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leux avenir. Mais la jeune imprudente avait quinze ans et ne croyait qu'en sa fantaisie.

Deux choses nuisaient à Louvois dans son esprit, sans compter qu'il ne lui plaisait pas : la première, c'est que toute sa famille et son mari lui-même conspiraient honteusement à le lui donner pour amant, afin de pousser leur fortune. La seconde raison, c'est qu'elle aimait déjà un cousin de son mari, l'aimable et séduisant marquis de Villeroy. Mais je m'aperçois que, si je n'y prends garde, je vais m'engager dans un récit de roman, ce qui n'est point de mon fait ici. J'avais en vue seulement de prouver que ces femmes du xvire siècle n'ont qu'à le vouloir pour écrire avec un charme infini, qu'elles ont toutes le don de l'expression, et que Mme de Sévigné n'est que la première dans une élite nombreuse. Quant à la marquise de Courcelles, il faut lire ses aventures dans le récit de M. Walckenaer, ou mieux encore chez elle-même. Ses imprudences la perdirent: elle s'aliéna Louvois; Villeroy lui échappa; reléguée en province par son mari, elle y céda à une séduction vulgaire et se vit convaincue. Les restes de ménagements que son mari avait eus pour elle ne tenaient qu'à sa fortune, et, du moment qu'il y eut une preuve légale suffisante pour la lui ravir, il ne ménagea plus rien. La marquise de Courcelles commença alors une vie de Conciergerie et de procès, dont elle ne se releva jamais. Réfugiée à Genève, elle put séduire un moment, par sa grâce et son hypocrisie charmante, nobles, bourgeois et syndics, les plus graves calvinistes eux-mêmes. Elle avait trouvé alors un ami dévoué et fidèle dans un gentilhomme nommé Du Boulay, capitaine au régiment d'Orléans, qui fut son chevalier Des Grieux. Mais lui non plus, elle ne sut pas le conserver, et elle poursuivit le cours de ses inconstances. C'est Du

Boulay qui eut l'idée de réunir, pour les faire lire en confidence à ses amis, les lettres et les papiers de Mme de Courcelles : « J'avais à me justifier, dit ce galant homme, d'avoir aimé trop fidèlement et trop fortement la plus charmante créature de l'univers, à la vérité, mais la plus perfide et la plus légère, et que je reconnaissais pour telle. Je me défiais trop de mon éloquence pour m'en rapporter à elle seule de cette justification, et les discours que je faisais tous les jours, pour bien représenter les charmes de son esprit (et c'était le fort de ma défense), me satisfaisaient si peu moi-même, que je voyais bien qu'ils ne persuaderaient personne. Dans cet embarras, dont je ne savais par où sortir, je m'avisai un jour heureusement que j'avais des moyens sûrs pour cette persuasion, et que ce qu'elle m'avait écrit était si beau et si parfait qu'il ne fallait que le montrer pour persuader mieux que ce que je pouvais dire. >> C'est ainsi que se sont conservés ces lettres et mémoires que Chardon de La Rochette retrouva en manuscrit à Dijon, dans les papiers du président Bouhier, et qu'il fit imprimer en 1808. Infidèle à Du Boulay comme elle l'avait été à tous, et après quelques derniers éclats, Mme de Courcelles, devenue veuve, finit par faire ce qu'on appelle un sot mariage. Elle mourut en 1685, âgée seulement de trente-quatre ans.

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Une comparaison s'établit naturellement entre elle et la duchesse de Mazarin, cette nièce du cardinal avec laquelle elle avait été fort liée, qu'elle avait eue un moment pour compagne de réclusion, pour rivale ensuite, et qui est si connue elle-même par ses aventures conjugales, ses procès, sa fuite et ses pérégrinations galantes. Il y aurait à faire entre ces deux femmes (deux démons sous forme d'anges!) un parallèle suivi qui serait curieux pour l'histoire des mœurs du grand siècle. Mais

sur un point important je voudrais qu'on marquât bien la conclusion à l'avantage de la duchesse de Mazarin. Celle-ci, en effet, au milieu de tout ce qui pouvait la faire déchoir, sut toujours tenir son rang et se concilier ce qu'il faut bien appeler (je ne sais pas un autre mot) de la considération. Elle la devait sans doute en partie à la mémoire de son oncle, à ses richesses, à ses grandes relations, mais aussi à son caractère et à son attitude : « Mme de Mazarin n'est pas plus tôt arrivée en quelque lieu, dit Saint-Évremond, qu'elle y établit une maison qui fait abandonner toutes les autres. On y trouve la plus grande liberté du monde; on y vit avec une égale discrétion. Chacun y est plus commodément que chez soi, et plus respectueusement qu'à la Cour. » Voilà le mérite principal, l'art de vivre et de régner qui a immortalisé Hortense et sauvé son renom. Elle eut, après tout, de la justesse et de l'économie jusque dans la prodigalité de ses qualités et de ses dons; elle ne se contenta pas d'avoir de l'esprit, elle l'aima chez les autres; elle rechercha les lumières, chose alors nouvelle, et sut partout s'entourer d'un cercle d'hommes distingués; elle vécut enfin et mourut comme une grande dame, tandis que la pauvre Sidonia, avec tout son esprit et ses grâces, a fini comme une aventurière. Encore une fois, son nom est tout trouvé : c'est la Manon Lescaut du xvIe siècle.

Dans un temps où il y aurait encore une librairie de luxe, on devrait bien réimprimer ce petit volume de Mme de Courcelles (1).

(1) Les Mémoires et Correspondance de la marquise de Courcelles ont été depuis réimprimés et publiés par M. Paul Pougin, dans la Bibliothèque elzévirienne de Jannet, 1855.

RAPHAËL

PAGES DE LA VINGTIÈME ANNÉE,

PAR

M. DE LAMARTINE.

Sous ce titre de Raphaël, M. de Lamartine a détaché de ses Confidences l'événement le plus considérable de sa jeunesse, ce grand événement de cœur qu'on n'a qu'une fois, et qui, dans la sphère de la sensibilité et de la passion, domine toute une vie. L'épisode de Graziella, quelque importance et quelque intérêt que le talent de l'auteur ait réussi à lui donner, sent la composition et l'art. La charmante corailleuse de Naples est en partie une création. Après tout, ôtez le ciel d'Italie et le costume de Procida, ce n'est qu'une aventure de grisette, embellie et idéalisée par l'artiste, élevée après coup aux proportions de la beauté, mais une de ces aventures qui ne laissent que trop peu de traces dans la vie, et qui ne se retrouvent que plus tard dans les lointains de la pensée, quand le poëte ou le peintre sent le besoin d'y chercher des sujets d'élégie ou de tableau. Il en est autrement de la femme qui fut chantée sous le nom d'Elvire. Il y a de ce côté toute une destinée et presque une religion. On conçoit que l'auteur ait voulu traiter à part ce souvenir unique, et ne pas le confondre avec la foule de ses réminiscences.

Un récit exact et simple, circonstancié et fidèle, de

cette passion mystérieuse que le poëte des Méditations n'a célébrée qu'à demi en la dérobant, et qui semble avoir donné à son génie l'impulsion secrète, serait infiniment précieux comme étude et intéresserait assurément comme lecture. La mémoire d'Elvire y gagneraitelle? Cette vague figure, que l'on n'avait entrevue qu'à la clarté des étoiles, en devenant plus précise, resteraitelle aussi élevée et aussi pure? Ne vaut-il pas mieux, lorsqu'une émotion universelle s'est produite autour d'un être idéal, ne pas trop en rapprocher l'objet, et se confier au rêve et à l'imagination de tous pour l'achever et le couronner mieux que nous ne saurions faire? Je le crois, et pourtant, en ce qui est de la véritable Elvire, un récit fidèle et simple, où l'homme se souviendrait de tout et dirait tout, serait, je le répète, d'un grand prix et pourrait être encore d'un grand charme.

Ici, dans Raphaël, nous voyons tout d'abord que ce n'est point un tel récit que l'auteur prétend nous donner, et que nous devons attendre. Reculant devant une révélation directe et toute nue à une date encore si rapprochée, il a mis au-devant de son indiscrétion quelque précaution légère et quelque déguisement. Ce n'est plus lui, c'est un ami (le meilleur et le plus beau de ses amis, il est vrai), Raphaël, qui a laissé en mourant un manuscrit. Le voile, dira-t-on, est transparent; il y a pourtant un voile. Ce récit s'intitule: Pages de la vingtième année. En réalité, l'homme qui aima, après 1816, la femme célébrée sous le nom d'Elvire, avait au moins vingt-cinq ans; il était plus près de trente que de vingt. Je ne relève ces premiers détails que pour montrer que nous ne pouvons nous attendre, dans ce récit en prose, à trouver toute la vérité et la réalité sur un sujet qui, simplement exposé, nous intéresserait tant. Il y aura nécessairement une part de roman encore mêlée à des

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