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Envieux, voleur et traître,
Oui, l'être humain est le pis.
Et nous répétons en somme,
En voyant semblables gens :
Si Dieu fit le premier homme,
Le diable a fait ses enfants.

Je regrette de ne pas citer la complainte de la Queue, l'une des plus originales et des plus spirituelles. Il est impossible de mettre avec plus de bonheur une foule de traits de bon goût sous des mots un peu scabreux.

Le recueil des Maussades, déjà si volumineux, et qui diton l'aurait été encore davantage, sans les ombrages que la politique, même en poésie, inspire aux imprimeurs, comprend dans la dernière de ses trois parties des romances et chansonnettes, qui ont été mises en musique, il y a quelque trente ans. Plusieurs ont joui, comme le fameux Petit blanc, d'une aussi grande popularité que la Normandie. On les trouve avec plaisir si non pour leur valeur poétique, au moins, comme souvenir d'une autre époque et comme témoignage des petites révolutions du goût. Car si l'avenir de la chanson est menacé, la romance de salon qui avait eu la prétention de la détrôner, ne lui a pas même survécu. Et qui ne préférerait la franchise de la chanson aux fadeurs de la romance. Quoique dédaignée, elle n'a pas dit son dernier mot dans un pays où l'on prétend que tout finit par des chansons. Nous la retrouverons un de ces jours, avec M. G. Nadaud, prospère et brillante.

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La poésie dans les revues: M. Eug. Manuel.

Les volumes de vers ne suffisent pas à l'épanouissement de la poésie. Il y a toutes les revues, grandes ou petites, qui s'ouvrent encore aux pièces détachées, en attendant que le volume les recueille. Nous laissons passer d'ordi

naire les vers que recommande cette publicité éphémère de la littérature périodique. Nous voulons faire une exception pour les Pages intimes de M. Eugène Manuel dont la Revue des Deux Mondes a reçu et divulgué quelques confidences. Ce que nous en redirons ici à nos lecteurs, suffira pour justifier l'exception. La Revue a pris dans le portefeuille de M. Manuel des sonnets qui sont, en général, d'une grande tristesse, et trois pièces de petits vers, dont les deux plus longues, le Déménagement et l'Aveugle, sont les plus originales. Nous nous bornerons à citer la plus courte avec l'un des sonnets. Ces deux perles donneront une idée de l'écrin. Voici le sonnet:

LE BERCEAU.

Quel temple pour son fils elle a rêvé neuf mois !
Comme elle fêtera l'enfant dont Dieu dispose!
Il lui faut un berceau tel que les fils de rois
N'en ont point de pareils, si beaux qu'on les suppose!

Fi de l'osier flexible ou bien du simple bois !
L'artiste a dessiné la forme qu'elle impose:
Elle y veut incruster la nacre au bois de rose;
Il serait d'or massif, s'il était à son choix !

Rien ne semble trop cher, dentelle ni guipure,
Pour encadrer de blanc cette tête si pure,
Dans le lit qu'on apprête à son calme sommeil.

Il est venu le fils dont elle était si fière !

Il est fait le berceau

le berceau sans réveil! Il est de chêne, hélas! et ce n'est qu'une bière.

Voici la petite pièce de vers:

DISCRÉTION:

Ne le dis pas à ton ami

Le doux nom de ta bien-aimée :

S'il allait sourire à demi,

Ta pudeur serait alarmée.

1. Livraison du 15 juillet 1862.

Ne le dis pas à ton papier,
Quand tout bas la Muse t'invite :
L'œil curieux peut épier

La confidence à peine écrite.

Ne le trace pas au soleil,

Sur le sable le long des grèves.
Ne le dis pas à ton sommeil
Qui pourrait le dire à tes rêves;

Ne le dis pas à cette fleur

Qui de ses cheveux glisse et tombe,
Et, s'il faut mourir de douleur,
Ne le dis pas même à la tombe :

Car ni l'ami n'est assez pur,
Ni la fleur n'est assez discrète,
Ni le papier n'est assez sûr,
Pour ne pas trahir le poëte.

Ni le flot qui monte assez prompt
Pour couvrir la trace imprimée,
Ni le sommeil assez profond,

Ni la tombe assez bien fermée.

Il y a dans ces vers de la mélancolie, de la grâce, une sensibilité vraie, un charme poétique. Les notes tristes dominent peut-être un peu trop dans ce petit groupe de fragments; mais le recueil complet des Pages intimes de M. Manuel offrirait sans doute une plus grande variété de sujets et de tons et un souffle plus puissant.

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La traduction en vers; la traduction par extraits et celle des œuvres entières. Quelques fleurs de poésie allemande et un grand poëme anglais.

La traduction en vers français des poëtes étrangers, est toujours l'exercice favori de ceux qui aiment assez la ver

sification pour en affronter toutes les difficultés, sans en être dédommagés par les joies de l'inspiration. Est-ce pour quelques-uns une sorte de gymnastique poétique par laquelle on se prépare à rendre ensuite avec plus de souplesse ses propres pensées, ou bien est-ce un aveu tacite d'impuissance à créer pour son propre compte? Je laisse la question en suspens et je me bornerai à citer deux tentatives de traduction poétique, dont l'une nous fait connaître dans toute leur variété les auteurs de la poésie allemande, et l'autre dans sa sombre profondeur un des génies les plus originaux de l'Angleterre.

A ceux qui ont voué un juste amour à la rêveuse et poétique Germanie, l'abbé A. Fayet, chanoine honoraire de Moulins, nous offre un des somptueux volumes de son recueil des Beautés de la Poésie ancienne et moderne1. Suivant le plan général de cette publication inaugurée, dans un premier volume, par la Poésie hébraïque, la série de la Poésie allemande contient, dans l'ordre chronologique, un très-grand nombre d'auteurs représentés chacun par un ou plusieurs fragments de ses ouvrages. Une notice biographique et littéraire nous fait connaître l'homme et le poëte dont la traduction en vers nous laisse entrevoir l'œuvre. Des notes, empruntées le plus souvent aux meilleurs critiques, à Mme de Staël, à MM. Philarète Chasles, Ampère, N. Martin, dont nous avons déjà signalé les intéressants travaux, etc., font entrer plus avant dans l'intelligence des génies ou des genres de poésie les moins accessibles à l'esprit français. Une introduction résume d'avance toutes les idées mises en circulation depuis cinquante ans

tra

1. Moulins, Martial Place; Paris, Paul Boyer, in-8, 484 pages. 2. Nous avons particulièrement montré comment M. N. Martin duit lui-même en vers français quelques morceaux choisis de la poésie allemande, soit pour les intercaler, comme pièces épisodiques, dans son propre poëme du Presbytère, soit pour les citer comme exemples à l'appui de ses appréciations dans ses deux séries de Poëtes contemporains en Allemagne.

parmi nous sur les caractères de la poésie allemande et ses rapports, aux diverses époques, avec la civilisation germanique.

Le recueil de l'abbé Fayet représente à la fois la variété et l'unité de la poésie allemande. Voici ces vieux chants populaires où la vie intime a marqué toutes ses heures et laissé la trace de tous ses drames. Cette poésie primitive, qui chante la famille, Dieu et la nature, est presque anonyme, et il est resté plus de ballades que de noms d'auteurs jusqu'à Klopstock, dont le génie domine la glorieuse résurrection de la poésie. A partir de ce moment, les noms se multiplient. Deux seulement, ceux de Goethe et de Schiller, ont une gloire cosmopolite et quelques-unes des œuvres qu'ils rappellent font partie du patrimoine de l'humanité. D'autres noms moins retentissants sont pourtant, comme ceux de Lessing, Gessner, Herder, Bürger, Arndt, Uhland, Ruckert, Koerner, H. Heine, etc., encore assez connus de ce côté de la frontière du Rhin. Bien d'autres enfin, peu familiers à des oreilles françaises, jouissent à bon droit parmi leurs compatriotes d'une sympathique popularité. L'abbé Fayet se fait l'introducteur complaisant des poëtes les moins connus comme des plus célèbres. Il nous les montre de préférence dans les genres essentiellement nationaux, et il nous fait entendre, au milieu des rêveries harmonieuses qui bercent d'ordinaire l'Allemagne, les accents guerriers qui la réveillèrent en 1813.

Je ne citerai qu'un échantillon de cette traduction poétique; je l'emprunte à un genre essentiellement allemand, le lied, et à un des deux noms les plus illustres de la littérature germanique, celui de Goethe; il est intitulé : Pré

sence.

Quand les feux du soleil dorent la mer profonde,
Alors je pense à toi;

Quand la lune en tremblant se réfléchit dans l'onde,
Ton image est en moi!

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