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MME DE MOTTEVILLE.

SECONDE PARTIE.

RÉGENCE DE LA REINE,

LE 15 MAI 1643.

Le lendemain de la mort du roi Louis xi, le roi Louis XIV, la Reine, Monsieur duc d'Anjou, le duc d'Orléans, et le prince de Condé, partirent de SaintGermain pour venir à Paris; et le corps du feu Roi demeura seul à Saint-Germain, sans autre presse que celle du peuple, qui courut le voir par curiosité plutôt que par tendresse. Le duc de Vendôme y resta pour faire les honneurs, et le marquis de Souvré gentilhomme de la chambre en année, pour y faire sa charge. De tant de gens de qualité qui lui avoient fait la cour la veille, personne ne demeura pour rendre ses devoirs à sa mémoire : tous coururent à la Régente.

Pendant les derniers jours de la maladie du feu Roi, le duc d'Orléans et le prince de Condé se regardèrent avec quelque défiance l'un de l'autre. On vit beaucoup de visages nouveaux, et chacun avoit plus de suite qu'à l'ordinaire. La Reine ne manqua pas de faire doubler ses gardes, et de prendre ses précauT. 37.

tions contre les princes du sang, quoique ses soupçons fussent mal fondés. Sa cabale pour lors étoit celle de MM. de Vendôme, auxquels la disgrâce avoit donné du lustre et des amis. Le père avoit beaucoup d'esprit (1), et c'étoit tout le bien qu'on en disoit. Pour les deux princes ses enfans, ils n'en avoient pas tant que lui; mais ils étoient tous deux bien plus estimés par la profession qu'ils faisoient l'un et l'autre d'être fort hommes d'honneur, quoique d'une manière fort différente : le duc de Mercœur ayant une douceur naturelle, qui faisoit croire qu'il avoit pour tout le monde quelque bonté; et le duc de Beaufort ayant une mine plus haute, ou pour mieux dire plus fière, qui faisoit imaginer qu'il avoit quelque chose de grand dans l'ame, quoiqu'au fond il y eût bien autant d'ostentation que de générosité; car il n'eut aucune éminente qualité capable de le soutenir dans un premier degré de faveur. L'évêque de Beauvais (2), grand aumônier de la Reine, étoit à elle depuis longtemps, et la place qu'il tenoit dans sa confiance le faisoit regarder comme celui qui, étant ami de MM. de Vendôme, devoit gouverner pendant la régence. Il avoit de la piété, et la Reine paroissoit l'estimer et le considérer. Cette grande cabale étoit composée de tous ceux qui, étant mal contens du règne précé– dent, désiroient de se venger des maux que le cardinal de Richelieu leur avoit faits, sur ce qui restoit de ses parens et de ses amis, et ne doutoient pas que la Reine, qui en avoit souffert autant et plus qu'eux,

(1) Le père avoit beaucoup d'esprit. Le manuscrit porte: « Le père « étoit un homme d'esprit sans réputation, sans bonté et sans fidélité. » — (2) L'évêque de Beauvais : Auguste Potier. Il mourut en 1650.

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n'en eût la pensée. Mais ils trouvèrent en elle le même changement qu'on loua tant autrefois en Louis XII, qui, étant devenu roi, ne voulut point venger les querelles du duc d'Orléans; et c'est ce qui a causé la plupart des désordres qui ont troublé sa régence.

La Reine, en arrivant à Paris, y trouva une aussi grande foule de peuple et de gens de qualité qu'il y en a dans les entrées pour lesquelles on fait les plus grands préparatifs. Depuis Nanterre jusqu'aux portes de cette grande ville, toute la campagne étoit remplie de carrosses; et ce n'étoit partout qu'applaudissemens et bénédictions. Elle fut saluée à l'ordinaire par les cours souveraines, qui la regardoient comme celle qui, par sa piété et sa bonté naturelle, alloit rendre à la France le bonheur après lequel il y avoit long-temps qu'elle soupiroit, et dont elle avoit grand besoin. Ils voyoient entre les bras de cette princesse, qu'ils avoient vue souffrir de grandes persécutions avec beaucoup de fermeté, leur jeune Roi enfant, comme un présent du ciel donné à leurs vœux: ce qui augmentoit en eux l'amour et la fidélité que les Français ont naturellement pour leurs princes, et l'affection qu'ils avoient pour elle; si bien qu'on peut dire que jamais régence n'a eu de si heureux commencemens, et que jamais reine de France n'a eu tant d'autorité ni tant de gloire. Monsieur ne lui contesta point la régence, plutôt par impuissance que faute de bonne volonté. On venoit de voir une régence sous Marie de Médicis, et l'on n'avoit point encore oublié celle de Catherine du même nom, auxquelles on ne l'avoit point contestée. Le feu Roi son mari, malgré le peu d'amitié qu'il avoit eu pour elle,

l'avoit déclarée Régente, et elle avoit l'amitié des peuples. Sa naissance étoit plus illustre que celle des deux princesses qui l'avoient précédée. Elle avoit beaucoup de créatures que ses malheurs avoient mises dans ses intérêts. Cela fit que le duc d'Orléans n'osa pas seulement former de souhaits contre une puissance si légitimement établie. Le prince de Condé, par son inclination, n'auroit pas été si docile. Il étoit jaloux de la maison de Vendôme, qu'il n'aimoit pas, et qu'il croyoit avoir mis dans l'esprit de la Reine les soupçons qui lui avoient fait doubler les gardes lors de la mort du feu Roi, et fait empresser le duc de Beaufort de paroître veiller à la sûreté de la famille royale. Mais l'exemple du duc d'Orléans l'obligea d'être sage; et comme il eut peur de n'être pas aussi considéré qu'il le désiroit, il pria une personne (1), qui pour lors étoit bien dans son esprit, de parler de lui à la Reine, et, en l'assurant de ses bonnes intentions et de sa fidélité, lui faire voir qu'il étoit facile et en même temps nécessaire de l'entretenir dans ses intérêts. La Reine, qui lui avoit fait bonne mine, dans son ame ne l'aimoit pas. Il avoit beaucoup d'esprit et de savoir; mais, outre qu'il étoit fort désa gréable de sa personne, on l'accusoit de n'avoir pas trop de bonté, et d'avoir une grande avarice. La princesse sa femme, qui le haïssoit, et qui avoit une espèce d'ascendant sur la Reine qui l'aimoit fort, l'avoit entretenue dans l'aversion de son mari, jusqu'au point de travailler auprès d'elle à lui faire perdre son

estime.

(1) Une personne : Selon le manuscrit, cette personne étoit le comte de Maure.

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