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M. Villemain appartient à notre temps par un certain souci et une certaine curiosité d'expression qui y met le cachet; c'est un style, après tout, individuel, et qui ressemble à l'homme. Le style de M. Cousin, au premier abord, paraît échapper à la loi commune; on dirait vraiment que c'est un personnage du xvIIe siècle qui écrit. Il entre dans son sujet de haute-lice; il a l'élévation de ton aisée, naturelle, l'ampleur du tour, la propriété lumineuse et simple de l'expression. Pourtant certain air de gloire répandu dans l'ensemble trahit à mes yeux le goût de Louis XIII jusqu'en plein goût de Louis XIV. Son style aussi est moins individuel que l'autre, et serre de moins près les replis de la pensée; c'est un style qui honore ce temps-ci bien plus encore qu'il ne le caractérise. Je ne veux pas prolonger outre mesure un parallèle qui peut se résumer d'un mot : M. Villemain a des teintes plus fines, M. Cousin a la touche plus large. Seulement si quelqu'un, frappé chez celui-ci de tant de grandes parties qui enlèvent, était tenté, entre les deux, de le préférer comme écrivain et de le lui dire, nous sommes bien sûr que lui-même serait le premier à renvoyer l'admirateur au style de l'autre, en disant : «Regardez bien, vous n'y avez pas tout vu.»

Lundi 26 novembre 1849.

MADAME RÉCAMIER.

Au mois de mai dernier a disparu une figure unique entre les femmes qui ont régné par leur beauté et par leur grâce; un salon s'est fermé, qui avait réuni longtemps, sous une influence charmante, les personnages les plus illustres et les plus divers, où les plus obscurs même, un jour ou l'autre, avaient eu chance de passer. Les premiers en renommée, dans ce groupe de noms mémorables, ont été frappés par la mort presque en même temps que celle qui en faisait l'attrait principal et le lien. Quelques-uns à peine survivent, dispersés et inconsolés aujourd'hui; et ceux qui n'ont fait que traverser un moment ce monde d'élite, ont le droit et presque le devoir d'en parler comme d'une chose qui intéresse désormais chacun et qui est devenue de l'histoire.

Le salon de Mme Récamier était bien autre chose encore, mais il était aussi, à le prendre surtout dans les dernières années, un centre et un foyer littéraire. Ce genre de création sociale, qui eut tant d'action en France et qui exerça un empire si réel (le salon même de Mme Récamier en est la preuve), ne remonte pas au delà du xvIIe siècle. C'est au célèbre hôtel de Rambouillet qu'on est convenu de fixer l'établissement de la société polie, de cette société où l'on se réunissait pour causer

entre soi des belles choses et de celles de l'esprit en particulier. Mais la solennité de ce cercle Rambouillet convient peu à l'idée que je voudrais réveiller en ce moment, et j'irais plutôt chercher dans des coins de monde plus discrets et plus réservés les véritables précédents du genre de salons dont le dernier sous nos yeux vient de finir. Vers le milieu du xvIIe siècle, au haut du faubourg Saint-Jacques, dans les dehors du monastère de Port-Royal, se retirait une personne célèbre par son esprit et par le long éclat de ses succès, la marquise de Sablé. Dans cette demi-retraite, qui avait un jour sur le couvent et une porte encore entr'ouverte au monde, cette ancienne amie de M. de La Rochefoucauld, toujours active de pensée, et s'intéressant à tout, continua de réunir autour d'elle, jusqu'à l'année 1678, où elle mourut, les noms les plus distingués et les plus divers, d'anciens amis restés fidèles, qui venaient de bien loin, de la ville ou de la Cour, pour la visiter, des demi-solitaires, gens du monde comme elle, dont l'esprit n'avait fait que s'embellir et s'aiguiser dans la retraite, des solitaires de profession, qu'elle arrachait par moments, à force d'obsession gracieuse, à leur vou de silence. Ces solitaires, quand ils s'appelaient Arnauld ou Nicole, ne devaient pas être trop désagréables en effet, et Pascal, une ou deux fois, dut être de ce nombre. Ce petit salon de Mme de Sablé, si clos, si visité, et qui, à l'ombre du cloître, sans trop s'en ressentir, combinait quelque chose des avantages des deux mondes, me paraît être le type premier de ce que nous avons vu être de nos jours le salon de l'Abbaye-aux-Bois (1). Je n'ai à parler ici que de ce dernier.

(1) J'ai eu depuis la satisfaction de retrouver cette vue dans le livre de M. Cousin sur Madame de Sablé, 1854, fin du chapitre Ler, page 63 «... Elle avait, dit-il de Mme de Sablé, de la raison, une

M. de Chateaubriand y régnait, et, quand il était présent, tout se rapportait à lui; mais il n'y était pas toujours, et même alors il y avait des places, des degrés, des à-parte pour chacun. On y causait de toutes choses, mais comme en confidence et un peu moins haut qu'ailleurs. Tout le monde, ou du moins bien du monde allait dans ce salon, et il n'avait rien de banal; on y respirait, en entrant, un air de discrétion et de mystère. La bienveillance, mais une bienveillance sentie et nuancée, je ne sais quoi de particulier qui s'adressait à chacun, mettait aussitôt à l'aise, et tempérait le premier effet de l'initiation dans ce qui semblait tant soit peu un sanctuaire. On y trouvait de la distinction et de la familiarité, ou du moins du naturel, une grande facilité dans le choix des sujets, ce qui est très-important pour le jeu de l'entretien, une promptitude à entrer dans ce qu'on disait, qui n'était pas seulement de complaisance et de bonne grâce, mais qui témoignait d'un intérêt plus vrai. Le regard rencontrait d'abord un sourire qui disait si bien : Je comprends, et qui éclairait tout avec douOn n'en sortait pas même une première fois sans avoir été touché à un endroit singulier de l'esprit et du cœur, qui faisait qu'on était flatté et surtout reconnaissant. Il y eut bien des salons distingués au xvIIIe siècle, ceux de Mme Geoffrin, de Mme d'Houdetot, de Mme Suard. Mme Récamier les connaissait tous et en parlait trèsbien; celui qui aurait voulu en écrire avec goût aurait

ceur.

grande expérience, un tact exquis, une humeur agréable. — Quand je me la représente telle que je la conçois d'après ses écrits, ses lettres, sa vie, ses amitiés, à moitié dans la solitude, à moitié dans le monde, sans fortune et très en crédit, une ancienne jolie femme à demi retirée dans un couvent et devenue une puissance littéraire, je crois voir, de nos jours, Mme Récamier à l'Abbaye-auxBois. »

dù en causer auparavant avec elle; mais aucun ne devait ressembler au sien.

C'est qu'aussi elle ne ressemblait à personne. M. de Chateaubriand était l'orgueil de ce salon, mais elle en était l'âme, et c'est elle qu'il faudrait tâcher de montrer à ceux qui ne l'ont pas connue; car vouloir la rappeler aux autres est inutile, et la leur peindre est impossible. Je me garderai bien d'essayer ici de donner d'elle une biographie; les femmes ne devraient jamais avoir de biographie, vilain mot à l'usage des hommes, et qui sent son étude et sa recherche. Même quand elles n'ont rien d'essentiel à cacher, les femmes ne sauraient que perdre en charme au texte d'un récit continu. Est-ce qu'une vie de femme se raconte ? Elle se sent, elle passe, elle apparaît. J'aurais bien envie même de ne pas mettre du tout de date, car les dates en tel sujet, c'est peu élégant. Sachons seulement, puisqu'il le faut, que Jeanne-Françoise-Julie-Adélaïde Bernard était née à Lyon, dans cette patrie de Louise Labé, le 3 décembre 1777. De tous ces noms de baptême que je viens d'énumérer, le seul qui lui fût resté dans l'habitude était celui de Julie transformé en Juliette, quoiqu'il ne dût jamais y avoir de Roméo. Elle fut mariée à Paris dans sa seizième année (le 24 avril 1793) à Jacques-Rose Récamier, riche banquier ou qui tarda peu à le devenir. Au début du Consulat, on la trouve brillante, fêtée, applaudie, la plus jeune reine des élégances, donnant le ton à la mode, inventant avec art des choses simples qui n'allaient qu'à la suprême beauté. Nous qui n'y étions pas, nous ne pouvons parler qu'avec une extrême réserve de cette époque comme mythologique de Mme Récamier, où elle nous apparaît de loin telle qu'une jeune déesse sur les nuées; nous n'en pouvons parler comme il siérait, non pas qu'il y ait rien à cacher sous le nuage,

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