Images de page
PDF
ePub

troupes à cette guerre ténébreuse de surprises et de veilles incessantes (1).

Dans le même moment le vice-amiral Hamelin, élevé à la dignité d'amiral, était rappelé en France, et remettait son commandement au vice-amiral Bruat (2). « Je suis heureux, dit-il dans son ordre du jour, de laisser l'escadre aux mains d'un amiral que son expérience et son intrépidité rendent si digne d'un pareil commandement. »

LXXXII. L'année 1854 n'avait pas, ainsi qu'on l'avait espéré, vu les drapeaux des armées alliées flotter sur les murs de Sébastopol.

La Russie faisait de sublimes efforts pour soutenir la ville assiégée, que protégeait du sommet des hauteurs

(1) Plusieurs actes d'énergie avaient signalé la nouvelle organisation des éclaireurs volontaires, et le général Forey leur rendit un glorieux témoignage, qui devait doubler l'élan de ces véritables partisans, auxquels étaient réservées les plus périlleuses entreprises.

Dans la nuit du 28 au 29, les 1 et 2 compagnies, audacieusement lancées par leurs chefs, les capitaines Roussel et Goetzmann, ont enlevé plusieurs embuscades russes, et les ont entièrement rasées. Ces deux braves officiers pénétrèrent les premiers, le sabre à la main, dans les ouvrages ennemis.

Dans la nuit du 31 décembre, la 1re compagnie détruisit des embuscades sur la droite de la 3° parallèle, et laissa 20 hommes pour en occuper les emplacements jusqu'au jour. Trois fortes colonnes russes postées dans un ravin, purent, à la faveur d'une nuit obscure et pluvieuse, s'avancer en contournant les 20 éclaireurs; lorsque ceux-ci les aperçurent, déjà ils étaient entourés de toutes parts. « Ces braves soldats, dit l'ordre du jour, cherchèrent à sé dégager en chargeant à la baïonnette. Dix d'entre eux purent rejoindre leur compagnie; mais les dix autres sont tombés, morts ou blessés, au pouvoir de l'ennemi, combattant jusqu'au dernier moment au poste qui leur avait été assigné. (2) 23 décembre 1854

[ocr errors]

une formidable armée de secours; sa puissante artillerie jetait des canons sur tous les points menacés et opposait le bronze aux baïonnettes de nos soldats. Nos moyens d'attaque, insuffisants dans le principe, n'avaient pu frayer encore le passage à nos colonnes d'assaut; mais le jour n'était pas éloigné, selon les prévisions de chacun, où toutes nos batteries ouvriraient à la fois leur feu pour foudroyer la ville. — L'avenir était dans la main de Dieu; et avant ce jour de gloire et de triomphe pour nos armes, bien des événements, bien des entraves, bien de sérieuses et imprévues difficultés devaient se lever sous chacun de nos pas, et montrer que dans une vaillante armée le persistant courage, la froide énergie de tous les jours, l'abnégation, le dévouement au drapeau et au souverain n'ont pas de limites, lutte héroïque à la fois contre les éléments, les attentes déçues et les souffrances.

Nous avons dit plus haut que l'Empereur avait accordé au général en chef de l'armée d'Orient le droit de décerner des récompenses; le général Canrobert voulut que cette année, qui se terminait, apportât à l'armée qu'il commandait les marques d'honneur qu'elle avait dignement méritées.

La première promotion fut donc fixée au 31 décembre. Le général Canrobert, par un sentiment de noble courtoisie envers les généraux qui l'avaient si intrépidement secondé, voulut que les deux commandants en chef des corps d'armée donnassent euxmêmes les récompenses à leurs troupes assemblées.

Ce fut une grande et belle solennité. Les troupes dans leur tenue de chaque jour, noblement salie par la vie des tranchées, furent réunies sur ce sol déchiré par les boulets, au milieu des traces vivantes du combat, tout près des terrains, où dormaient pour toujours ceux que la mort avait frappés. Le général Canrobert les passa en revue au bruit retentissant du canon et de la fusillade, s'arrêtant souvent devant les soldats, causant avec eux, leur souriant d'un sourire à la fois plein de bonté et de gratitude.

Puis, la revue passée, les chefs formèrent un cercle, et le général parla avec cette mâle énergie et cette émotion du cœur qui est le propre de sa nature; il leur dit, ce qui était sa pensée et son espérance : que bientôt le succès couronnerait de si nobles et de si persistants courages; il parla de la patrie absente, du juste orgueil du retour, du grand spectacle que l'armée de Crimée donnait au monde attentif, et, élevant la voix pour que ses paroles pussent arriver jusqu'aux soldats qui l'écoutaient :

-Tous, dit-il, je vous remercie au nom de la France et de l'Empereur! »

CHAPITRE VI.

LXXXIII.

Jusqu'au jour où arriveront les grandes

phases du drame, ce récit ne peut offrir les saisissantes

émotions d'une campagne active, mouvementée, vivant de l'imprévu et du sort des batailles; mais il est important d'en suivre la progression; car ce siége, qui s'attaque à un grand camp retranché, bien plus qu'à une ville que les assaillants, inférieurs en nombre, ne peuvent investir, ce duel formidable d'artillerie, resteront des faits à jamais mémorables dans l'histoire des guerres. - Nous touchons à une période, dont la complication va joindre de nouvelles entraves aux difficultés déjà existantes.

Examinons donc la situation de l'armée au commencement de l'année 1855 ?

par

Le siége et la défense sont en présence: l'un, divisé la force des choses, être multiple qui a deux corps et deux têtes, marche séparément vers la ville; l'autre, infatigable, résolu, comptant à la fois, pour triompher, sur les épreuves d'un cruel hiver, sur son inépuisable artillerie et sur son infatigable activité, qu'une scule et même pensée dirige, crée, pour ainsi dire, une nouvelle ville de terre et de fer, pour servir de rempart à la ville de pierre.

Sur cet aride plateau où sont campées les armées alliées, le froid, les neiges, la pluie continuent à se succéder sans relâche; les grandes tentes ne sont pas encore arrivées en nombre suffisant pour sauvegarder contre ces cruelles éventualités les soldats des deux nations; le bois manque même souvent, car, pour en trouver, il faut creuser le sol et demander à la terre les racines des arbres abattus et tous les débris d'une vé

gétation éteinte réfugiée dans son sein. - Le service des tranchées, le travail des nuits glacées, le tribut quotidien que l'on paye à la mort, soit qu'elle vienne de Dieu, soit qu'elle vienne des hommes, sont un triste et douloureux spectacle.

Les vieux soldats supportent leur souffrance avec leur moral et leur résignation accoutumés; mais les jeunes, arrivant de France, sont cruellement éprouvés par cette existence qui laisse si peu d'heures au repos : heureusement que les vides se comblent par les envois successifs qui nous arrivent de Constantinople. La 7 et la 8 division sont à peu près débarquées au complet.

LXXXIV. Nous sommes prêts, armés, pourvus de munitions. Un signal, et toutes les embrasures sont ouvertes, et nos 150 bouches à feu tonnent à la fois contre la ville assiégée. Notre effectif agissant se compose de 67 000 hommes (1).

Quelle était à la même époque la situation de nos alliés ?

« L'armée anglaise, écrit le général en chef, éprouve des privations et de réelles souffrances qu'il n'est malheureusement pas en mon pouvoir de lui éviter : son effectif réel diminue tellement, ses chevaux de trait et de selle sont si affaiblis, leur nombre est tellement réduit, qu'elle a beaucoup de peine à faire ar

(1) Dépêche du général en chef au ministre de la guerre.

« PrécédentContinuer »