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bibliographique de ce travail, qu'un Index général permet de retrouver dans tous leurs détails les jugements et les idées de Jean-Paul, et qu'une centaine de pages de notes et de commentaires les éclaircissent, les complètent et au besoin les rectifient.

L'esthétique, telle que Jean-Paul l'enseigne, se renferme dans le domaine littéraire, où l'auteur envisage plus spécialement la poésie. Il considère, en effet, celle-ci dans ses divers genres, et jusque dans la prose comme l'élément littéraire par excellence. C'est donc un véritable traité de la poésie, une Poétique, comme disent les traducteurs, que l'Introduction à l'esthétique, de Jean-Paul Richter. Toutes ses études convergent vers un même but, la détermination du beau, tel que la poésie le reconnaît dans la nature, le revèle à la pensée de l'homme et le reproduit dans ses

œuvres.

Tous les aspects sous lesquels on peut étudier les facultés poétiques et leur action sont considérés tour à tour; toutes les questions d'analyse psychologique ou de critique artistique sont discutées et résolues. Etude de la nature, reproduction de ses formes; emploi du merveilleux, rôle de l'imagination; rapport entre l'invention et l'imitation; caractères du génie, conditions de son développement; sources où la poésie s'inspire; idéal et réalité; influence des anciens et beauté classique; systèmes des modernes et innovations du romantisme; part de l'esprit et du sentiment dans les arts, leurs nuances et leurs formes diverses suivant les genres et suivant les pays; action du caractère individuel ou du génie national; conditions spéciales du drame, de l'épopée, du roman, de la poésie lyrique; conditions générales de la composition et du style: voilà les nombreux thèmes sur lesquels Jean-Paul Richter nous présente le fruit de ses méditations et exerce cette verve si remarquable par le sentiment poétique et par l'ironie humoristique qui constitue son originalité.

Les qualités et les défauts de l'écrivain allemand offraient également des difficultés à ses traducteurs. L'exubérance de sa poésie nébuleuse et la causticité de ses traits d'esprit pouvaient tour à tour paraître étranges dans notre langue. Jean-Paul a passé de tout temps pour intraduisible; un de ses compatriotes, Bouterweck, disait que Jean-Paul ne pouvait être traduit en français que par lui-même. A en juger par un billet écrit en notre langue par le célèbre humoriste, et qui est cité par ses traducteurs, il nous aurait donné lui-même ses œuvres dans un singulier français1. MM. Al. Büchner et L. Dumont, celui-ci Français, l'autre Allemand, se sont réunis pour faire passer dans notre langue un écrivain dont les idées et les formes étaient si loin des nôtres. Grâce à leurs efforts communs, on peut espérer que la pensée aura été saisie et rendue fidèlement dans ses nuances. Nous croyons avec eux qu'il était utile d'enrichir la littérature française de ce « livre où toutes les questions, qui se rapportent à la nature et aux différentes formes de la poésie, se trouvent traitées d'une manière aussi complète et aussi conforme au goût des sociétés modernes. >>

1. Voici ce billet, dont la rédaction et la syntaxe sont également curieuses: << A Mademoiselle Renata Wirth. (En hâte la plus grande). La langue française est le lac d'Espagne. Le ciel promet aujourd'hui tant de plaisirs, que je Vous prie, m’amie, de l'imiter en les augmentant et partageant. Je vous demande : 1° de vous promener; 2° de m'écrire le lieu et le temps. S'il ne m'est pas possible de Vous accompagner, il me l'est pourtant de Vous suivre. Les nuages de la vie s'enfuient avec celles du ciel, l'homme partage la serénité du jour, et l'on est heureux quand il fait si beau temps et quand on attend un billet d'une chère amie et quand on est Votre ami. Jean'Paul. »

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Horizons littéraires lointains. La poésie chinoise et sa prosodie. M. d'Hervey-Saint-Denis.

Il en est des littératures des autres peuples comme des pays étrangers: les plus éloignées de nous sont les plus intéressantes à étudier. S'il n'y a plus sur la carte du globe de nouveau monde à découvrir, il y a encore bien des contrées inconnues à explorer dans le domaine de la pensée et dans l'histoire de ses manifestations littéraires. Aujourd'hui plus que jamais, la Chine semble ouverte à la curiosité européenne; mais si les portes de ce monde antique, si obstinément fermées jusqu'à ce jour, sont enfin tombées devant la supériorité des moyens de détruire par lesquels notre civilisation se signale, peu d'explorateurs ont pénétré la mystérieuse obscurité où se sont dérobés jusqu'ici les mœurs, les arts de la Chine. On a entrevu d'abord, par l'intermédiaire des missionnaires et de quelques voyageurs, l'histoire de ces peuples qui remontent si haut, leurs procédés d'industrie, si routiniers et si progressifs à la fois, leurs idées religieuses et philosophiques, leurs mœurs tant exaltées et rabaissées tour à tour. Mais au milieu de ces lumières vacillantes, répandues par l'érudition sur les divers éléments de la vie intellectuelle et morale de la Chine, un élément restait entièrement obscur, inaccessible, c'était la poésie.

Un obstacle particulier s'élevait entre la poésie chinoise et nos habitudes d'esprit, c'est un système de prosodie entièrement distinct de tous les systèmes de prosodie connus ou imaginables. Aucune interprétation dans une autre langue ne peut donner l'idée d'une strophe chinoise; la connaissance du chinois, l'habitude même de le parler, ne suffit pas pour saisir le rhythme du vers; car ce rhythme ne s'adresse pas seulement à l'oreille par les sons; il parle encore aux yeux par les signes qui représentent les idées. Le système d'écriture chinoise, au lieu d'être purement phonétique, comme tous les systèmes d'écriture des langues indo-européennes, est essentiellement idéographique. Les caractères chinois ne peignent le son que d'une manière accessoire; ils offrent à l'esprit l'objet même de la pensée, sous des traits qui primitivement avaient des analogies de forme avec lui. Peu à peu ces traits se sont transformés, simplifiés ou altérés, et n'ont eu avec les idées que des rapports arbitraires et de convention; mais ce n'en est pas moins avec les idées elles-mêmes que les signes de la langue écrite sont restés en relation et non avec les sons affectés à ces idées par la langue parlée. La prosodie chinoise, dans ces conditions extraordinaires, a deux sortes de rhythmes, l'un pour l'oreille, l'autre pour les yeux : le premier résulte, comme chez nous, de diverses combinainaisons de sons, du nombre des syllabes, de la rime, etc.; l'autre consiste dans certaines relations symétriques des signes écrits et des objets visibles ou des idées abstraites que ces signes représentent.

On conçoit que les secrets de ce dernier rhythme soient restés longtemps insaisissables même pour des sinologues consommés. Une traduction française ne peut le plus souvent reproduire le simple rhythme par lequel les langues phonétiques étrangères s'adressent à l'oreille; à plus forte raison ne reproduira-t-elle point ce double rhythme du son et du signe figuré. Mais s'il est impossible de nous tra

duire d'une façon exacte les monuments de la poésie chinoise, il n'était pas sans intérêt du nous en faire comprendre le mécanisme. De là, l'attrait de curiosité qui s'attache au recueil publié par le marquis d'Hervey-Saint-Denis sous ce titre Poésies de l'époque des Thang, traduites du chinois pour la première fois, avec une Étude sur l'art poétique en Chine et des notes explicatives1.

L'introduction de cet ouvrage, où nous avons puisé les notions qui précèdent, est un travail aussi remarquable par la clarté que par la nouveauté ou l'importance des résultats. On y trouve, avec le mécanisme de la prosodie, une histoire abrégée de la poésie chinoise. L'auteur la suit depuis les Chi-King, ces curieux monuments de la Chinc ancienne, jusqu'à la grande époque des Thang, où la langue est fixée d'une manière à peu près définitive. Cette dernière époque est le grand siècle littéraire de la Chine: siècle de trois cents ans, car elle s'étend du septième au neuvième siècle de notre ère; c'est elle que le marquis d'Hervey-Saint-Denis a fait spécialement connaître par le recueil des poésies de trente-cinq auteurs qu'il traduit et par les notices et commentaires qui les accompagnent.

Nous sommes, de nos jours, très-curieux de ces révélations littéraires, sous lesquelles nous ne voyons plus les amusements de l'oisiveté d'un peuple, mais la manifestation de ses mœurs, de son esprit, de sa vie intime, plus intéressante que sa vie publique elle-même. La littérature ne peut se séparer de la civilisation dont elle reçoit et conserve le reflet; la poésie surtout en est l'expression fidèle et naïve. Elle révèle le naturel d'un peuple comme la fleur les qualités du sol qui la produit : fleur sauvage ou délicate, aux acres senteurs ou aux subtils parfums. Telle poésie, tel peuple. Il n'y a point de monuments historiques pour nous faire connaître les anciens Grecs aussi bien qu'un

1. Amyot, in-8, civ-302 p.

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