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assez au monde, et peu de gens, en gens, en y entrant, ont été mieux reçus... » Voilà comment les honnêtes gens autrefois s'exprimaient en parlant d'eux-mêmes, sans se trop glorifier et sans se déprécier non plus, ce qui est une autre forme de vanité. Il y avait loin de ce premier La Fare, débutant avec tant d'avantages, à celui que Saint-Simon nous représente vers la fin, d'une grosseur démesurée, grand gourmand, à demi apoplectique, dormant partout, et (ce qui était surprenant) se réveillant net de manière à reprendre le propos là où il le fallait. C'est ainsi que la débauche, il faut le dire, et la paresse encore plus que l'âge, avaient métamorphosé cet épicurien trop pratique, cet homme d'ailleurs d'un esprit si fin, d'un jugement si excellent, qui avait combattu brillamment auprès de Condé à Senef, et qui, jeune, avait mérité la confiance de Turenne. Une lettre du chevalier de Bouillon à Chaulieu (1711), dans laquelle le chevalier raconte en quel déplorable état bachique il a trouvé La Fare qu'il allait visiter, compléterait le tableau: « Si vous l'aimez, écrit le chevalier à Chaulieu, vous reviendrez incessamment voir s'il n'y a pas moyen d'y mettre quelque ordre. Entre vous et moi, je le crois totalement perdu. » En maint endroit de ses Mémoires, La Fare déplore la perte de la galanterie et l'invasion des mauvaises mœurs, comme on le ferait de nos jours. Il peint avec énergie la jeunesse du grand siècle, celle qui ne sait plus plaisanter avec esprit, qui joue tout le jour avec fureur et qui s'enivre ouvertement; il indique et assigne en moraliste et en politique les causes de ce changement général à la Cour. Mais ceux qui remarquaient et dénotaient cette corruption sensible de la fin du grand règne étaient eux-mêmes une partie profonde de cette corruption. C'est dans La Fare et dans Chaulieu qu'il convient d'étudier ce double aspect, celui par

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lequel ils se détachent de leur temps, et celui par lequel ils y plongent. La Fare, à cause du caractère sérieux et tout à fait politique de ses Mémoires, qui fait si fortement contraste avec sa vie dernière, prêterait encore mieux que Chaulieu à une telle étude. Quant à son caractère, on peut lui appliquer ce qu'il à dit de l'un de ceux qu'il juge : « Il était, comme la plupart des autres hommes, composé de qualités contraires: paresseux, voluptueux, nonchalant et ami du repos, mais sensé, courageux, ferme et capable d'agir quand il le fallait. » Pourtant, avec un esprit de première qualité, un sens excellent et un brillant courage, la paresse finit par prendre chez lui le dessus et par l'emporter absolument. On sait que Mme de Coulanges prétendait qu'il n'avait jamais été amoureux, pas même de Mme de La Sablière ; cet amour avait été pour beaucoup dans les raisons qu'il avait eues de quitter de bonne heure le service : « Il se croit amoureux, disait Mme de Coulanges, mais c'est tout simplement de la paresse, de la paresse, et encore de la paresse.» Sa fin a trop justifié ce spirituel pronostic. Les plus jolis vers qu'il ait adressés à son ami Chaulieu ont pour sujet la paresse également. Tout cela peut paraître agréable un moment en poésie; dans le fait et en réalité, ce fut moins beau, et, on l'a vu, d'une trèstriste conséquence. On ne peut s'empêcher de conclure qu'il a été bien funeste à ce délicat esprit d'appeler, au secours d'une indolence chez lui si naturelle, la paresse raisonnée de Chaulieu, et d'insister sur une doctrine qui a pour effet immédiat d'amollir les courages et de supprimer le ressort des âmes. Au lieu de résister et de se maintenir, il s'abandonna, il s'engloutit. Pour juger en dernier résultat de la philosophie de Chaulieu, il convient de montrer La Fare, non le La Fare élégant et mince

des petites éditions classiques, mais le La Fare complet, celui de l'histoire et de Saint-Simon.

Ce sont là des réflexions un peu graves, et qui toutefois s'offrent d'elles-mêmes, à propos de La Fare et de Chaulieu. Quand on vient de relire leurs ouvrages et de traverser leur monde, on demeure bien convaincu en un point c'est que les mœurs de la Régence existaient déjà sous Louis XIV; elles y étaient depuis longues années à l'état latent. Il a suffi d'un simple changement à la surface pour qu'on les vit déborder. Et le malheur du xvur siècle en politique, depuis Philippe d'Orléans régent jusqu'à Mirabeau, fut de ne pouvoir se débarrasser jamais de ces mœurs-là.

FIN DU TOME PREMIER.

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La Mare-au-Diable, la Petite Fadette, François le Champi,

par GEORGE SAND......

351

M. de Feletz, et de la Critique littéraire sous l'Empire.

371

Éloges académiques, par M. PARISET.

392

Lettres de Mme DU DEFFAND...

412

Mémoires d'Outre-Tombe, par M. DE CHATEAUBRIAND..

432

Lettres inédites de l'abbé DE CHAULIEU...

453

N

PARIS.

IMPRIMERIE DE J. CLAYE, RUE SAINT-BENOÎT, 7.

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