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régisseurs, quand tous ces biens seront en nature et point en argent : mais il faut faire alors de cette régie et de son inspection autant d'épreuves de bon sens, de vigilance, et surtout d'intégrité, pour parvenir à des places plus éminentes. On ne fera qu'imiter à cet égard l'administration municipale établie à Lyon, où il faut commencer par être administrateur de l'HôtelDieu pour parvenir aux charges de la ville, et c'est sur la manière dont on s'acquitte de celle-là qu'on fait juger si l'on est digne des autres. Il n'y avoit rien de plus intègre que les questeurs des armées romaines, parceque la questure étoit le premier pas pour arriver aux charges curules. Dans les places qui peuvent tenter la cupidité, il faut faire en sorte que l'ambition la réprime. Le plus grand bien qui résulte de là n'est pas l'épargne des friponneries, mais c'est de mettre en honneur le désintéressement, et de rendre la pauvreté respectable quand elle est le fruit de l'intégrité.

Les revenus de la république n'égalent pas sa dépense; je le crois bien : les citoyens ne veulent rien payer du tout. Mais des hommes qui veulent être libres ne doivent pas être esclaves de leur bourse, et où est l'état où la liberté ne s'achète pas et même très cher? On me citera la Suisse; mais, comme je l'ai déjà dit, dans la Suisse les citoyens remplissent eux-mêmes les fonctions que partout ailleurs ils aiment mieux payer pour les faire remplir par d'autres. Ils sont soldats, officiers, magistrats,, ouvriers: ils sont tout pour le service de l'état; et, toujours prêts à payer de leur personne, ils n'ont pas besoin de payer encore de leur bourse. Quand les Polonois voudront en faire autant,

ils n'auront pas plus besoin d'argent que les Suisses: mais si un grand état refuse de se conduire sur les maximes des petites républiques, il ne faut pas qu'il en recherche les avantages, ni qu'il veuille l'effet en rejetant les moyens de l'obtenir. Si la Pologne étoit, selon mon desir, une confédération de trente-trois petits états, elle réuniroit la force des grandes monarchies et la liberté des petites républiques; mais il faudroit pour cela renoncer à l'ostentation, et j'ai peur que cet article ne soit le plus difficile.

De toutes les manières d'asseoir un impôt, la plus commode et celle qui coûte le moins de frais est sans contredit la capitation; mais c'est aussi la plus forcée, la plus arbitraire, et c'est sans doute pour cela que Montesquieu la trouve servile, quoiqu'elle ait été la seule pratiquée par les Romains, et qu'elle existe encore en ce moment en plusieurs républiques, sous d'autres noms à la vérité, comme à Genève, où l'on appelle cela payer les gardes, et où les seuls citoyens et bourgeois paient cette taxe, tandis que les habitants et natifs en paient d'autres; ce qui est exactement le contraire de l'idée de Montesquieu.

Mais comme il est injuste et déraisonnable d'imposer les gens qui n'ont rien, les impositions réelles valent toujours mieux que les personnelles: seulement il faut éviter celles dont la perception est difficile et coûteuse, et celles surtout qu'on élude par la contrebande, qui fait des non-valeurs, remplit l'état de fraudeurs et de brigands, et corrompt la fidélité des citoyens. Il faut que l'imposition soit si bien proportionnée, que l'embarras de la fraude en surpasse

le profit. Ainsi jamais d'impôt sur ce qui se cache aisément, comme la dentelle et les bijoux; il vaut mieux défendre de les porter que de les entrer. En France on excite à plaisir la tentation de la contrebande, et cela me fait croire que la ferme trouve son compte à ce qu'il y ait des contrebandiers. Ce système est abominable et contraire à tout bon sens. L'expérience apprend que le papier timbré est un impôt singulièrement onéreux aux pauvres, gênant pour le commerce, qui multiplie extrêmement les chicanes, et fait beaucoup crier le peuple partout où il est établi : je ne conseillerois pas d'y penser. Celui sur les bestiaux me paroît beaucoup meilleur, pourvu qu'on évite la fraude; car toute fraude possible est toujours une source de maux. Mais il peut être onéreux aux contribuables en ce qu'il faut le payer en argent, et le produit des contributions de cette espèce est trop sujet à être dévoyé de sa destination.

L'impôt le meilleur, à mon avis, le plus naturel, et qui n'est point sujet à la fraude, est une taxe proportionnelle sur les terres, et sur toutes les terres sans exception, comme l'ont proposée le maréchal de Vauban et l'abbé de Saint-Pierre; car enfin c'est ce qui produit qui doit payer. Tous les biens royaux, terrestres, ecclésiastiques et en roture, doivent payer également, c'est-à-dire proportionnellement à leur étendue et à leur produit, quel qu'en soit le propriétaire. Cette imposition paroîtroit demander une opération préliminaire qui seroit longue et coûteuse, savoir un cadastre général. Mais cette dépense peut très bien s'éviter, et même avec avantage, en as

seyant l'impôt non sur la terre directement, mais sur son produit, ce qui seroit encore plus juste; c'està-dire en établissant dans la proportion qui seroit jugée convenable une dime qui se leveroit en nature sur la récolte, comme la dîme ecclésiastique; et, pour éviter l'embarras des détails et des magasins, on affermeroit ces dîmes à l'enchère comme font les curés; en sorte que les particuliers ne seroient tenus de payer la dîme que sur leur récolte, et ne la paieroient de leur bourse que lorsqu'ils l'aimeroient mieux ainsi, sur un tarif réglé par le gouvernement. Ces fermes réunies pourroient être un objet de commerce, par débit des denrées qu'elles produiroient, et qui pourroient passer à l'étranger par la voie de Dantzick ou de Riga. On éviteroit encore par là tous les frais de perception et de régie, toutes ces nuées de commis et d'employés si odieux au peuple, si incommodes au public; et, ce qui est le plus grand point, la république auroit de l'argent sans que les citoyens fussent obligés d'en donner; car je ne répéterai jamais assez que ce qui rend la taille et tous les impôts onéreux au cultivateur est qu'ils sont pécuniaires, et qu'il est premièrement obligé de vendre pour parvenir à payer.

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CHAPITRE XII.

Système militaire.

De toutes les dépenses de la république, l'entretien de l'armée de la couronne est la plus considérable, et certainement les services que rend cette armée ne

sont pas proportionnés à ce qu'elle coûte. Il faut pourtant, va-t-on dire aussitôt, des troupes pour garder l'état. J'en conviendrois si ces troupes le gardoient en effet; mais je ne vois pas que cette armée l'ait jamais garanti d'aucune invasion, et j'ai grand'peur qu'elle ne l'en garantisse pas plus dans la suite.

La Pologne est environnée de puissances belliqueuses qui ont continuellement sur pied de nombreuses troupes parfaitement disciplinées, auxquelles, avec les plus grands efforts, elle n'en pourra jamais opposer de pareilles sans s'épuiser en très peu de temps, surtout dans l'état déplorable où celles qui la désolent vont la laisser. D'ailleurs on ne la laisseroit pas faire; et si, avec les ressources de la plus vigoureuse administration, elle vouloit mettre son armée sur un pied respectable, ses voisins, attentifs à la prévenir, l'écraseroient bien vite avant qu'elle pût exécuter son projet. Non, si elle ne veut que les imiter, elle ne leur résistera jamais.

La nation polonoise est différente de naturel, de gouvernement, de mœurs, de langage, non seulement de celles qui l'avoisinent, mais de tout le reste de l'Europe. Je voudrois qu'elle en différât encore dans sa constitution militaire, dans sa tactique, dans sa discipline, qu'elle fût toujours elle et non pas une autre. C'est alors seulement qu'elle sera tout ce qu'elle peut être, et qu'elle tirera de son sein toutes les ressources qu'elle peut avoir. La plus inviolable loi de la nature est la loi du plus fort. Il n'y a point de législation, point de constitution qui puisse exempter de cette loi. Chercher les moyens de vous garantir des invasions d'un

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