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lui avoit; mais le cardinal Mazarin leur disoit qu'il n'étoit pas en état de s'opposer à l'aversion que la Reine avoit pour lui, qui pourroit diminuer quand la cabale de ses ennemis n'auroit plus de forces; qu'il avoit encore à craindre pour lui-même, et qu'il falloit attendre que sa faveur, qu'il n'étoit pas fâché de leur cacher, fût solidement affermie. Cependant, comme les habiles gens sont toujours à craindre, et que les rivaux, autant dans la faveur que dans la galanterie, déplaisent naturellement, on le soupçonna d'avoir vu la disgrâce de Chavigny sans beaucoup de chagrin. C'est pourquoi, encore qu'il l'eût servi pendant le règne précédent auprès du cardinal de Richelieu pour le faire cardinal, et auprès du feu Roi pour le faire mettre à la place du feu cardinal, il le connoissoit trop bien pour ne pas savoir qu'il n'étoit pas d'humeur à désirer seulement d'avoir part au gouvernement; mais que s'il ne vouloit pas être le seul, du moins il vouloit être le premier, comme il l'avoit été. Il n'avoit pas moins d'audace et moins de génie que lorsqu'il avoit su se faire aimer du feu cardinal et du feu Roi, et avoit de plus beaucoup d'amis puissans qui désiroient sa grandeur. C'est ce qui fit dire à bien des gens de ce temps-là que ce cardinal n'avoit pas d'envie que cet ancien ministre fût rétabli, à cause qu'il avoit pris liaison avec l'abbé de La Rivière, favori du duc d'Orléans, qui, voulant le chasser d'auprès de son maître, lui fit perdre une charge de chancelier qu'il avoit eue du temps du cardinal de Richelieu, pour être le pédagogue de ce prince. Le cardinal Mazarin allant à ses fins, lui faisant néanmoins de si grandes promesses, affectoit de lui montrer tant d'affection, que ses amis,

quoique anciens courtisans et fort habiles, qui, à sa considération, le portoient à la première place, furent pris pour dupes. Les princes de Vendôme et l'évêque de Beauvais commencèrent enfin à s'inquiéter. Ils voulurent, comme les maîtres, s'opposer au nouveau venu, et le chasser comme un importun, ne trouvant pas à propos que personne vînt partager avec eux le crédit qu'ils avoient auprès de la Reine. Mais ils ne purent y réussir, et ce qu'ils firent ne servit qu'à les perdre. J'ai ouï dire au maréchal d'Estrées (1), oncle du duc de Vendôme et frère de la duchesse de Beaufort que le roi Henri IV avoit pensé épouser, que le cardinal Mazarin, dans les premiers jours de la régence, ne sachant de quel côté se tourner, voulut d'abord s'approcher de cette cabale, comme celle qu'il voyoit la mieux établie dans l'esprit de la Reine; qu'il le pria d'en être le négociateur; et que comme il s'intéressoit au bonheur de ces princes, comme leur proche parent, il fit tout son possible pour les attirer au parti du cardinal Mazarin, qu'il avoit connu à Rome où il avoit été ambassadeur. Ce seigneur étoit grand politique et grand courtisan. Il l'aimoit alors doublement, car il croyoit que son habileté et l'adresse de son esprit le porteroient infailliblement à la faveur. Il ne tint donc qu'à eux qu'il ne se joignît à leur fortune; mais ces princes refusèrent son amitié, par la haine qu'ils avoient pour tout ce qui avoit quelque rapport au cardinal de Richelieu. Mais ils ne pouvoient pas s'empêcher de voir que c'étoit un homme à crain

(1) Au maréchal d'Estrées : François-Annibal, duc d'Estrées, pair et maréchal de France, déjà fort âgé, mourut en 1670 à quatre-vingtdix-huit ans. Ses Mémoires font partie du tome xvi de cette série.

dre, non-seulement par son habileté, mais par ses manières si agréables qui pourroient le faire aimer de la Reine. Ils ne furent pas assez persuadés de cette vérité pour rien faire de toutes les choses qui auroient pu les maintenir dans le crédit où ils étoient, et eurent une trop grande opinion de leurs forces pour croire avoir besoin de se lier ni avec le cardinal ni avec Chavigny, dont les amis servirent à soutenir le cardinal Mazarin, et qui étoit moins à craindre pour eux, parce qu'il avoit moins de dignités, et qu'il étoit haï de la Reine. Les princes de Vendôme ayant manqué ce coup, et refusé cette liaison avec le cardinal Mazarin, la fortune de ce ministre prit un autre tour, et ce fut seulement pour aller plus vite et pour faire voir l'inconstance des choses de ce monde. Je sais de la Reine qu'un soir des premiers jours de sa puissance elle avoit demandé à milord Montaigu, qui lui parloit souvent du cardinal Mazarin, si elle pouvoit se fier à lui, et de quelle humeur il étoit; et que lui ayant dit, pour le bien louer, qu'il étoit en tout l'opposé du cardinal de Richelieu, cette réponse lui parut une si grande louange, par la haine qu'elle avoit pour la mémoire du mort, qu'elle aida fort à la déterminer à se servir de lui. Et quand elle eut pris cette résolution, elle s'y confirma tous les jours tellement qu'elle s'y rendit inébranlable; et, comme premier ministre, il prit la coutume, ainsi que je l'ai dit, de venir les soirs chez la Reine l'entretenir et cette conférence commença dès lors à s'appeler le petit conseil. Il demeuroit long-temps avec elle, et lui rendoit compte des affaires étrangères, dont il étoit le maître du vivant du feu Roi.

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dans

il lui

On ne devoit pas s'étonner qu'elle suivît ses conseils. La grande réputation qu'il s'étoit acquise en Italie, où, d'un coup de chapeau, il avoit eu le crédit d'arrêter des armées prètes à combattre, n'étant encore qu'il signor Giulio, lui avoit fait donner celui de cardinal; et les grandes affaires qu'il avoit traitées avec le cardinal de Richelieu lui avoient fait concevoir depuis une si grande estime pour lui, que, la pensée qu'il avoit de l'établir son successeur, avoit donné toutes les instructions nécessaires pour servir la France, à laquelle il l'avoit obligé de se donner tout entier, afin de suivre ses maximes et de s'y perfectionner. Tout le monde savoit qu'il avoit été nommé dans la déclaration du feu Roi comme premier ministre, parce que ce grand homme avoit assuré le Roi, avant que de mourir, qu'il ne connoissoit personne plus capable que lui pour remplir cette place; et cette nomination fut une raison dont la Reine se servit pour faire approuver le choix qu'elle en avoit fait. Je sais sur cela que cet heureux ministre, étant persuadé de son bonheur par celui qu'il avoit eu déjà dans toutes les rencontres de sa vie, dit à une de ses amies, dans le temps de la décision de son établissement, qu'il n'étoit pas en peine de sa fortune, mais seulement qu'il ne voyoit pas bien encore de quelle manière il pourroit spiegar le vele piu large voguer à pleines voiles). Voilà donc le cardinal Mazarin qui fait déjà éclater sa faveur par la foule qui commence à l'environner. Il remit Chavigny dans le conseil du Roi en qualité de ministre, ne pouvant plus long-temps différer à tenir sa parole, et le refuser à ses obligations et à ceux qui l'avoient servi au

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près de la Reine; mais il le retint éloigné de sa confiance. Il confirma cette princesse dans l'inclination qu'elle avoit de conserver le Havre à la duchesse d'Aiguillon, et l'empêcha de ruiner les parens du cardinal de Richelieu, lui disant que ceux-là, qui alors n'avoient nulle protection que la sienne, seroient sans doute ceux dont elle seroit la mieux servie. Il faisoit son devoir en soutenant ceux qui restoient d'un homme à qui il devoit toute sa grandeur; mais, outre cette raison, il étoit d'un habile politique, voyant qu'il alloit avoir sur les bras toute la troupe favorite, de se faire des amis puissans qui étoient saisis de toutes les places, et qui se trouvoient avoir les plus grandes dignités du royaume. Il y réussit si bien que, malgré les oppositions des anciennes créatures de la Reine, elle se relâcha du dessein qu'elle avoit eu de les perdre, et de cette aversion qu'elle avoit paru avoir contre eux dans les premiers jours de sa régence. Elle passa aisément pour eux à la plus grande douceur du monde ; et, sous son autorité, ils ont été presque tous ses confidens et les mieux traités. Ce changement, qui fut d'abord un conseil reçu et donné par des maximes politiques, devint aisément dans l'ame de la Reine une maxime chrétienne que sa vertu et sa clémence lui firent estimer : et comme elle étoit capable d'être trompée sous l'apparence du bien, il est à croire que le cardinal Mazarin, sans être généreux, lui conseilla d'en user généreusement, afin de pouvoir affoiblir les mouvemens de son cœur sur la haine comme sur l'amitié; et qu'étant plus indifférente à la vengeance, elle fut plus susceptible des impressions qu'il vouloit lui don

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