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de canonner et que les troupes du Roi furent arrivées, la Reine se mit en chemin pour l'aller trouver. Elle augmenta ses troupes de quelques levées qu'elle fit dans cette province, et les arma des armes qu'elle avoit apportées. Ayant fait une belle armée, elle se mit à la tête de ses gens, et marcha droit vers le Roi son mari, toujours à cheval, sans nulle délicatesse de femme, vivant avec ses soldats à peu près comme on pourroit s'imaginer qu'Alexandre vivoit avec les siens. Elle mangeoit avec eux à découvert au soleil, sans nulles cérémonies: elle les traitoit comme ses frères, et ils l'aimoient tous uniquement. Ses victoires furent médiocres et le vainqueur de toute l'Asie courut plus de hasards, donna plus de batailles, et fit plus de conquêtes que cette princessè. La sienne fut de prendre une ville en chemin, qui véritablement ne fut pas si bien défendue que la ville d'Anvers quand le duc de Parme l'assiégea, mais qui étoit assez considérable et utile à son parti. Le Roi son mari la reçut avec joie, en admirant son courage et son affection : et quand ils se virent avec de si belles armées, ils espérèrent de pouvoir surmonter leurs rebelles et infidèles sujets; mais toutes ces forces se dissipèrent peu de temps après, et leur furent inutiles.

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Leurs Majestés Britanniques demeurèrent environ une année à travailler unanimement à vaincre le malheur de ne réussir à rien de tout ce qu'ils jugèrent devoir entreprendre; puis, étant forcés de se séparer parce que la Reine devint grosse, elle quitta le Roi, et ce fut pour jamais qu'ils se séparèrent. Elle vint à Oxford, et de là à Exeter, où elle accoucha de sa dernière fille la princesse d'Angleterre ; et dans

ses couches, étant continuellement menacée de ses ennemis, elle se résolut de venir en France demander du secours à notre Reine régente, qui déjà, comme je l'ai dit, lui avoit envoyé, avec madame Peronne sa sage-femme, vingt mille pistoles pour la secourir dans l'état pitoyable où elle étoit. Cette généreuse princesse, se contentant du peu d'argent qu'elle avoit apporté, envoya le présent de la Reine au Roi son mari, qui en avoit besoin pour entretenir et payer ses troupes. Quand elle partit, comme je l'ai remarqué, elle avoit été depuis peu de jours fort malade et en très-mauvais état. Passant d'Angleterre en France, elle fut poursuivie des parlementaires; et, dans la 'créance qu'elle alloit être prise par eux, étant à fond de cale pour se garantir des coups de canon, elle fit venir le pilote, et lui commanda de ne point tirer, mais d'avancer toujours chemin, et de mettre le feu aux poudres, s'il voyoit qu'elle ne pût échapper. Elle ne l'auroit peut-être pas souffert; mais, sur cette résolution, ses femmes et ses domestiques jetèrent des cris horribles: elle seule demeura dans un silence courageux, montrant braver la mort et ses ennemis, par le mépris qu'elle faisoit de l'une et des autres. Elle ne sentit en cette rencontre rien de violent dans son ame que le désir de fuir la honte de se voir soumise à la volonté des parlementaires ; et la seule pensée de voir qu'en ordonnant sa mort elle ne faisoit pas ce qu'une chrétienne devoit faire, la fit repentir de sa résolution. N'ayant pas le courage de vaincre elle-même son orgueil, elle demeura indécise sur la gloire éternelle et la mondaine; mais Dieu la sauva, la faisant heureusement échapper de ce péril, et

aborder à un des ports de Bretagne. Lorsqu'elle put apercevoir les côtes de France, elle se mit dans une chaloupe, et descendit dans un village au travers des roches où elle eut de la peine à passer, où des paysans la logèrent dans une petite maison couverte de chaume; mais quelques gentilshommes du pays ayant appris que c'étoit cette princesse, qui paroissoit plutôt une misérable héroïne de roman qu'une reine véritable, ils lui amenèrent des carrosses qui servirent à faire son voyage de Bourbon, où je l'ai laissée en commençant cette narration. Comme la mémoire du roi Henri IV est chère aux Français, elle fut toujours suivie d'une fort grande foule de peuple, qui couroit après pour la voir. Elle étoit fort malade et fort changée, ses infortunes lui ayant donné une si grande tristesse, et son esprit étant si pénétré de ses malheurs, qu'elle pleuroit presque toujours: ce qui fait voir ce que peut la douleur sur l'ame et sur le corps; car naturellement cette princesse étoit gaie et parloit agréablement si bien que dans le fâcheux état où elle se trouvoit, disant un jour à ce grand médecin Mayerne, qui étoit auprès d'elle, qu'elle sentoit sa raison s'affoiblir, et qu'elle craignoit d'en devenir folle, à ce qu'elle m'a conté, il lui répondiț brusquement: « Vous n'avez que faire de le craindre, << madame, vous l'êtes déjà. » Elle trouva véritablement quelques remèdes à ses maux corporels en France son pays natal, dont l'air et les eaux lui furent salutaires; mais il fallut bien du temps pour adoucir les autres. Je dirai ailleurs comme elle nous a paru quand nous la vâmes à la cour; mais, avant que de reprendre la suite de mes Mémoires de l'année 1644,

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je suis bien aise de joindre ce que j'ai su de ce qui a pu contribuer encore aux malheurs du roi et de la reine d'Angleterre depuis le récit qu'elle m'en a fait; et qui s'y rapporte assez.

Quelques particularités de la négociation du comte d'Estrades en Angleterre, en l'année 1637.

Le comte d'Estrades fut envoyé vers le roi et la reine d'Angleterre en 1637, de la part du feu Roi et du cardinal de Richelieu. Il m'a dit, depuis que j'ai écrit le récit que cette Reine affligée m'a fait, que le sujet de son voyage étoit pour obliger ce prince à demeurer neutre, au cas que le Roi et le prince d'Orange voulussent attaquer quelques places sur cette côte de Flandre. Il m'a fait voir son instruction et les lettres de ce grand ministre, ses réponses, et le détail de cette négociation. Ce sont des choses qui font voir la source des malheurs de ce royaume, que la reine d'Angleterre n'a pas connue, quoiqu'elle y ait contribué, et combien on doit examiner une proposition importante avant que de l'accepter ou de la refuser. Le cardinal de Richelieu avoit ordonné à d'Estrades de voir la reine d'Angleterre avant de présenter au Roi son mari la lettre que le Roi lui écrivoit, et de travailler à guérir l'esprit de cette princesse des mauvais offices que la duchesse de Chevreuse lui avoit rendus, et des dégoûts qu'elle y avoit fait naître contre lui; nommant cette dame méchante et artificieuse dans ses Mémoires. Il lui donna une lettre pour la présenter à la reine d'Angleterre, par laquelle il l'assuroit de ses services et de sa fidélité particulière en

vers elle, et des sincères intentions qu'il avoit de la servir utilement; mais il défendit à d'Estrades de la lui donner, s'il ne trouvoit en elle des dispositions favorables pour la bien recevoir; et il n'oublioit pas de l'assurer de la protection du Roi pour défendre Leurs Majestés des maux que leurs sujets déjà révoltés montroient leur vouloir procurer.

L'ambassade du marquis de Seneterre avoit persuadé le Roi et la Reine que le cardinal de Richelieu leur étoit contraire; et quand d'Estrades lui parla, elle répondit, aux offres et aux promesses de fidélité qu'il lui fit de sa part, qu'elle étoit mieux informée de ses intentions pour ce qui la regardoit; qu'elle savoit qu'il n'étoit pas de ses amis, qu'elle ne désiroit rien de lui, et qu'elle ne vouloit nul éclaircissement làdessus, sachant, à n'en pouvoir douter, qu'il n'étoit pas de ses amis. D'Estrades, étonné de cette réponse, judicieux et obéissant, ne lui donna point șa lettre ; mais il lui représenta, autant qu'il lui fut possible, qu'elle se trompoit dans le jugement qu'elle faisoit de lui, et se contenta de lui présenter celle du Roi. Elle lui répondit sur ce qu'il demandoit au Roi son mari, après l'avoir lue, qu'elle ne se mêloit point des affaires de cette nature; mais ajouta qu'elle lui en parleroit, et dit au comte d'Estrades qu'elle avoit eu une bonne réprimande sur la proposition que lui faisoit le Roi son frère de demeurer neutre en laissant attaquer les côtes de Flandre, et qu'il allât le trouver. Il y fut; et ce prince, sur les offres qu'il lui fit de la part du Roi et de son ministre, et qui furent grandes, lui répondit qu'il feroit tout ce qu'il pourroit pour témoigner son amitié, pourvu qu'il ne fût pas préju

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