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Lundi 8 octobre 1849.

LES CONFIDENCES

PAR

M. DE LAMARTINE.

(1 vol. in-80).

Et pourquoi donc n'en parlerais-je pas? Je sais les difficultés d'en parler convenablement le temps des illusions et des complaisances est passé; il faut absolument dire des vérités, et cela peut sembler cruel, tant le moment est bien choisi. Pourtant, parce qu'un homme tel que M. de Lamartine a trouvé convenable de ne pas clore l'année 1848 sans donner au public ses confessions de jeunesse et sans couronner sa politique par des idylles, faut-il que la critique hésite à le suivre et à dire ce qu'elle pense de son livre, faisant preuve d'une discrétion et d'une pudeur dont personne (et l'auteur moins que personne) ne se soucie? Je prendrai donc le livre en lui-même; je l'isolerai tant que je pourrai de la politique; en oubliant le Lamartine de ces dernières années, je tâcherai de ne me souvenir que de celui d'avant les Girondins. En effet, littérairement parlant, ce volume des Confidences vient bien après Jocelyn, la Chute d'un Ange, les Recueillements poétiques, et il continue, sans trop de décadence, cette série de publications dans lesquelles les défauts de l'auteur vont s'exagérant de plus en plus, sans que ses qualités pour cela disparaissent.

Le livre commence par une préface sous forme de

lettre adressée à un ami; cette préface apologétique a pour objet d'excuser l'auteur, qui sent, malgré tout, l'inconvenance d'une publication romanesque dans les circonstances graves où il s'est placé et où il a tout fait pour placer son pays. Le poëte a le don des larmes; il en verse quelques-unes pour essayer de nous attendrir. Il s'agissait pour lui de vendre Milly, sa terre natale, la terre des tombeaux de famille, ou de vendre son manuscrit des Confidences. Au dernier moment, et par respect, dit-il, pour l'ombre de sa mère, de son père, de ses sœurs, il n'a pas hésité : « L'acte était sur la table. D'un mot j'allais aliéner pour jamais cette part de mes yeux (Milly). La main me tremblait, mon regard se troublait, le cœur me manqua..... Je pesai d'un côté la tristesse de voir des yeux indifférents parcourir les fibres palpitantes de mon cœur à nu sous des regards sans indulgence; de l'autre le déchirement de ce cœur dont l'acte allait détacher un morceau par ma propre main. Il fallait faire un sacrifice d'amour-propre ou un sacrifice de sentiment. Je mis la main sur mes yeux, et je fis le choix avec mon cœur... » Je ne connais rien de plus triste que cette prodigalité de cœur qui est répandue sur toute cette préface, sous prétexte d'y couvrir ce que l'auteur ne fait par là qu'étaler. Puisqu'il fallait qu'il se décidât à un parti pénible, une préface brève, nette et simple, aurait bien mieux convenu, et elle nous aurait convaincus plus réellement de la violence qu'il se faisait à lui-même.

L'auteur vient de nous dire qu'en publiant les Confidences il sacrifiait l'amour-propre au sentiment. En parlant ainsi, il s'exagère un peu le sacrifice; son amour-propre, en effet, on va le voir, n'est pas le moins du monde en souffrance dans tout le livre. « Mon Dieu! s'écrie-t-il en commençant, j'ai souvent regretté d'être né; j'ai sou

vent désiré de reculer jusqu'au néant, au lieu d'avancer, à travers tant de mensonges, tant de souffrances et tant de pertes successives, vers cette perte de nous-même que nous appelons la mort! » C'est là une boutade sombre qu'on dirait empruntée à René. M. de Lamartine, dont la disposition habituelle est plutôt le contentement et la sérénité, rentre bien vite dans le vrai de sa nature, lorsqu'il nous peint sa libre et facile enfance, sa croissance heureuse sous la plus tendre et la plus distinguée des mères : « Dieu m'a fait la grâce de naître dans une de ces familles de prédilection. qui sont comme un sanctuaire de piété... Si j'avais à renaître sur cette terre, c'est encore là que je voudrais renaître. » Il aurait bien tort, en effet, et il serait bien. injuste s'il croyait avoir à se plaindre du sort à ses débuts dans la vie. Jamais être ne fut plus comblé : il reçut en partage tous les dons, même le bonheur; c'est à croire que toutes les fées assistèrent à sa naissance, toutes, excepté une seule, celle qui brille le moins et dont l'absence ne se fait sentir que plus tard, à mesure qu'on avance dans la vie. Qu'avait-elle donc au fond de sa boîte, cette fée absente qui, seule, a fait défaut à M. de Lamartine? Je le dirai tout à l'heure, si je l'ose; mais certainement le poëte ne croit pas qu'elle lui ait manqué.

Il nous expose lui-même avec complaisance toutes les qualités et les grâces dont il était revêtu. « Ton enfant est bien beau pour un fils d'aristocrate, » disait un jour un représentant du peuple à sa mère. Sa première éducation fut toute maternelle, toute libre, toute buissonnière. « Ce régime, dit-il, me réussissait à merveille, et j'étais alors un des plus beaux enfants qui aient jamais foulé de leurs pieds nus les pierres de nos montagnes, où la race humaine est cependant si saine et si

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belle. Des yeux d'un bleu noir comme ceux' de ma mère; des traits accentués, mais adoucis par une expression un peu pensive, comme était la sienne; un éblouissant rayon de joie intérieure éclairant tout ce visage; des cheveux très-souples et très-fins, d'un brun doré comme l'écorce mûre de la châtaigne, tombant en ondes plutôt qu'en boucles sur mon cou bruni par le hâle (je supprime, j'en demande pardon à l'auteur, quelques détails sur la finesse de la peau)... En tout, le portrait de ma mère avec l'accent viril dans l'expression: voilà l'enfant que j'étais alors. Heureux de formes, heureux de cœur, heureux de caractère, la vie avait écrit bonheur, force et santé sur tout mon être

plus loin, quand il quitte la maison maternelle pour le collége, il dira: « Je ressemblais à une statue de l'Adolescence enlevée un moment de l'abri des autels pour étre offerte en modèle aux jeunes hommes. » Tout cela doit avoir été très-juste, très- fidèle; il est dommage seulement que ce soit l'original lui-même qui se fasse 19 de la sorte son propre statuaire et son propre peintre, M. de Lamartine répondra que Raphaël s'est bien peint lui-même. Je pourrais lui répondre à mon tour que l'écrivain, pour se peindre, a besoin de plus de travail moral, de plus de réflexion et de préméditation que le peintre proprement dit, et que, du moment que le moral intervient, un autre ordre de délicatesse commence. M. de Lamartine loue beaucoup sa mère; rien de plus naturel au premier abord; il semble qu'un père et qu'une mère soient de ces êtres qu'on ne puisse trop louer ou du moins trop aimer. Mais il y a là encore une nuance de délicatesse. Louer à tout moment sa mère comme une femme de génie, comme un modèle de sensibilité expressive et de beauté, prenez garde, c'est déjà un peu se louer soi-même, surtout quand toutes

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ces louanges vont à conclure qu'on est en personne tout son portrait vivant. Oh! que Racine fils, nourri dans la pureté et la religion du foyer domestique, s'entendait mieux à cette pudeur qui accompagne toute vraie piété ! Il hésite à prononcer tout haut le nom illustre de son père, ce nom qui était le sien :

Virgile, qui d'Homère appris à nous charmer,
Boileau, Corneille, et Toi que je n'ose nommer,
Vos esprits n'étaient-ils qu'étincelle légère?

Nous touchons ici à un défaut essentiel dans l'éducation de M. de Lamartine, à une erreur de cette mère excellente qui, nourrie de Jean-Jacques et de Bernardin dont elle associait les systèmes avec ses croyances, ne voulut élever son fils qu'à l'aide du sentiment. A aucun moment, en effet, la règle n'intervient dans cette éducation abandonnée à la pure tendresse : « Mon éducation était toute dans les yeux plus ou moins sereins et dans le sourire plus ou moins ouvert de ma mère... Elle ne me demandait que d'être vrai et bon. Je n'avais aucune peine à l'être... Mon âme, qui ne respirait que la bonté, ne pouvait pas produire autre chose. Je n'avais jamais à lutter ni avec moi-même ni avec personne. Tout m'attirait, rien ne me contraignait. » C'est cette limite, c'est ce veto contre lequel son enfance ne s'est jamais heurtée, qui a manqué à l'éducation de M. de Lamartine, et qu'il n'a rencontré que très-tard dans la vie. Même hors de l'enfance et durant toute sa jeunesse, cette nature favorisée n'a cessé de s'épanouir sans se trouver en présence d'un obstacle qui l'avertit. Le monde l'a traité d'abord comme l'avait traité sa famille : il avait été l'enfant gâté de sa mère, il le devint de la France et de la jeunesse. Son génie facile, abondant, harmonieux, s'épanchait sans économie au gré de tous

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