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de tentation sans espoir. Rendez l'usurpation impossible à vos rois, vous leur en ôterez la fantaisie; et ils mettront, à vous bien gouverner et à vous défendre, tous les efforts qu'ils font maintenant pour vous asservir. Les instituteurs de la Pologne, comme l'a remarqué M. le comte Wielhorski, ont bien songé à ôter aux rois les moyens de nuire, mais non pas celui de corrompre; et les graces dont ils sont les distributeurs leur donnent abondamment ce moyen. La difficulté est qu'en leur ôtant cette distribution l'on paroît leur tout ôter: c'est pourtant ce qu'il ne faut pas faire ; car autant, vaudroit n'avoir point de roi; et je crois impossible à un aussi grand état que la Pologne de s'en passer, c'est-à-dire d'un chef suprême qui soit à vie. Or, à moins que le chef d'une nation ne soit tout-à-fait nul, et par conséquent inutile, il faut bien qu'il puisse faire quelque chose; et, si peu qu'il fasse, il faut nécessairement que ce soit du bien ou du mal.

Maintenant tout le sénat est à la nomination du roi : c'est trop. S'il n'a aucune part à cette nomination, ce n'est pas assez. Quoique la pairie en Angleterre soit aussi à la nomination du roi, elle en est bien moins dépendante, parceque cette pairie une fois donnée est héréditaire; au lieu que les évêchés, palatinats, et castellanies, n'étant qu'à vie, retournent, à la mort de chaque titulaire, à la nomination du roi.

J'ai dit comment il me paroît que cette nomination devroit se faire; savoir, les palatins et grands castellans, à vie et par leurs diétines respectives; les castellans du second rang, à temps et par la diéte. A

l'égard des évêques, il me paroît difficile, à moins qu'on ne les fasse élire par leurs chapitres, d'en ôter la nomination au roi : et je crois qu'on peut la lui laisser, excepté toutefois celle de l'archevêque de Gnesne *, qui appartient naturellement à la diéte; à moins qu'on n'en sépare la primatie, dont elle seule doit disposer. Quant aux ministres, surtout les grands généraux et grands trésoriers, quoique leur puissance, qui fait contre-poids à celle du roi, doive être diminuée en proportion de la sienne, il ne me paroît pas prudent de laisser au roi le droit de remplir ces places par ses créatures, et je voudrois au moins qu'il n'eût que le choix sur un petit nombre de sujets présentés la diéte. Je conviens que, ne pouvant plus ôter ces places après les avoir données, il ne peut plus compter absolument sur ceux qui les remplissent: mais c'est assez du pouvoir qu'elles lui donnent sur les aspirants, sinon pour le mettre en état de changer la face du gouvernement, du moins pour lui en laisser l'espérance; et c'est surtout cette espérance qu'il importe de lui ôter à tout prix.

par

Pour le grand chancelier, il doit, ce me semble, ⚫ être de nomination royale. Les rois sont les juges nés de leurs peuples; c'est pour cette fonction, quoiqu'ils l'aient tous abandonnée, qu'ils ont été établis : elle ne peut leur être ôtée; et quand ils ne veulent pas la

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Gnesne étoit autrefois la capitale de la Pologne. Son archevêque, primat du royaume et légat né du saint-siège, étoit chef de la république pendant l'interrègne, et c'étoit en son nom que s'expédioient les universaux pour la diète dite d'élection; il couronnoit les rois et les reines.

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remplir eux-mêmes, la nomination de leurs substituts en cette partie est de leur droit, parceque c'est toujours à eux de répondre des jugements qui se rendent en leur nom. La nation peut, il est vrai, leur donner des assesseurs, et le doit lorsqu'ils ne jugent pas euxmêmes: ainsi le tribunal de la couronne, où préside, non le roi, mais le grand chancelier, est sous l'inspection de la nation, et c'est avec raison que les diétines en nomment les autres membres. Si le roi jugeoit en personne, j'estime qu'il auroit le droit de juger seul. En tout état de cause son intérêt seroit toujours d'être juste, et jamais des jugements iniques ne furent une bonne voie pour parvenir à l'usurpation.

A l'égard des autres dignités, tant de la couronne que des palatinats, qui ne sont que des titres honorifiques et donnent plus d'éclat que de crédit, on ne peut mieux faire que de lui en laisser la pleine disposition: qu'il puisse honorer le mérite et flatter la vanité, mais qu'il ne puisse conférer la puissance.

La majesté du trône doit être entretenue avec splendeur mais il importe que de toute la dépense nécessaire à cet effet on en laisse faire au roi le moins qu'il est possible. Il seroit à desirer que tous les officiers du roi fussent aux gages de la république, et non pas aux siens, et qu'on réduisît en même rapport tous les revenus royaux, afin de diminuer autant qu'il se peut le maniement des deniers par les mains

du roi.

On a proposé de rendre la couronne héréditaire. Assurez-vous qu'au moment que cette loi sera portée, la Pologne peut dire adieu pour jamais à sa

liberté *. On pense y pourvoir suffisamment en bornant la puissance royale. On ne voit pas que ces bornes posées par les lois seront franchies à trait de temps par des usurpations graduelles, et qu'un système adopté et suivi sans interruption par une famille royale doit l'emporter à la longue sur une législation qui, par sa nature, tend sans cesse au relâchement. Si le roi ne peut corrompre les grands par des graces, peut toujours les corrompre par des promesses dont

il

ses

successeurs sont garants; et comme les plans formés par la famille royale se perpétuent avec elle, on prendra bien plus de confiance en ses engagements, et l'on comptera bien plus sur leur accomplissement, que quand la couronne élective montre la fin des projets du monarque avec celle de sa vie. La Pologne est libre, parceque chaque régne est précédé d'un intervalle où la nation, rentrée dans tous ses droits et reprenant une vigueur nouvelle, coupe le progrès des abus et des usurpations, où la législation se remonte et reprend son premier ressort. Que deviendront les pacta conventa, l'égide de la Pologne, quand une famille établie sur le trône à perpétuité le remplira sans intervalle, et ne laissera à la nation, entre la mort du père et le couronnement du fils, qu'une vaine ombre de liberté sans effet, qu'anéantira bientôt la simagrée du serment fait par tous les rois à leur sacre, et par tous oublié pour jamais l'instant d'après? Vous avez

* Mably soutient un système tout différent; il réclame avec force l'hérédité de la couronne, et les deux chapitres (5 et 19) où il développe sa pensée à ce sujet sont peut-être les meilleurs de son ouvrage.

vu le Danemarck, vous voyez l'Angleterre, et vous allez voir la Suède : profitez de ces exemples pour apprendre une fois pour toutes que, quelques précautions qu'on puisse entasser, hérédité dans le trône et liberté dans la nation seront à jamais des choses incompatibles.

Les Polonois ont toujours eu du penchant à transmettre la couronne du père au fils, ou au plus proche par voie d'héritage, quoique toujours par droit d'élection. Cette inclination, s'ils continuent à la suivre, les ménera tôt ou tard au malheur de rendre la couronne héréditaire; et il ne faut pas qu'ils espèrent lutter aussi long-temps de cette manière contre la puissance royale, que les membres de l'empire germanique ont lutté contre celle de l'empereur, parceque la Pologne n'a point en elle-même de contre-poids suffisant pour maintenir un roi héréditaire dans la subordination légale. Malgré la puissance de plusieurs membres de l'empire, sans l'élection accidentelle de Charles VII * les capitulations impériales ne seroient déjà plus qu'un vain formulaire, comme elles l'étoient au commencement de ce siècle; et les pacta conventa deviendront bien plus vains encore quand la famille royale aura eu le temps de s'affermir et de mettre toutes les autres au-dessous d'elle. Pour dire en un mot mon sentiment sur cet article, je pense qu'une couronne élective, avec le plus absolu pouvoir, vaudroit encore

*

Électeur de Bavière, élu empereur en 1742, quinze mois après la mort de Charles VI, dernier mâle de la maison de HabsbourgAutriche, mort qui donna lieu à la guerre dite de la succession.

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