nos armes chargées, et tout le monde se coucha tranquillement; moi, je restai éveillé jusqu'à minuit pour entretenir le feu. Dès qu'il fut entièrement consumé, j'allumai mes flambeaux, et j'allai aussi me reposer sans crainte.

FIN DU TOME SECOND.

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