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Le style, généralement heureux, naturel, négligé, délicat sans rien de précieux, n'est pas exempt, en deux ou trois endroits, d'une apparence de recherche ou de papillotage, qui sent l'approche du xvin siècle. Je passerais encore que le président Tambonneau, venu en Angleterre pour briller, et voyant qu'il y perd sa peine, retourne en France aux pieds de ses premières habitudes, c'est-à-dire de sa première maîtresse; mais c'est trop que le fat Jermyn ne soit dans toute sa personne qu'un trophée mouvant des faveurs et des libertés du beau sexe. Crébillon fils aurait envié ce trophée-là. On noterait deux ou trois traits pareils d'un goût équivoque, et ce ne serait que justice chez un railleur qui ne passe rien.

En un mot, le xvIe siècle commence avec Hamilton. Il a déjà la phrase courte de Voltaire. Bossuet vient de sortir fort à propos du monde au moment où il écrit (1704). Il est avec La Fare, Sainte-Aulaire, Chaulieu, de ce petit groupe de voluptueux choisis qui marque la transition des deux âges. Il touche du doigt aux Lettres persanes publiées un an après sa mort (1721). Mais, dans les Lettres persanes, la plaisanterie s'attaque déjà aux choses sérieuses, et y prend une âcreté que Montesquieu ensuite regrettera. Hamilton ne se joue, du moins plume en main, que sur des choses légères, et n'est moqueur qu'à demi-voix. Il est de ces vifs et heureux esprits qui ornent doucement le début du siècle, bien avant la déclamation qui s'ouvre avec Rousseau, et avant la propagande qui va prendre feu avec Voltaire. Épicurien sur tant de points peut-être, il a du moins la prudence de sentir que, pour l'être à son aise, il ne faut pas que tout le monde le soit. C'est à sa suite que je rangerais un peu confusément, et sauf la différence des âges, quelques noms que je rencontre en ces années, le président Hé

nault, le président de Maisons, le comte des Alleurs, et le fils de Bussy, cet évêque de Luçon qu'on proclamait le Dieu de la bonne compagnie et plus aimable que son père. Ce serait là le cortége d'Hamilton. Joignez - y Mme Du Deffand. En lui dédiant l'édition de luxe à cent exemplaires qu'il fit imprimer des Mémoires de Grammont, Horace Walpole lui disait à bon droit qu'elle en rappelait l'auteur pour les agréments et la qualité de l'esprit.

Hamilton mourut à Saint-Germain le 21 avril 1720, àgé d'environ soixante-quatorze ans, dans de grands sentiments de piété, dit-on, et après avoir reçu les sacrements; il redevint un homme du xvII° siècle à l'article de la mort. Quelques Réflexions en vers, qu'on trouve à la fin de ses poésies, attestent, en effet, qu'il eut son jour de repentir sincère, comme La Fontaine. Je lis dans les Anecdotes littéraires de l'abbé de Voisenon, un mot sur Hamilton, qui aurait besoin d'éclaircissement : « Le comte de Caylus, qui le voyait souvent chez sa mère, dit cet abbé, m'a certifié plus d'une fois qu'il n'était point aimable. » Se peut-il qu'Hamilton n'ait point été aimable en société, et, malgré toutes les attestations du monde, le voudra-t-on croire? Hamilton, quand le comte de Caylus le vit chez sa mère, était vieux, fatigué peut-être; de tout temps, d'ailleurs, on le conçoit volontiers capricieux, d'humeur assez inégale, comme l'était sa sœur ; il avait ce coin de singularité dont parle Saint-Simon. Il nous dit quelque part qu'il sait très-bien se taire, ou plutôt qu'il n'aime pas trop à parler. Avec sa causticité malicieuse et cette lèvre fine qu'on lui connaît, il avait besoin qu'on fit silence autour de lui, et quand Caylus le vit chez sa mère, il y avait sans doute un peu trop de bruit et de jeunesse ce jour-là.

Je compte bien, à propos des réimpressions modernes de nos classiques, me donner ainsi la permission de revenir de temps en temps sur ces auteurs d'autrefois qui, de tous, sont encore les plus vivants.

Lundi 19 novembre 1849.

OEUVRES LITTÉRAIRES DE M. VILLEMAIN.

(Collection Didier, 10 vol.)

OEUVRES LITTÉRAIRES DE M. COUSIN.

(3 vol.)

En associant ces deux noms si souvent unis, déjà bien anciens et toujours présents, je ne les aborderai ici que par un seul aspect, et je considérerai uniquement MM. Villemain et Cousin comme critiques littéraires, les deux plus éloquents critiques de ce temps-ci, et comme venant de rassembler leurs titres à cet égard anx yeux du public dans des OEuvres corrigées et revues avec soin. C'est déjà un salutaire exemple que de voir des hommes, si comblés par la renommée, se recueillir pour donner à des œuvres qui ont eu dès longtemps leur succès, et qui n'en sont plus à attendre la faveur publique, ce degré de perfection et de fini qui n'est sensible qu'à des lecteurs attentifs, et qui ne s'apprécie que si l'on y regarde de très-près. J'y vois la preuve que ces rares esprits ont conservé dans son intégrité la religion littéraire, la foi au lendemain, à ce qu'on appelait anciennement la postérité. C'est là un genre de religion qui s'est trop affaibli dans les âmes comme les autres religions, et dont le défaut se traduit dans la protique en un seul fait trop évident: parmi ceux qui écrivent, combien en est-il qui cherchent à faire de leur mieux aujourd'hui ?

M. Villemain nous avertit tout d'abord et nous conseille, par son exemple, d'être du petit nombre de ceuxlà. Lui, si doué de la nature, il ne s'y confie pourtant que jusqu'à un certain degré. A la première expression, toujours si prompte chez lui et si vive, il sait joindre l'expression méditée, et aux brillantes rapidités de la parole il substitue insensiblement la perpétuité du style. Il a donc revu ses anciens Cours, les a complétés et singulièrement enrichis dans le détail. Il a distribué aussi ses Mélanges littéraires dans un ordre plus méthodique et les a assortis d'une façon agréable. Mais, dans cette Collection que nous avons sous les yeux, il est deux parties, entre autres, qui méritent d'être distinguées et recommandées par-dessus tout ce sont les quatre volumes qui traitent du xvIIe siècle, et aussi le volume considérable qui nous offre le tableau de l'Éloquence

chrétienne au ive siècle.

Je ne sais pas de lecture plus intéressante, parmi les lectures sérieuses de notre âge, que celle de ces quatre volumes sur le xvi° siècle, tels qu'ils s'offrent à nous dans leur rédaction définitive. Il y reste de la parole première une sorte de mouvement général, la facilité et le courant; mais le style a désormais toute la précision et tout le fini que les plus curieux peuvent souhaiter; la pensée sur chaque point a sa solidité et sa nuance. On y est conduit sans interruption depuis les premiers pas un peu timides de La Motte et de Fontenelle, à travers les conquêtes et les hardiesses triomphantes de leurs successeurs, jusqu'à l'entrée en scène de Mme de Staël et de M. de Chateaubriand, qui viennent clore. pour rus cette grande époque où régna Voltaire. L'écrivain s'y est donné tout développement dans l'intervalle, et ne s'est refusé aucune des excursions ou des vues qui pouvaient agrandir son sujet et l'éclairer. On y

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