Images de page
PDF
ePub

pêche de la baleine. Fritz me pria de lui permettre de placer ce dévidoir, avec les harpons attachés au bout de la corde, sur l'avant de notre bateau de cuves, et de le tenir prêt au cas que nous rencontrassions quelque gros poisson; comme il est très-rare d'en trouver aussi près de terre, je lui permis cette fantaisie innocente. L'après-midi était arrivé avant que d'avoir complété notre chargement; car non-seulement notre radeau se trouva rempli autant qu'il pouvait contenir, mais notre bateau le fut aussi. Lorsque nous voulûmes pousser notre radeau en pleine mer, nous tirâmes fortement avec la corde préparée pour le diriger, et qui était clouée à l'un de ses angles; une fois qu'il fut lancé avec une peine inouie, nous attachâmes cette corde au bateau, nous le remorquâmes ainsi lentement, et non sans crainte d'un accident contre la côte.

CHAPITRE XVIII.

La tortue attelée.

Le vent facilita beaucoup notre travail, il enflait gaiement notre voile; la mer était calme, et nous avançâmes bientôt considérablement sans aucune inquiétude. Fritz remarquait depuis long-temps un objet assez considérable qui surnageait à quelque distance; il me pria de regarder avec la lunette ce que ce pouvait être. J'examinai bientôt distinctement, et vis que c'était une tortue endormie qui s'était mise au soleil sur la superficie de l'eau, d'après les mœurs de ce genre singulier d'animal; elle ne paraissait point s'apercevoir de notre approche. Fritz eut à peine entendu ce

TOME II.

9

que c'était, qu'il me conjura de cingler doucement près de cette extraordinaire créature, pour l'examiner à son aise : j'y consentis; mais comme il me tournait le dos, et que la voile se trouvait entre nous deux, je ne remarquais point ce qu'il voulait faire, jusqu'à ce qu'un coup très-sensible, le sifflement du dévidoir à corde, puis un second coup, et l'entraînement subit du bateau, m'en firent apercevoir. « Pour l'amour de Dieu, m'écriai-je, qu'as-tu fait, Fritz? veux-tu nous faire périr? je ne suis plus le maître du bateau.

- Je l'ai attrapée, je l'ai touchée, s'écriait-il sans m'entendre, avec la plus vive joie; pour le la tortue est à nous, coup elle ne m'échappera pas. Une tortue, mon père ! c'est cela qui est une belle prise, et qui nous nourrira long-temps ! »

Je fus alors assuré que le harpon lancé par Fritz avait accroché la tortue, qui, se sentant blessée, était maintenant en fuite, et tirant impétueusement la corde du harpon qui était attaché au grand dévidoir fixé sur notre avant, entraînait ainsi rapidement notre bateau. Je

baissai à la hâte notre voile; je me précipitai sur la proue du bâtiment pour couper la corde avec une hache, et laisser aller la tortue et le harpon; mais Fritz me retint le bras, en me priant instamment d'attendre encore; il m'assura qu'il n'y avait point de danger pressant, qu'il serait extrêmement faché de perdre ainsi tout à la fois sa belle proie, son harpon et une excellente corde; qu'il allait tenir la hache, et qu'il couperait lui-même la corde au moment où ce serait nécessaire. Je cédai enfin, en l'exhortant de faire bien attention pour que nous ne fussions pas renversés ou entraînés contre des écueils.

Ainsi conduits par la tortue, nous voguions avec une dangereuse rapidité, et nous avions assez à faire de tenir avec le gouvernail le bateau en direction droite, et à ne pas être renversés par quelques sauts de côté, que les mouvemens tortueux de notre singulier guide pouvaient nous faire faire; mais quand je remarquai qu'il prenait son chemin vers la haute mer, je remis bientôt les voiles, et comme le vent soufflait assez fortement contre terre, la

762894 A

[ocr errors]

tortue trouva notre résistance trop forte, et retourna aussi contre la côte; mais bientôt elle nous porta dans le courant qui conduit de la Baie Sauveur sur le ruisseau, et dès qu'elle l'eut passé elle nous entraîna droit vers les environs de Falkenhorst, où heureusement aucun des écueils dont cet endroit était garni ne nous fit échouer. Je vis bientôt avec certitude que la marée nous pousserait sur un fond de sable doucement élevé. En effet, à une portée de fusil du rivage, nous fùmes jetés avec une commotion assez violente sur un bas fond, et par bonheur notre bateau resta droit ; je sautai aussitôt dans l'eau, dont je n'avais au plus que jusqu'aux genoux, pour donner à notre conducteur la récompense de notre frayeur et de notre peine : il avait plongé, et on ne le voyait plus; mais, conduit par la corde du harpon, j'arrivai jusqu'à la bête : je la trouvai étendue au fond de l'eau sur le sable, et, pour abréger sa souffrance, je me hâtai de lui couper la tête d'un coup de hache : peu à peu elle perdit son sang et la vie. Fritz alors, pour se faire entendre des nôtres, dont

« PrécédentContinuer »