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commerce et la navigation; vous aurez une existence brillante et courte. La mer ne baigne-t-elle sur vos côtes que des rochers presque inaccessibles, restez barbares et ichthyophages; vous en vivrez plus tranquilles, meilleurs peut-être, et sûrement plus heureux. En un mot, outre les maximes communes à tous, chaque peuple renferme en lui quelque cause qui les ordonne d'une manière particulière, et rend sa législation propre à lui seul. C'est ainsi qu'autrefois les Hébreux, et récemment les Arabes, ont eu pour principal objet la religion, les Athéniens les lettres, Carthage et Tyr le commerce, Rhodes la marine, Sparte la guerre, et Rome la vertu. L'auteur de l'Esprit des Lois a montré dans des foules d'exemples par quel art le législateur dirige l'institution vers chacun de ces objets.

Ce qui rend la constitution d'un état véritablement solide et durable, c'est quand les convenances sont tellement observées, que les rapports naturels et les Jois tombent toujours de concert sur les mêmes points, et que celles-ci ne font, pour ainsi dire, qu'assurer, accompagner, rectifier les autres. Mais si le législateur, se trompant dans son objet, prend un principe différent de celui qui naît de la nature des choses; que l'un tende à la servitude, et l'autre à la liberté; l'un aux richesses, l'autre à la population; l'un à la paix, l'autre aux conquêtes: on verra les lois s'affoiblir insensiblement, la constitution s'altérer; et l'état ne cessera d'être agité jusqu'à ce qu'il soit détruit ou changé, et que l'invincible nature ait repris son empire.

CHAPITRE XII.

Division des lois.

Pour ordonner le tout, ou donner la meilleure forme possible à la chose publique, il y a diverses relations à considérer. Premièrement, l'action du corps entier agissant sur lui-même, c'est-à-dire le rapport du tout au tout, ou du souverain à l'état; et ce rapport est composé de celui des termes intermédiaires, comme nous le verrons ci-après.

Les lois qui réglent ce rapport portent le nom de lois politiques, et s'appellent aussi lois fondamentales, non sans quelque raison si ces lois sont sages; car, s'il n'y a dans chaque état qu'une bonne manière de l'ordonner, le peuple qui l'a trouvée doit s'y tenir : mais si l'ordre établi est mauvais, pourquoi prendroiton pour fondamentales des lois qui l'empêchent d'être bon? D'ailleurs, en tout état de cause, un peuple est toujours le maître de changer ses lois, même les meilleures; car, s'il lui plaît de se faire mal à luimême, qui est-ce qui a droit de l'en empêcher?

La seconde relation est celle des membres entre eux, ou avec le corps entier; et ce rapport doit être au premier égard aussi petit, et au second aussi grand qu'il est possible; en sorte que chaque citoyen soit dans une parfaite indépendance de tous les autres, et dans une excessive dépendance de la cité : ce qui se fait toujours par les mêmes moyens; car il n'y a que la force de l'état qui fasse la liberté de ses mem

bres. C'est de ce deuxième rapport que naissent les lois civiles.

On peut considérer une troisième sorte de relation entre l'homme et la loi, savoir, celle de la désobéissance à la peine; et celle-ci donne lieu à l'établissement des lois criminelles, qui, dans le fond, sont moins une espèce particulière de lois que la sanction de toutes les autres.

A ces trois sortes de lois il s'en joint une quatrième, la plus importante de toutes, qui ne se grave ni sur le marbre, ni sur l'airain, mais dans les cœurs des citoyens; qui fait la véritable constitution de l'état; qui prend tous les jours de nouvelles forces; qui lorsqueles autres lois vieillissent ou s'éteignent, les ranime ou les supplée, conserve un peuple dans l'esprit de son institution, et substitue insensiblement la force de l'habitude à celle de l'autorité. Je parle des mœurs, des coutumes, et surtout de l'opinion; partie inconnue à nos politiques, mais de laquelle dépend le succès de toutes les autres; partie dont le grand législateur s'occupe en secret, tandis qu'il paroît se borner à des réglements particuliers, qui ne sont que le cintre de la voûte, dont les mœurs, plus lentes à naître, forment enfin l'inébranlable clef.

Entre ces diverses classes, les lois politiques, qui constituent la forme du gouvernement, sont la seule relative à mon sujet.

LIVRE III.

Avant de parler des diverses formes de gouvernement, tâchons de fixer le sens précis de ce mot, qui n'a pas encore été fort bien expliqué.

CHAPITRE I.

Du gouvernement en général.

po

J'avertis le lecteur que ce chapitre doit être lu sément, et que je ne sais l'art d'être clair pour qui

ne veut pas être attentif.

pas

1

Toute action libre a deux causes qui concourent à la produire : l'une morale, savoir la volonté qui détermine l'acte; l'autre physique, savoir la puissance qui l'exécute. Quand je marche vers un objet, il faut premièrement que j'y veuille aller; en second lieu, que mes pieds m'y portent. Qu'un paralytique veuille courir, qu'un homme agile ne le veuille pas, tous deux resteront en place. Le corps politique a les mêmes mobiles: on y distingue de même la force et la volonté; celle-ci sous le nom de puissance législative, l'autre sous le nom de puissance exécutive. Rien ne s'y fait ou ne s'y doit faire sans leur concours.

Nous avons vu que la puissance législative appartient au peuple, et ne peut appartenir qu'à lui. Il est aisé de voir, au contraire, par les principes ci-devant

établis, que la puissance exécutive ne peut appartenir à la généralité comme législatrice ou souveraine, parceque cette puissance ne consiste qu'en des actes particuliers qui ne sont point du ressort de la loi, ni par conséquent de celui du souverain, dont tous les actes ne peuvent être que des lois.

Il faut donc à la force publique un agent propre qui la réunisse et la mette en œuvre selon les dire tìons de la volonté générale, qui serve à la communication de l'état et du souverain, qui fasse en quelque sorte dans la personne publique ce que fait dans l'homme l'union de l'ame et du corps. Voilà quelle est, dans l'état, la raison du gouvernement, confondu mal à propos avec le souverain, dont il n'est que le

ministre.

Qu'est-ce donc que le gouvernement? Un corps intermédiaire établi entre les sujets et le souverain pour leur mutuelle correspondance, chargé de l'exécution des lois, et du maintien de la liberté tant civile que politique.

Les membres de ce corps s'appellent magistrats ou rois, c'est-à-dire, gouverneurs; et le corps entier porte le nom de prince1. Ainsi ceux qui prétendent que l'acte par lequel un peuple se soumet à des chefs n'est point un contrat ont grande raison. Ce n'est absolument qu'une commission, un emploi, dans lequel, simples officiers du souverain, ils exercent en son nom le pouvoir dont il les a faits dépositaires, et qu'il peut limiter, modifier, et reprendre quand il lui plaît.

'C'est ainsi qu'à Venise on donne au collège le nom de sérénissime prince, même quand le doge n'y assiste pas.

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