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qu'elle n'était point parfaite, et qu'elle avait des progrès à faire. Là-dessus, elle s'est figurée que je la haïssais. Mais, je l'aime. J'aime les Anglais, étant passablement anglais moi-même de goûts et de caractère; j'aime Guernesey, et je serais charmé d'y passer une partie de mon existence. Je sais tout ce que le séjour d'une grande ville comme Londres ou Paris offre d'avantages inestimables, uniques, et aussi je ne voudrais pas passer à Guernesey toute mon existence; mais j'y passerais bien volontiers plusieurs mois chaque année, persuadé qu'en aucun lieu du monde je ne trouverai pour travailler plus de loisir et plus d'indépendance. Je quitte le Collége Elisabeth, parce que je ne suis point né pour enseigner toujours la grammaire ni pour administrer des corrections plus ou moins barbares à des enfants auxquels je ne parviens à faire ni aucun bien ni aucun mal, (1) et qu'au bout de trois ans de cet exercice je n'en puis plus supporter l'ennui. Mais savezvous quel est mon rêve ? je l'appelle un rêve parce qu'il est encore bien vague et n'a pas la consistance d'un

(1) Qu'on me permette une petite critique qui peut avoir son utilité. Les moyens de répression sont insuffisants au Collége Elisabeth. Ainsi il n'est pas possible d'expulser de la classe et de faire reconduire chez ses parents un élève turbulent ou insolent. De là la nécessité de la cane. C'est tout simplement l'espèce de baguette dont on se sert en France pour battre les habits. Il faut, pour la manier avec succès, une dextérité particulière que je n'ai jamais su acquérir. L'envoi du mauvais garnement au Principal qui l'écarterait temporairement du Collége avec un pensum plus ou moins long, ne serait-ce pas un châtiment plus puissant et plus doux ? Les mauvais garnements ne sont pas nombreux au Collége Elisabeth; mais il suffit d'un seul pour troubler toute une classe.

projet. Mon rêve est de revenir un jour à Guernesey, et d'y faire un second Cours de Littérature, s'adressant non plus seulement à quelques jeunes filles de l'aristocratie comme le premier, mais aux personnes des deux sexes et, autant que possible, de toutes les classes. On me dit que ce sera très-difficile. Je le crois bien ; j'aurai à innover, à fonder, et il n'est jamais facile d'innover ni de fonder. Mais c'est cela même qui pique mon ambition; si la chose était facile, je ne me soucierais pas de la tenter; je crois que dans ce monde rien de ce qui vaut la peine d'être fait n'est facile à faire. On me dit aussi que je m'y suis bien mal pris pour réussir, et que c'était le plus mauvais moyen de préparer le succès de mes plans que d'aller dire à la société de Guernesey des vérités désagréables. Quant à cela, je suis convaincu qu'on se trompe. Je suis convaincu que mes amis de Guernesey ont l'esprit trop juste et l'âme trop élevée pour me garder rancune de ma franchise, et pour m'en vouloir longtemps de ce qu'au lieu de leur adresser de vains compliments à la manière des gens de mon pays, je leur ai indiqué la voie du progrès.

PAUL STAPFER.

Guernesey, 8 mai, 1869.

TABLE DES MATIÈRES.

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1

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Les Artistes Juges et Parties.-Deuxième Partie.

Huitième Causerie. - Mon souhait de Noël. - Problème du

goût.-Importance essentielle de la sensibilité dans la cri-

tique. L'ancien bon goût.- Un abus de langage. — Juge-

ment de Voltaire sur Homère, sur Milton et sur Dante.

-Belle citation de Jean-Paul. - Indulgence excessive de

la critique contemporaine. - M. de Rémusat.-M. Scherer.

-M. Taine.—Un dîner chez M. G*****.-Comme quoi M.

Taine n'aime pas tout en littérature. - Personne n'aime

tout en littérature. — Antipathies de Victor Hugo. — Une

faiblesse de Goethe.-Conclusion et question finale...

Neuvième Causerie.-Idées littéraires de Byron.-Critique qui

convient à ces idées.-Enfance de Byron.-Rôle du poker

dans son éducation.-Sa nourrice; ses premiers vers.—Hours

of Idleness.-Comment la critique devrait traiter un jeune

auteur qui débute.-Jeffrey.-La Revue d'Edimbourg.-Rage

de Byron.-English Bards and Scotch Reviewers.-Départ de

Byron pour l'Orient.-Son attitude de défi.-L'imitation de

l'Art Poétique d'Horace et Childe-Harold.-Folie supposée

de Byron.-Ses pistolets.-Sa sensibilité excessive.-Histoires

de la vieille montre et de la bouteille d'encre.-Ardeur impé-

tueuse qui le précipitait vers tous les extrêmes.-Extraits du

Journal de Byron (Ravenne).-Polémique avec Southey.-

Plagiats involontaires et plagiats volontaires de Byron.-Ses

principes en cette matière.-Grands écrivains qui ont été pla-

giaires. Plagiats permis.-Gluck.-Rossini.-Walter Scott.

Alfred de Musset.-M. Métivier.....

Dixième Causerie.-Adoration de Byron pour Pope.-Sa lettre

sur la poésie contemporaine.-Vénération ridicule pour Gif-

ford.-Opinion de Byron sur Milton et sur Shakespeare.-

Son manque de culture classique.-L'ignorance du grec ne

doit pas nous fermer l'antiquité.-Influence des idées litté

raires de Byron sur son génie.-Un mérite des poëtes du dix-

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