Images de page
PDF
ePub

et ambitieuses que cette couronne destinée au plus digne, et mise en perspective devant les yeux de tout citoyen qui saura mériter l'estime publique! Que de vertus, que de nobles efforts l'espoir d'en acquérir le plus haut prix ne doit-il pas exciter dans la nation! quel ferment de patriotisme dans tous les cœurs, quand on sauroit bien que ce n'est que par là qu'on peut obtenir cette place devenue l'objet secret des vœux de tous les particuliers, sitôt qu'à force de mérite et de services il dépendra d'eux de s'en approcher toujours davantage, et, si la fortune les seconde, d'y parvenir enfin tout-à-fait! Cherchons le meilleur moyen de mettre en jeu ce grand ressort si puissant dans la république, et si négligé jusqu'ici. L'on me dira qu'il ne suffit pas de ne donner la couronne qu'à des Polonois pour lever les difficultés dont il s'agit: c'est ce que nous verrons tout-à-l'heure après que j'aurai proposé mon expédient. Cet expédient est simple; mais il paroîtra d'abord manquer le but que je viens de marquer moi-même, quand j'aurai dit qu'il consiste à faire entrer le sort dans l'élection des rois. Je demande en grace qu'on me laisse le temps de m'expliquer, ou seulement qu'on me relise avec attention.

Car si l'on dit, Comment s'assurer qu'un roi tiré au sort ait les qualités requises pour remplir dignement sa place? on fait une objection que j'ai déjà résolue, puisqu'il suffit pour cet effet que le roi ne puisse être tiré que des sénateurs à vie; car puisqu'ils seront tirés eux-mêmes de l'ordre des gardiens des lois, et qu'ils auront passé avec honneur par tous les grades

de la république, l'épreuve de toute leur vie et l'approbation publique dans tous les postes qu'ils auront remplis seront des garants suffisants du mérite et des vertus de chacun d'eux.

Je n'entends pas néanmoins que même entre les sénateurs à vie le sort décide seul de la préférence : ce seroit toujours manquer en partie le grand but qu'on doit se proposer. Il faut que le sort fasse quelque chose, et que le choix fasse beaucoup, afin d'un côté d'amortir les brigues et les menées des puissances étrangères, et d'engager de l'autre tous les palatins par un si grand intérêt à ne point se relâcher dans leur conduite, mais à continuer de servir la patrie avec zéle pour mériter la préférence sur leurs

concurrents.

J'avoue que la classe de ces concurrents me paroît bien nombreuse, si l'on y fait entrer les grands castellans presque égaux en rang aux palatins par la constitution présente; mais je ne vois pas quel inconvénient il y auroit à donner aux seuls palatins l'accès immédiat au trône. Cela feroit dans le même ordre un nouveau grade que les grands castellans auroient encore à passer pour devenir palatins, et par conséquent un moyen de plus pour tenir le sénat dépendant du législateur. On a déjà vu que ces grands castellans me paroissent superflus dans la constitution. Que néanmoins, pour éviter tout grand changement, on leur laisse leur place et leur rang au sénat; je l'approuve. Mais, dans la graduation que je propose, rien n'oblige de les mettre au niveau des palatins; et comme rien n'en empêche non plus, on pourra sans inconvénient

se décider pour le parti qu'on jugera le meilleur. Je suppose ici que ce parti préféré sera d'ouvrir aux seuls palatins l'accès immédiat au trône.

Aussitôt donc après la mort du roi, c'est-à-dire dans le moindre intervalle qu'il sera possible, et qui sera fixé par la loi, la diéte d'élection sera solennellement convoquée; les noms de tous les palatins seront mis en_concurrence, et il en sera tiré trois au sort avec toutes les précautions possibles pour qu'aucune fraude n'altère cette opération. Ces trois noms seront à haute voix déclarés à l'assemblée, qui, dans la même séance et à la pluralité des voix, choisira celui qu'elle préfère, et il sera proclamé roi dès le même jour.

On trouvera dans cette forme d'élection un grand inconvénient, je l'avoue, c'est que la nation ne puisse choisir librement dans le nombre des palatins celui qu'elle honore et chérit davantage, et qu'elle juge le plus digne de la royauté. Mais cet inconvénient n'est pas nouveau en Pologne, où l'on a vu, dans plusieurs élections, que, sans égard pour ceux que la nation favorisoit, on l'a forcée de choisir celui qu'elle auroit rebuté: mais pour cet avantage qu'elle n'a plus et qu'elle sacrifie, combien d'autres plus importants elle gagne par cette forme d'élection!

Premièrement l'action du sort amortit tout d'un coup les factions et brigues des nations étrangères qui ne peuvent influer sur cette élection, trop incertaines du succès pour y mettre beaucoup d'efforts, vu que la fraude même seroit insuffisante en faveur d'un sujet que la nation peut toujours rejeter. La grandeur seule de cet avantage est telle qu'il assure le repos de

la Pologne, étouffe la vénalité dans la république, et laisse à l'élection presque toute la tranquillité de l'hérédité.

Le même avantage a lieu contre les brigues mêmes des candidats; car, qui d'entre eux voudra se mettre en frais pour s'assurer une préférence qui ne dépend point des hommes, et sacrifier sa fortune à un événement qui tient à tant de chances contraires pour une favorable? Ajoutons que ceux que le sort a favorisés ne sont plus à temps d'acheter des électeurs, puisque l'élection doit se faire dans la même séance.

Le choix libre de la nation entre trois candidats la préserve des inconvénients du sort, qui, par supposition, tomberoit sur un sujet indigne; car, dans cette supposition, la nation se gardera de le choisir; et il n'est pas possible qu'entre trentre-trois hommes illus- ! tres, l'élite de la nation, où l'on ne comprend pas même comment il peut se trouver un seul sujet indigne, ceux que favorisa le sort le soient tous les trois. Ainsi, et cette observation est d'un grand poids, nous réunissons par cette forme tous les avantages de l'élection à ceux de l'hérédité.

Car premièrement, la couronne ne passant point du père au fils, il n'y aura jamais continuité de système pour l'asservissement de la république. En second lieu, le sort même dans cette forme est l'instrument d'une élection éclairée et volontaire. Dans le corps respectable des gardiens des lois et des palatins qui en sont tirés, il ne peut faire un choix, quel qu'il puisse être, qui n'ait été déjà fait par la nation.

Mais voyez quelle émulation cette perspective doit

porter dans le corps des palatins et grands castellans, qui, dans des places à vie, pourroient se relâcher par la certitude qu'on ne peut plus les leur ôter. Ils ne peuvent plus être contenus par la crainte; mais l'espoir de remplir un trône que chacun d'eux voit si près de lui est un nouvel aiguillon qui les tient sans cesse attentifs sur eux-mêmes. Ils savent que le sort les favoriseroit en vain s'ils sont rejetés à l'élection, et que le seul moyen d'être choisis est de le mériter. Cet avantage est trop grand, trop évident, pour qu'il soit nécessaire d'y insister.

Supposons un moment, pour aller au pis, qu'on ne peut éviter la fraude dans l'opération du sort, et qu'un des concurrents vint à tromper la vigilance de tous les autres si intéressés à cette opération. Cette fraude seroit un malheur pour les candidats exclus, mais l'effet pour la république seroit le même que si la décision du sort eût été fidéle; car on n'en auroit pas moins l'avantage de l'élection, on n'en préviendroit pas moins les troubles des interregnes et les dangers de l'hérédité; le candidat que son ambition séduiroit jusqu'à recourir à cette fraude n'en seroit pas moins au surplus un homme de mérite, capable, au jugement de la nation, de porter la couronne avec honneur ; et enfin, même après cette fraude, il n'en dépendroit pas moins, pour en profiter, du choix subséquent et formel de la république.

Par ce projet adopté dans toute son étendue, tout est lié dans l'état; et depuis le dernier particulier jusqu'au premier palatin, nul ne voit aucun moyen d'avancer que par la route du devoir et de l'approba

« PrécédentContinuer »