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mais d'entendre les plaintes des malheureux. Son cœur a toujours reçu sans dégoût les importunités qui lui ont été faites par ceux qui souffroient quelque oppression; elle y étoit incessamment exposée par sa douceur et par son humanité; et sa volonté, toujours disposée à bien faire, n'a jamais refusé de rendre justice à ceux qui la lui ont demandée. Mais en cette occasion, où la corruption de l'air la rendoit plus sensible à la désobéissance, elle ne put souffrir celle-ci, d'autant plus que l'animosité du cardinal lui fut cachée sous le voile de la conséquence et de la politique; et, par cette raison, elle contribua sans dessein au malheur de Chandenier son ancien serviteur, l'abandonnant par cette voie au ressentiment de son ministre, de qui elle savoit qu'il étoit haï. Mais il faut dire aussi qu'encore qu'elle vît l'aversion que le cardinal avoit contre Chandenier, elle ne le croyoit pas impeccable, et connoissoit qu'il étoit entier dans ses sentimens, et capable de prendre la générosité de travers. Il avoit empêché les autres d'obéir, et il fut puni peut-être avec justice; car quand le comte de Trêmes auroit consenti que Charost eût servi deux heures, selon que la Reine l'avoit dit, il semble que leur soumission n'auroit pas dû être préjudiciable à leur honneur, et que c'étoit sacrifier peu de chose à leur repos et au respect qu'ils devoient à la Reine.

La fête passée, on commença [le 16 août et suivant] tout de nouveau à délibérer au parlement sur la déclaration que le Roi leur avoit apportée. Ils l'examinèrent par articles. Sur aucuns on ordonna des remontrances; sur d'au'res on donna des arrêts. Ils se plaignirent qu'elle étoit toute captieuse, dirent qu'on

ne leur avoit fait grâce qu'à demi, et avec de trèsmauvaises intentions. La principale de leurs plaintes étoit sur le chapitre des tailles qu'ils maintenoient n'être pas expliqué, et demandèrent pour le peuple que le quart accordé par le Roi fùt exempt de tous frais.

Le 20 [d'août], Monsieur étant allé au parlement, tout se conclut à demander une conférence au Luxembourg. Elle se fit le 21, avec le même succès qu'à l'ordinaire. Monsieur, à son retour, dit à la Reine que tout alloit assez bien, qu'ils avoient réglé le tarif, qui étoit le nombre des impôts que le parlement consentoit qui se levassent, et qui devoit être affiché dans les rues, afin que le peuple ne pût être trompé, ni forcé de payer plus qu'il ne devoit. Cependant ils ne finissoient point leurs assemblées : de sorte qu'à proprement parler ils se moquoient du nom du Roi, de l'autorité de la Reine et de celui qui gouvernoit l'Etat, dont les forces commençoient à diminuer à mesure que celle de cette compagnie s'augmentoit.

Ce même jour, voici une nouvelle incertaine qui vient donner à la Reine une joie capable, étant vraie, de la guérir de tous ses maux, ou du moins de l'en consoler pour quelque temps. Il arrive un homme d'Arras, qui assure qu'il y a une bataille donnée, et qu'ils l'ont entendue par le bruit des canons. Il disoit qu'il n'étoit revenu personne; mais que c'étoit une marque du gain de la bataille, puisqu'il n'y avoit point eu de fuyards sur la frontière, et qu'apparemment ils devoient avoir été occupés à poursuivre et à dépouiller les ennemis. Cette nouvelle arriva le matin à huit heures; elle fut agréablement reçue du cardinal. Il

envoya le maréchal de Villeroy éveiller la Reine pour la lui apprendre et quoiqu'elle n'en fût pas tout-àfait certaine, elle ne laissa pas de lui donner un grand plaisir ; et même elle ne douta pas qu'elle ne fût véritable, parce qu'elle la voyoit nécessaire. On savoit déjà que M. le prince, ayant appris que les ennemis marchoient devers Lens, avoit envoyé tout le bagage de l'armée dans Arras et les autres villes frontières, avec une ferme résolution de donner bataille. Il croyoit, avec raison, qu'une célèbre victoire seroit une parfaite réparation de la langueur de sa campagne, et du mauvais état des affaires du Roi; et il ne doutoit pas qu'il ne battît les ennemis, s'il pouvoit venir aux mains avec eux. Son cœur, amoureux de la gloire et ennemi de la crainte, le forçoit, par ses sentimens héroïques, à se croire invincible, particulièrement quand son roi avoit besoin qu'il le fût. L'audace des Espagnols étoit telle alors, qu'ils avoient fait mettre dans les gazettes d'Anvers, par dérision, qu'ils étoient résolus de faire jeter des monitoires pour savoir ce qu'étoit devenue l'armée de France; qu'ils l'avoient cherchée partout où elle devoit être, sans l'avoir jamais pu trouver. Mais à leur dommage elle se fit voir et sentir à eux par un combat (1) le plus sanglant et le plus opiniâtre qui se fût donné depuis long-temps. La Reine passa toute cette journée dans l'impatience de savoir ce qui étoit arrivé; et le soir à minuit, comme elle se déshabilloit pour se mettre au lit, arriva le comte de Châtillon (2), que M. le prince

(1) Par un combat: La bataille de Lens fut livrée le 20 août 1648. (2) Le comte de Châtillon : Gaspard 1v de Coligny, comte de Châtillon. Quelque temps après il fut fait duc.

458 [1648] MÉMOIRES DE MME, DE MOTTEVILLE.

avoit fait partir aussitôt après la bataille. L'on sut ensuite que ce noble courrier y avoit fait des merveilles dignes de lui et de sa race. Il assura la Reine de son bonheur, et lui apprit que tout ce qu'elle auroit pu désirer sur ce sujet étoit arrivé; que la victoire étoit demeurée aux Français, après l'avoir disputée aux ennemis aux dépens de leur vie et de leur sang, avec la prise du canon des ennemis; que le général Bec et son fils étoient prisonniers, le prince de Ligne, le comte de Saint-Amour, général de l'artillerie, trois mille morts sur la place, et cinq mille prisonniers, sans un nombre incroyable de blessés.

Cette bataille avoit été désirée des deux partis. L'archiduc avoit eu ordre du roi d'Espagne de la donner à quelque prix que ce fût, croyant avec raison que s'il la gagnoit, la France, vu l'état où elle étoit, seroit devenue la proie de son ambition. Et pour cet effet l'archiduc avoit envoyé son bagage se reposer dans les villes de Flandre, comme de son côté M. le prince en avoit fait autant; et ces deux grands princes avoient chacun le même dessein, qui étoit de combattre à outrance. Aussi tous deux y firent-ils de grandes choses.

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Paris, Imprimerie de A. BELIN, rue des Mathurins S.-J., no. 14.

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