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VI. - Depuis l'ouverture du feu, les Russes n'avaient tenté contre les assiégeants aucune démonstration extérieure; ils s'étaient seulement montrés, le 18, sur les hauteurs de Balaclava. Lord Raglan, son état-major et de forts détachements du corps français d'observation s'étaient aussitôt portés de ce côté; mais après quelques coups de canon tirés des redoutes élevées par les Turcs, au-dessus de la plaine de Balaclava, les Russes se retirèrent (1).

Sans doute, ils ne jugeaient pas nos travaux assez près de la place pour devoir les inquiéter sérieusement, autrement que par le feu redoublé de leur artillerie. Toutefois, le 20, un fort détachement de volontaires russes, protégé par une nuit noire, arrive sans être aperçu jusqu'à nos tranchées. Conduits par des officiers résolus, ces volontaires pénètrent dans les batteries 3 et 4, et se ruent avec une audacieuse énergie contre les gardes de tranchées avec des cris frénétiques; les canonniers, surpris par cette attaque, s'élancent sur leurs armes placées contre l'épaulement

(1) L'aide de camp général prince Menschikoff rend ainsi compte, dans son rapport, de ce mouvement de ses troupes :

18. « Le feu des batteries anglaises a sensiblement diminué passé midi, probablement à la suite de ce que, par mon ordre, le généralmajor Sémiakine s'était porté avec son détachement, du village de Tchorgoun sur les hauteurs de Balaclava, et qu'en se montrant sur les derrières du camp anglais, il avait occasionné quelque trouble, de sorte que l'armée s'était hâtée de se former et de se mettre en marche dans la direction de Balaclava; par cette démonstration d'un corps détaché, le but que l'on avait eu en vue de détourner l'ennemi de la forteresse, a été atteint. (Invalide russe.)

de la batterie et luttent corps à corps au milieu de l'obscurité. L'ennemi parvient toutefois à enclouer trois mortiers à la droite de la batterie 3; déjà il se répand dans l'autre batterie, où il encloue également quatre pièces; mais le premier moment de confusion est passé ; à la voix du lieutenant Lebelin de Dionne et du lieutenant Clairin, les artilleurs se rallient et reprennent vigoureusement l'offensive.

La compagnie de voltigeurs du 1er bataillon du 74° s'est jetée en avant aux premiers cris d'alerte (1); une

(1) Le journal de ce régiment mentionne particulièrement le nommé Audié.

Voici à ce sujet un épisode qui mérite d'être signalé et dont nous tenons les détails du colonel Breton, qui commandait alors le 74°.

La bravoure et l'audace d'Audié pendant le combat le firent mettre à l'ordre de son régiment le 21 octobre. Au moment d'accorder les récompenses, le colonel feuilleta le dossier de ce soldat, et trouva sur un de ses feuillets qu'il avait été condamné, avant son entrée au service, à deux mois de prison pour tapage nocturne et bris de clôture.

En distribuant les récompenses accordées au régiment, le colonel Breton dit à Audié:

<< Votre vaillante conduite m'a été signalée; je vous dois les éloges que mérite votre bravoure, et si je n'ai pas demandé une récompense pour vous, comme pour vos camarades, vous savez pourquoi ; mais je dois hautement, rendre témoignage de votre belle conduite. C'est justice, mon colonel, répliqua Audié aussi je ne me plains pas; mais j'en ferai tant, que je vous ferai oublier mon passé. Je prends acte de votre parole, Audié, lui dit le colonel; tenezla en brave soldat que vous êtes, et je déchirerai ce feuillet. >>

-

Audié fit honneur à cet engagement contracté en face de la com pagnie. Dans la nuit du 15 janvier, il appela encore par sa valeureuse conduite l'attention de ses camarades; mais il fut grièvement blessé de deux coups de feu.

Le colonel s'empressa de faire savoir au général en chef la réponse du soldat Audié, et comment il venait de tenir parole en se battant comme un lion, et en refusant de quitter la tranchée après sa première

partie s'est déployée sur les épaulements pour se garantir d'une nouvelle surprise, l'autre s'est élancée, la baïonnette en avant. Le capitaine Herment est à la tête de ces intrépides soldats; il accourt, il culbute l'ennemi, qui se maintient pourtant avec résolution dans l'intérieur des deux batteries. Pendant ce temps, une section de chasseurs à pied du 5 bataillon, enlevée avec élan par le lieutenant Vermot, appuie vigoureusement les voltigeurs du 1er bataillon, dont les autres compagnies se sont portées en avant, se reliant entre elles autour de l'ouvrage envahi (1).

Les Russes se retirèrent, laissant 7 morts et 4 blessés, dont un officier, qui, le lendemain, mourut à l'ambulance de ses blessures (2).

blessure; il déchira le feuillet et remit au brave soldat la médaille militaire.

Malheureusement, la blessure d'Audié nécessita la désarticulation de l'épaule, et il mourut à Constantinople des suites de l'amputation.

(1) Le lieutenant Vermot reçut dans le combat par éclats de bombes deux graves blessures, l'une au bras, l'autre à la jambe; tous deux durent être amputés.

(2) Cet officier fut percé de cinq coups de baïonnette au milieu des canons sur lesquels il s'efforçait, avec une persistance héroïque, de ramener ses soldats; il fut transporté vivant encore à l'ambulance de la tranchée.

« Le lendemain, dit une correspondance très-intéressante que nous avons sous les yeux, cet officier russe, qui s'était attiré toutes nos sympathies par son intrépidité, est mort très-bravement sans avoir voulu donner aucun renseignement : seulement, il a laissé échapper que notre artillerie, les mortiers surtout, leur faisaient beaucoup de mal, et que lui et les hommes qui l'accompagnaient s'étaient dévoués pour enclouer nos pièces.

« Cette sortie, dit le rapport russe, coûta la vie à 2 officiers, le

Le lendemain, le général Canrobert, en donnant à l'énergique conduite des compagnies qui lui avaient été signalées les éloges qu'elles méritaient, rappelait dans un ordre du jour « que la vigilance à la guerre, et surtout devant une place assiégée, était le premier des devoirs. »

Les sept pièces furent désenclouées et purent reprendre leur tir, dès le lendemain.

VII. C'est dans la nuit du 21 au 22 octobre que fut commencé le tracé de la deuxième parallèle, aussitôt que les communications sur lesquelles elle devait s'appuyer à droite et à gauche, eurent été exécutées. Par suite de ce nouveau développement des tranchées, nos travaux d'approche contre la place se trouvèrent divisés en deux attaques, dites: attaque de gauche, attaque de droite.

Des compagnies d'infanterie, ayant en avant d'elles. 40 chasseurs à pied déployés en tirailleurs, couvrirent ce travail que l'ennemi ne chercha pas, du reste, à inquiéter.

K

Au jour, dit le journal du corps de siége, la gabionnade, couronnée sur presque tout son développement, et protégée par un fort parapet, couvre parfaitement les travailleurs. »

Sur tous les points menacés, les Russes construisent

lieutenant Troitsky et le garde-marine prince Poutiatine. Les autres détachements, ajoute le prince Menschikoff dans son rapport, rencontrèrent partout une vigilance active de la part de l'ennemi, et rentrèrent dans la place, après avoir eu 12 hommes blessés.

à la hâte de nouvelles batteries contre nos ouvrages; ils en ont élevé sur le revers du ravin descendant au port du sud et traversé par notre première parallèle; ils tentent, d'un autre côté, d'établir des batteries volantes contre nos travaux les plus avancés; mais les francstireurs, par leur feu bien soutenu, les forcent à renoncer à ce projet.

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VIII. Il est utile, pour bien comprendre l'importance et le tracé de nos cheminements, d'entrer dans quelques nouveaux détails topographiques.

Le génie avait compris la nécessité de reporter les attaques vers l'est et de s'avancer sur la capitale du bastion du Mât.

Il fallait cheminer méthodiquement à travers un terrain difficile à manier dans la majorité de ses parties, et sous un feu vif, régulier et parfaitement dirigé; on prolongea donc vers l'est (de manière à enceindre le bastion du Mât) la tranchée ouverte pour la construction des huit premières batteries.

Cette première parallèle se reliait au dépôt de tranchée (maison du Clocheton) par une communication propre à couvrir la marche des gardes de tranchées et des travailleurs, et était elle-même protégée par une tranchée ouverte en arrière, pour soutenir par des batteries de mortiers les nouveaux cheminements qui devaient être entrepris pour marcher à la seconde parallèle.

On commença ces travaux importants, en bordant à

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