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ne fournissant ni soldats à l'armée, ni votants au champ de Mars, et n'étant presque d'aucun usage dans la république, étoit rarement comptée pour quelque chose.

Telles furent les différentes divisions du peuple romain. Voyons à présent l'effet qu'elles produisoient dans les assemblées. Ces assemblées, légitimement convoquées, s'appeloient comices: elles se tenoient ordinairement dans la place de Rome ou au champ de Mars, et se distinguoient en comices par curies, comices par centuries, et comices par tribus, selon celle de ces trois formes sur laquelle elles étoient ordonnées. Les comices par curies étoient de l'institution de Romulus; ceux par centuries, de Servius; ceux par tribus, des tribuns du peuple. Aucune loi ne recevoit la sanction, aucun magistrat n'étoit élu, que dans les comices; et comme il n'y avoit aucun citoyen qui ne fût inscrit dans une curie, dans une centurie, ou dans une tribu, il s'ensuit qu'aucun citoyen n'étoit exclu du droit de suffrage, et que le peuple romain étoit véritablement souverain de droit et de fait.

Pour que les comices fussent légitimement assemblés, et que ce qui s'y faisoit eût force de loi, il falloit trois conditions: la première, que le corps ou le magistrat qui les convoquoit fût revêtu pour cela de l'autorité nécessaire; la seconde, que l'assemblée se fìt

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'Je dis au champ de Mars, parceque c'étoit là que s'assembloient les comices par centuries dans les deux autres formes le peuple s'assembloit au forum ou ailleurs; et alors les capite censi avoient autant d'influence et d'autorité que les premiers citoyens.

un des jours permis par la loi; la troisième, que les augures fussent favorables.

La raison du premier réglement n'a pas besoin d'être expliquée; le second est une affaire de police: ainsi il n'étoit pas permis de tenir les comices les jours de férie et de marché, où les gens de la campagne, venant à Rome pour leurs affaires, n'avoient pas le temps de passer la journée dans la place publique. Par le troisième, le sénat tenoit en bride un peuple fier et remuant, et tempéroit à propos l'ardeur des tribuns séditieux; mais ceux-ci trouvèrent plus d'un moyen de se délivrer de cette gêne.

Les lois et l'élection des chefs n'étoient pas les seuls points soumis au jugement des comices: le peuple romain ayant usurpé les plus importantes fonctions du gouvernement, on peut dire que le sort de l'Europe étoit réglé dans ses assemblées. Cette variété d'objets donnoit lieu aux diverses formes que prenoient ces assemblées, selon les matières sur lesquelles il avoit à prononcer.

Pour juger de ces diverses formes il suffit de les comparer. Romulus, en instituant les curies, avoit en vue de contenir le sénat par le peuple et le peuple par le sénat, en dominant également sur tous. Il donna donc au peuple, par cette forme, toute l'autorité du nombre pour balancer celle de la puissance et des richesses qu'il laissoit aux patriciens. Mais, selon l'esprit de la monarchie, il laissa cependant plus d'avantage aux patriciens par l'influence de leurs clients sur la pluralité des suffrages. Cette admirable institution des patrons et des clients fut un chef

d'œuvre de politique et d'humanité sans lequel le patriciat, si contraire à l'esprit de la république, n'eût subsister. Rome seule a eu l'honneur de donner au monde ce bel exemple, duquel il ne résulta jamais d'abus, et qui pourtant n'a jamais été suivi.

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Cette même forme des curies ayant subsisté sous les rois jusqu'à Servius, et le règne du dernier Tarquin n'étant point compté pour légitime, cela fit distinguer généralement les lois royales par le nom de leges curiatæ.

Sous la république, les curies, toujours bornées aux quatre tribus urbaines, et ne contenant plus que la populace de Rome, ne pouvoient convenir ni au sénat, qui étoit à la tête des patriciens, ni aux tribuns, qui, quoique plébéiens, étoient à la tête des citoyens aisés. Elles tombèrent donc dans le discrédit; et leur avilissement fut tel, que leurs trente licteurs assem blés faisoient ce que les comices par curies auroient dû faire.

La division par centuries étoit si favorable à l'aristocratie, qu'on ne voit pas d'abord comment le sénat ne l'emportoit pas toujours dans les comices qui portoient ce nom, et par lesquels étoient élus les consuls, les censeurs, et les autres magistrats curules. En effet, des cent quatre-vingt-treize centuries qui formoient les six classes de tout le peuple romain, la première classe en comprenant quatre-vingt-dix-huit, et les voix ne se comptant que par centuries, cette seule première classe l'emportoit en nombre de voix sur toutes les autres. Quand toutes ces centuries étoient d'accord, on ne continuoit pas même à recueillir les

suffrages; ce qu'avoit décidé le plus petit nombre passoit pour une décision de la multitude; et l'on peut dire que, dans les comices par centuries, les affaires se régloient à la pluralité des écus bien plus qu'à celle des voix.

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Mais cette extrême autorité se tempéroit par deux moyens premièrement, les tribuns pour l'ordinaire, et toujours un grand nombre de plébéiens, étant dans la classe des riches, balançoient le crédit des patriciens dans cette première classe.

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Le second moyen consistoit en ceci, qu'au lieu de faire d'abord voter les centuries selon leur ordre, ce qui auroit toujours fait commencer par la première, on en tiroit une au sort, et celle-là 1 procédoit seule à l'élection; après quoi toutes les centuries, appelées un autre jour selon leur rang, répétoient la même élection, et la confirmoient ordinairement. On ôtoit ainsi l'autorité de l'exemple au rang pour la donner au sort, selon le principe de la démocratie.

Il résultoit de cet usage un autre avantage encore, c'est que les citoyens de la campagne avoient le temps, entre les deux élections, de s'informer du mérite du candidat provisionnellement nommé, afin de ne donner leur voix qu'avec connoissance de cause. Mais, sous prétexte de célérité, l'on vint à bout d'abolir cet usage, et les deux élections se firent le même jour.

Les comices par tribus étoient proprement le con

1 Cette centurie, ainsi tirée au sort, s'appeloit prærogativa, à cause qu'elle étoit la première à qui l'on demandoit son suffrage; et c'est de là qu'est venu le mot de prérogative.

seil du peuple romain. Ils ne se convoquoient que par les tribuns; les tribuns y étoient élus et y passoient leurs plébiscites. Non seulement le sénat n'y avoit point de rang, il n'avoit pas même le droit d'y assister; et, forcés d'obéir à des lois sur lesquelles ils n'avoient pu voter, les sénateurs, à cet égard, étoient moins libres que les derniers citoyens. Cette injustice étoit tout-à-fait mal entendue, et suffisoit seule pour invalider les décrets d'un corps où tous ses membres n'étoient pas admis. Quand tous les patriciens eussent assisté à ces comices selon le droit qu'ils en avoient comme citoyens, devenus alors simples particuliers ils n'eussent guère influé sur une forme de suffrages qui se recueilloient par tête, et où le moindre prolétaire pouvoit autant que le prince du sénat.

On voit donc qu'outre l'ordre qui résultoit de ces diverses distributions pour le recueillement des suffrages d'un si grand peuple, ces distributions ne se réduisoient pas à des formes indifférentes en ellesmêmes, mais que chacune avoit des effets relatifs aux vues qui la faisoient préférer.

Sans entrer là-dessus en de plus longs détails, il résulte des éclaircissements précédents que les comices par tribus étoient les plus favorables au gouvernement populaire, et les comices par centuries à l'aristocratie. A l'égard des comices par curies, où la seule populace de Rome formoit la pluralité, comme ils n'étoient bons qu'à favoriser la tyrannie et les mauvais desseins, ils durent tomber dans le décri, les séditieux eux-mêmes s'abstenant d'un moyen qui mettoit trop à découvert leurs projets. Il est certain

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