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Le Constitutionnel, dans les derniers jours de septembre 1849, publia la note suivante :

que

« La littérature ne saurait mourir en France. Elle peut s'éclipser un moment, mais c'est pour reparaître au premier instant de calme. On y revient avec d'autant plus d'attrait, qu'on s'en était senti privé. Nous croyons telle est à cette heure la disposition des esprits. Il suffit que l'orage politique ait fait trêve, pour que la société revienne à ce qui l'intéressait dans ses bons moments. La presse quotidienne, qui suit et quelquefois devance les goûts du public, n'a rien de mieux à faire ici que de chercher à les satisfaire. Le Constitutionnel n'a jamais cessé de songer à l'intérêt littéraire; mais il croit que le moment est venu d'y insister plus particulièrement. C'est d'ailleurs un signe de confiance dans la situation, et il ne craint pas de le donner. M. SainteBeuve s'est chargé, à partir du 1er octobre, de faire tous les lundis un compte-rendu d'un ouvrage sérieux qui soit à la fois agréable. C'est beaucoup promettre, c'est compter sur des publications qui se prêtent à ce genre de critique; c'est aussi les provoquer. Nous croyons que, malgré la stérilité dont on se plaint, on trouvera encore de tels ouvrages en France. M. Sainte-Beuve, en se chargeant de cette part de collaboration au Constitu

tionnel, å cru lui-même qu'il y avait lieu de ne pas désespérer de la littérature, et d'y exercer, concurremment avec ses autres confrères, une action utile. La condition première d'une telle action est de revenir souvent à la charge, d'user de sa plume comme de quelque chose de vif, de fréquent, de court, de se tenir en rapport continuel avec le public, de le consulter, de l'écouter parfois, pour se faire ensuite écouter de lui. Le temps des systèmes est passé, même en littérature. Il s'agit d'avoir du bon sens, mais de l'avoir sans fadeur, sans ennui, de se mêler à toutes les idées pour les juger, ou du moins pour en causer avec liberté et décence. C'est cette causerie que nous voudrions favoriser, et que M. Sainte-Beuve essaiera d'établir entre ses lecteurs et lui. >>

A partir du 1er octobre, les articles, chaque lundi, se succédèrent dans l'ordre qui suit.

CAUSERIES DU LUNDI.

Lundi, 1er octobre 1849.

COURS DE LITTÉRATURE DRAMATIQUE, par M. SaintMarc Girardin. (2 vol.) — ESSAIS DE LITTÉRATURE ET DE MORALE, par le même. (2 vol.)

Les pages qu'écrit le journaliste s'envolent; les paroles que distribue durant des années le professeur courent risque de se perdre. Également distingué comme professeur et comme journaliste, homme d'esprit sous toutes les formes, M. Saint-Marc Girardin a pris soin de recueillir quelques-unes de ses meilleures paroles et de ses meilleures pages dans les agréables volumes qu'il publie aujourd'hui.

Il y a bien dix-huit ans qu'il est monté pour la première fois en chaire, si l'on peut appeler de ce nom solennel le lieu d'où il cause si familièrement et si à son aise. Il semble avoir pris tout aussitôt pour devise ce mot de Vauvenargues : « La familiarité est l'apprentissage des esprits. » Dans des conseils qu'il adressait à un jeune homme, Vauvenargues, développant cette même pensée, disait encore : « Aimez la familiarité, mon cher ami; elle rend l'esprit souple, délié, modeste, maniable, déconcerte la vanité, et donne, sous un air de liberté et de franchise, une prudence qui n'est pas fondée sur les illusions de l'esprit, mais sur les prin

cipes indubitables de l'expérience. Ceux qui ne sortent pas d'eux-mêmes sont tout d'une pièce... » M. SaintMarc Girardin pratiqua, pour son propre compte, ce conseil si juste, et prêcha d'exemple. Par sa parole vive, souple, déliée, il allait chercher l'esprit de ses auditeurs, l'attirait à lui, l'engageait à se développer librement, naturellement, sans faux pli et sans boursouflure. Le moment où il commença à parler était celui où la retraite des trois éloquents professeurs, MM. Guizot, Cousin et Villemain, faisait comme un grand silence. Il y avait deux manières de rompre ce silence, l'une en parlant haut et en déclamant, l'autre en venant causer sans apparat et sans prétention. L'habileté, la prudence, le bon goût, tout conseillait ce dernier parti; en le suivant, M. Saint-Marc Girardin obéissait de plus à sa nature.

Il a l'esprit, le cœur naturellement modérés, et je ne lui ai jamais vu de passion. C'est un grand profit et une grande avance dès la jeunesse. Pascal, en son temps, remarquait que « c'est un grand avantage que la qualité (la naissance) qui, dès dix-huit ou vingt ans, met un homme en passe d'être connu et respecté comme un autre pourrait avoir mérité à cinquante ans : ce sont trente ans gagnés sans peine. » Je ne sais si cela a cessé d'être vrai aujourd'hui qu'on se flatte d'avoir aboli les distinctions de naissance; il me semble que les fils de personnages considérables, que les noms historiques, ne laissent pas d'avoir encore au moins dix ans d'avance sur les autres au début de la carrière. Eh bien! en ce qui est des choses de l'esprit et de l'expérience, n'avoir point de passion dans sa jeunesse, cela donne dix ou quinze ans d'avance pour la maturité. Les passions exagèrent la vue des choses, même pour les meilleurs esprits; elles détournent, elles amusent; on a du juge

ment, mais on le suspend dans les occasions où il nous gêne; on a le sentiment des ridicules, mais on l'étouffe sous une certaine chaleur d'enthousiasme qui séduit. On se jette en avant, on s'engage, on est en peine ensuite pour revenir. M. Saint-Marc Girardin n'a jamais fait ainsi; il a été frappé à première vue des défauts, des travers, des ridicules du temps, et il les a raillés, il en a badiné avec un côté de raison sérieuse et piquante; il a tiré parti de tout ce qu'il voyait, de tout ce qu'il lisait, pour se livrer au jeu auquel son esprit se complaît surtout et excelle, pour moraliser.

Le titre, le sujet de son Cours, est la poésie française. Il s'est bien gardé de prendre ce mot dans le sens qu'un amateur des modernes lui eût probablement donné. La poésie lyrique, cette branche heureuse qui fait le plus d'honneur aux grands talents de notre âge, l'a très-peu occupé. Il dirait volontiers avec ce personnage de Montesquieu, dans les Lettres persanes : « Voici les poëtes dramatiques, qui, selon moi, sont les poëtes par excellence et les maîtres des passions... Voici les lyriques, que je méprise autant que j'estime les autres, et qui font de leur art une harmonieuse extravagance. » Il y a là, certainement, une lacune dans la manière dont M. Saint-Marc Girardin entend et présente la poésie. Avec son esprit et son habileté, il dissimule cette lacune du mieux qu'il peut. Mais il a beau faire, l'absence d'amour et de foyer se fait sentir sur un point. Il n'aime pas la poésie pure, la poésie à l'état de rêve ou de fantaisie. Jeune, il l'aimait encore moins, s'il est possible. Quand j'ai dit qu'il n'avait jamais eu de passion et d'excès, je me suis trop avancé : il a eu, à un moment, un excès de raison; cette poésie lyrique, alors toute jeune et florissante, il la niait, il la raillait, s'il nous en souvient, et ne la notait au passage qu'avec ironie.

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