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Est-il permis, grand Dieu! de parler dans un tel pathos du siècle de Voltaire et de Diderot? Et si la littérature française de l'époque la plus amoureuse de clarté qui fut jamais, est racontée dans un pareil langage, dans quel galimatias s'exposera la philosophie pure? On peut juger des ténèbres où se perdent les théories cosmogoniques par les nuages amassés à plaisir sur les problèmes des sciences morales.

Voilà vraiment la dynamique logique, les transitions, invisibles et les physiologies morales intimes qui constituent le raisonnement universel et les raisonnements partiels ou la vie de l'humanité, les développements de ses trois conceptions primitives, de leurs idées conséquentielles, ainsi que des races, des familles, des peuples qui les représentent et des organismes sociaux qui les enfantent. Les sciences morales constatent donc et poursuivent chacune en son domaine particulier, ces raisonnements partiels et isolés, avec leurs trois termes constitutifs, savoir l'existence de l'idée, sa manifestation extérieure dans la société, et sa simple reproduction similaire ou bien les transfigurations ascendantes que cette idée opère par des emprunts ou des assimilations incessantes.

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« Et voilà pourquoi votre fille est muette! » Il faut croire que celui qui écrit de ces choses-là les comprend; mais il est le seul. On a admiré les tours de force de phraséologie des Allemands sur les relations de l'objectif et du subjectif, et ceux de M. Cousin, lorsqu'il était leur disciple, sur le fini, l'infini et leur rapport; mais ce n'étaient que des jeux au prix de ceux de la nouvelle Introduction à la philosophie. Et nous ne sommes qu'au début, à la surface des choses, au premier degré de l'initiation. Que sera-ce quand nous pénétrerons plus avant dans les mystères, quand nous arriverons seulement, à la seconde partie, au « DEUXIÈME APERÇU sur l'UNITE de toute composition matérielle et de toute conception morale ou intellectuelle, et sur la CONTINUITE de composition et de conception dans la nature, dans l'histoire et dans la création supérieure par

le TRIPLE élément de leurs unités?» Car voilà, dans toute la fidélité du texte et de la typographie, le programme flamboyant de cette seconde révélation.

M. Nerva, qui terminera cette immense Introduction par l'examen du rôle des races, se propose de montrer « l'Unité nationale de la France et la Splendeur de cette unité dans le midi de l'Europe. » Jaloux d'y associer l'Italie, il rappelle dès aujourd'hui à tous les peuples que « la France est leur seconde patrie à tous après celle qui les a vus naître. » C'est très-flatteur pour notre amour-propre national, mais notre influence sur les écrivains étrangers ne pourrait-elle pas avoir des manifestations plus conformes à notre génie? Et faudra-t-il que nous renvoyions nos voisins à Descartes, à Molière, à Voltaire, pour leur rappeler combien nous avons toujours aimé la clarté dans le vrai sur cette terre classique du bon sens

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Mouvement général de la bibliographie et de la littérature
artistiques.

L'art, auquel il est si doux pour les lettres de faire accueil, a toujours sa part assez importante dans la bibliographie de l'année; on verra plus loin ce qu'elle a été en 1862. Des ouvrages très-divers se sont produits dans la critique d'art et dans les études d'esthétique. Ceux auxquels nous nous arrêtons donnent à peine l'idée d'un mouvement plus considérable. Ici ce sont des impressions de voyage sur une terre aimée des arts et profondément remuée par la politique qu'une femme de goût et de pensée hardie, connue sous le pseudonyme de Daniel Sterne, recueille et rattache au nom de deux villes Florence et Turin 1; là, ce sont des articles de journaux et des fragments qu'un journaliste-musicien, M. Berlioz, réunit autour d'un calembour par à-peu-près: A travers chants. Un autre journaliste, critique très-autorisé, M. P. Scudo, continue, sous le titre d'Année musicale, sa revue annuelle des théâtres, concerts et autres événements du monde musical. Un membre de l'Institut, M. Ferd. de Lasteyrie, publie ses

1. Michel Lévy, in-18, 324 p.

2. Même librairie, in-18, 332 p.

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3. Hachette et Cie, t. III (3e année), in-18, 345 p.

Causeries artistiques1, qui rappellent et commentent avec une vivacité pleine de bon sens les faits les plus saillants de la peinture ou de la sculpture dans ces dernières années.

L'archéologie, qui touche de si près à l'art même, la numismatique, si proche parente de l'archéologie, inspirent des publications où revivent les monuments grandioses ou intimes du passé. Les musées sont l'objet de notices et d'albums qui popularisent les notions de l'art par le secours de l'image. Le savant M. Cherbonneau rédige le texte d'un Album du musée de Constantine, qu'il connaît si bien; M. Ernest Desjardins, après avoir publié une Notice sur le musée Napoléon III, formé des fameuses collections Campana, défend les nouvelles acquisitions artistiques contre M. Vitet, en écrivant sa brochure du Patriotisme dans les arts. Tel est le mouvement artistique et littéraire, au milieu duquel nous prenons quelques notes pour fixer le souvenir de plusieurs de nos lectures.

Les écoles en peinture et leurs chefs au dix-neuvième siècle.
M. Em. Chesneau.

La critique d'art, à propos des expositions périodiques de peinture ou de sculpture, ne nous fait connaître l'art contemporain que dans une de ces manifestations du moment qui demandent à être rattachées à une série de manifestations précédentes pour offrir l'intérêt d'un chapitre d'histoire. Il faut recueillir des souvenirs de longue date, comparer les œuvres de diverses époques, suivre les progrès et la décadence des écoles, se rendre compte des

1. Hachette et Cie, in-18, 261 p.

2. Challamel, in-4, par livraisons, avec planches.

transformations du goût, des influences sociales ou politiques, morales ou religieuses, dont l'art reçoit inévitablement le contre-coup: voilà comment on peut se faire une idée juste d'une période artistique prise dans son ensemble et suivie dans ses développements. M. Ernest Chesneau, dont nous avons signalé le compte rendu du Salon de 1859, s'est efforcé de s'élever à ces considérations d'ensemble pour faire connaître et juger la peinture française au dix-neuvième siècle. Il étudie les Chefs d'école1 dans un volume qui paraît n'être que le premier d'une série.

Les chefs d'école, pour lui, sont, de la fin du dix-septième siècle à nos jours, L. David, Gros, Géricault, Decamp, MM. Messonnier, Ingres, H. Flandrin, E. Delacroix. Ils sont les sujets, j'allais dire les héros, de monographies dont la suite est destinée à retracer toute l'histoire de notre peinture depuis une soixantaine d'années. Ces noms sont-ils également bien choisis pour représenter toutes les phases de l'art français et les diverses révolutions du goût dans cette période? Quelques noms, malgré le talent individuel qu'ils rappellent, ne sont-ils pas surfaits avec complaisance pour prendre dans l'histoire de l'art une signification historique inattendue?

La liste des chefs d'école, ensuite, est-elle complète? Il s'en faut de beaucoup il y manque des hommes qui, sympathiques ou non, n'en marquent pas moins une étape dans le mouvement artistique, une direction souvent durable des esprits. Comment l'histoire de l'art contemporain sortirait-elle complète d'une suite de monographies où H. Vernet, Paul Delaroche, A. Scheffer, manquent ou ne sont cités qu'en passant? Vainement M. Chesneau exprimera, dans son introduction, la répulsion qu'il éprouve pour ces maîtres et leurs écoles; vainement il accuse chez celui-ci des erreurs de système dont les conséquences ont

1. Didier, in-18 jésus, xxxv-424 p.

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