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mon mari. Comme je me vis à une grande journée d'Amiens, je me laissai tenter d'y aller faire un tour avec un relais qu'ils me donnèrent. La Reine et mes amies ne m'attendoient pas : j'y fus reçue avec cette surprise qui d'ordinaire est suivie d'un peu de joie. On m'avoit soupçonnée de n'être pas satisfaite de ma fortune, et de n'avoir pas été aussi bien traitée de la Reine que je l'aurois pu désirer selon les maximes de l'ambition. En effet, mes amies, qui déplaisoient quelquefois au ministre, étoient cause que je lui étois suspecte; et il se servoit de leur mauvaise conduite pour me nuire. Comme il ne connoissoit pas mes intentions, et qu'il jugeoit de moi sur l'opinion qu'il avoit de la corruption universelle du monde, il ne pouvoit s'empêcher de me soupçonner de me mêler de beaucoup de choses contraires à ses intérêts. Il me dit un jour qu'il étoit persuadé de cela, parce que je ne lui disois jamais rien des autres, que j'écoutois parler les mécontens, que j'étois dans leur confidence, et que par ma manière d'agir je faisois voir clairement le peu d'affection que j'avois pour le service de la Reine: ajoutant que mes amis me faisoient tort, en publiant, comme ils faisoient, que j'étois une honnête personne, sûre et généreuse; parce que cela vouloit dire qu'on pouvoit murmurer avec moi sans crainte. Ce reproche marquoit assez de défiance naturelle, et combien nous étions malheureux de vivre sous la puissance d'un homme qui aimoit la friponnerie, et avec qui la probité avoit si peu de valeur qu'il en faisoit un crime. Car enfin mon humeur n'étoit pas de me faire considérer en trahissant ceux qui parloient devant moi; mais comme j'ai été toute ma

vie fidèle à la Reine, que je ne haïssois le ministre par aucun emportement injuste, et que je lui trouvois de belles qualités, je satisfaisois à mon devoir et à moi-même, en défendant la vérité contre ces esprits chagrins qui blâment autant le bien que le mal, dont quelques-uns étoient de mes amis; et ma devise étoit d'être fidèle avec tous, sans rechercher de récompense que celle de ma propre satisfaction. Je lui en parlois de cette manière, et travaillois à lui persuader que ceux qui faisoient des rapports étoient ceux dont il devoit le plus se défier, et que les gens ne faisant du mal à personne ne pouvoient jamais manquer à leur devoir. Ces justifications ne me racommodoient pas avec lui, mais elles me faisoient éviter de grands maux. C'est néanmoins le plus grand mal qu'on puisse sentir dans ce délicieux et méchant pays, que de n'y point acquérir des biens et des dignités; puisque c'est presque perdre le temps qui doit être cher à ceux qui ont quelques bonnes intentions de le bien employer. Je voulus donc remédier à ce petit bruit de faveur, par le bon visage que la surprise de la Reine m'attiroit de sa bonté; car à la cour il est aisé d'éblouir les spectateurs, et, il ne leur faut jamais donner le plaisir de savoir que nous ne sommes pas si heureux qu'ils se l'imaginent, ou si malheureux qu'ils le souhaitent. Ma confiance eut le succès que j'avois désiré, et à mon égard j'en fus satisfaite. Je trouvai la Reine travaillant à son ouvrage, assez chagrine; mais ne voulant pas que son inquiétude parût, elle me fit l'honneur de me dire qu'elle croyoit qu'à Paris on décrioit fort les affaires du Roi à cause de la prise d'Armentières, qui s'étoit rendue aux ennemis depuis peu de jours, après

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un mois de siége ; mais qu'elle vouloit bien qu'on sût qu'elle ne regrettoit pas trop la perte d'une place qui ne lui avoit coûté l'année précédente que vingt-quatre heures; que l'armée étoit forte, et qu'on alloit la mettre en état de le rendre aux ennemis. En effet, le maréchal de Villeroy revint de l'armée pendant le séjour que je fis à Amiens, qui assura qu'il l'avoit laissée en bon ordre, par l'augmentation de quatre mille hommes qu'il venoit d'y conduire avec force munitions de guerre. On fit la revue des troupes de La FertéSeneterre, qui n'étoient composées que de deux ou trois mille hommes, à dessein de les envoyer avec les autres. Le Roi, qui la fit faire, avoit ce jour-là un habit en broderie d'or et d'argent qui le rendit agréable aux yeux de ses soldats. Il monta un petit cheval blanc dont le crin étoit noué de rubans incarnats. Il avoit des plumes blanches à son chapeau, et en cet état sa beauté et la grâce qu'il avoit en toutes ses actions le rendoient le plus aimable prince du monde.

Il arriva des nouvelles de Lerida, qui disoient que M. le prince se promettoit de prendre cette place au 25 du mois; et le maréchal de Gramont écrivoit au cardinal, en se moquant des Catalans, qu'ils avoient fait des efforts admirables en ce siége, et qu'ayant beaucoup promis, on les avoit quittés pour quelques volontaires mais qu'ils n'étoient pas encore venus, et qu'on doutoit de leur arrivée. Cependant ils mandoient sérieusement que l'armée espagnole s'assembloit, et qu'ils avoient quelque sujet de crainte, tant par terre que par mer. Le prince Thomas arriva à la cour pendant que j'y étois, qui venoit pour les af

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faires d'Italie, dont je ne sus point le détail. Je partis d'Amiens le lendemain de la Pentecôte, après avoir suivi la Reine dans trois couvens, assez contente de mon voyage, si un cœur qui est à la cour le peut être. Je laissai la Reine et tous les courtisans dans un grand ennui, et chacun en particulier regrettoit les douceurs de Paris.

Le ministre étoit occupé à grossir l'armée, pour la mettre en état de nous défendre des ennemis, qui, après avoir pris Armentières et Comines, petit château de peu de conséquence, vinrent prendre la ville de Lens, qui de même n'étoit pas de difficile prise. De notre côté, on manda au maréchal de Turenne en Allemagne d'amener ses troupes, les meilleures de l'Europe, qui n'y étoient plus nécessaires : les Suédois vouloient la paix, et le duc de Bavière étoit d'accord avec la France. Mais, avant qu'elles arrivassent, les ennemis étant en effet plus forts que nous, les deux armées se rencontrèrent auprès de Béthune, environ le 21 ou 22 de juin. Comme elles se rencontrèrent à la vue l'une de l'autre, nos généraux, le maréchal de Gassion (1) et de Rantzau (2), un peu mieux d'accord qu'à l'ordinaire, envoyèrent à la cour demander permission au cardinal de donner une bataille; mais le ministre, à ce que mes amis m'écrivirent en Normandie, n'en fut point d'avis, et Monsieur fut de ce même

(1) Le maréchal de Gassion: Jean de Gassion, fils d'un président à mortier au parlement de Pau. Il avoit fait ses premières armes sous le grand Gustave. Il fut blessé à mort le 2 octobre 1647, en assiégeant Lens. Mazarin le haïssoit.—(2) Rantzau : Josias de Rantzau, comte et maréchal de France. Il étoit originaire du Holstein. Comme Gassion, il s'étoit formé sous Gustave. Il mourut en 1650. On lui reprochoit d'aimer le vin à l'excès, et de se livrer dans l'état d'ivresse à de grands emportemens.

sentiment. On leur ordonna de se retirer, et d'attendre les troupes d'Allemagne.

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Ces troupes ne purent venir; et le vicomte de Turenne fit savoir au ministre, peu de temps après, que son armée se mutinoit, et que les Allemands ne vouloient point passer le Rhin qu'on ne leur eût payé les montres qu'on leur devoit. Outre ces fâcheuses nouvelles, il arriva un courrier de M. le prince, qui annonça que le siége de Lerida étoit levé du mois, avec perte de toute son armée, qui s'étoit dissipée en trois jours, à cause de l'excessive chaleur de la saison, et des grandes fatigues que les soldats souffrirent elles furent telles qu'on ne les put retenir, ni par l'espérance ni par la crainte. Le prince de Condé connut lui-même qu'il étoit difficile de finir bientôt cette entreprise, parce que les mineurs avoient trouvé du roc par tous les endroits où ils avoient voulu s'attacher; et il jugea plus à propos de lever le siége que d'attendre les ennemis, qui étoient en état de l'en chasser. Il en fut loué des prudens et des sages; mais comme beaucoup de gens haïssoient sa prospérité, et qu'il sembloit être invincible à tous, aux uns par l'estime qu'ils avoient pour lui, aux autres par la crainte qu'il ne le fût continuellement, un chacun trouva dans cette rencontre de quoi s'occuper, soit par l'étonnement, soit par la joie ; et toute l'Europe regarda cette place avec admiration, la voyant imprenable à tant de grands hommes. Le maréchal de La Motte-Houdancourt, qui du temps du cardinal de Richelieu avoit conservé au feu Roi la Catalogne, ayant assiégé Lerida, ne l'avoit su prendre. Le comte d'Harcourt, qui avoit fait des actions d'une valeur extraordinaire, ne

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