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Le même bateau débarquait le capitaine Merle, qui apportait au général en chef une lettre lui apprenant que S. M. l'Empereur avait l'intention de se rendre en Crimée. Suivant la loi commune des secrets si difficiles à garder, l'annonce de ce grand événement transpira bientôt, et comme une étincelle électrique parcourut les camps et fit battre les cœurs; car chacun, depuis les chefs jusqu'aux soldats, avait la conscience de ses efforts, de son dévouement, de son abnégation; chacun avait l'orgueil de ces rudes travaux accomplis sans relâche au milieu des neiges et des tempêtes du ciel et de la terre.

Mais un autre événement d'une haute importance. ne devait pas tarder à être porté à la connaissance des armées alliées; — c'était la mort de l'empereur de Russie.

Lord Raglan tenait conseil à son grand quartier général, lorsqu'il l'apprit par un vapeur anglais.

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«C'est le doigt de Dieu, dit-il; et il s'empressa d'en faire aussitôt part au général en chef de l'armée française.

«

C'est une grande nouvelle,» écrivait le général Canrobert aux deux généraux commandant les corps. d'armée, en leur annonçant que l'empereur Nicolas était mort, le 2 mars, à midi.

Oui, pour la politique à venir, c'était une importante nouvelle qui pouvait amener entre les nations une paix solide et durable. La mort tranché souvent le nœud gordien de bien des difficultés.

Pour ce qui regardait les événements présents, il n'y eut dans les deux armées qu'une impression profonde de tristesse et d'inquiétude; on se demandait, si la mort de l'empereur de Russie n'allait pas modifier les opérations de la guerre, suspendre peut-être le siége et arracher à cette armée si rudement éprouvée le noble prix de ses constants efforts et de ses longues souffrances. On en parla deux jours, puis on n'en parla plus; le courant de la vie attachée à l'imprévu entraînait les pensées.

CXI. Omer-Pacha était attendu depuis plusieurs jours, car il était important qu'il apportât à l'attaque de vive force contre Sébastopol sa part de coopération.

Le 12, il débarqua à Kamiesch. Aussitôt les trois généraux en chef et les amiraux commandant les escadres alliées se réunirent en conseil.

Il fut résolu que la division égyptienne, qui depuis deux mois était à Constantinople, serait transportée par les moyens les plus prompts à Eupatoria, afin qu'Omer-Pacha lui-même pût se rendre sans délai devant Sébastopol avec 22 000 hommes d'élite de son armée, pour prendre part aux actions décisives du siége. Eupatoria, base essentielle d'opération pour les mouvements stratégiques ultérieurs, resterait occupće par 30 000 hommes, force suffisante non-sculeinent pour défendre cette ville contre toute attaque, mais aussi pour donner à l'ennemi une sérieuse inquiétude et le contraindre à tenir en observation un

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gros détachement de son armée, pris forcément dans celle qui opère devant Sébastopol (1).

Si la fortune favorisait nos actions décisives contre la place, Omer-Pacha pouvait être ramené à Eupatoria, et avec son corps d'armée (renforcé au besoin d'une division française et d'une brigade anglaise) se porter immédiatement en avant pour atteindre soit Simphéropol, soit un point de la ligne de communication des Russes avec Sébastopol, en combinant ses mouvements avec ceux de l'armée alliée.

Telles étaient les décisions auxquelles s'était arrêté le conseil.

CXII. Quelques jours auparavant, le général Canrobert, après avoir examiné avec soin nos nouveaux travaux et consulté les chefs de service, avait officiellement prévenu le général en chef de l'armée anglaise que toutes nos batteries anciennes et nouvelles seraient prêtes à ouvrir le feu, le 13 mars (2).

Malheureusement nos alliés n'étaient pas encore prêts, et à cette déclaration à laquelle des événements impossibles à prévoir pouvaient, d'un instant à l'autre, donner une grande gravité, lord Raglan avait répondu :

« Votre Excellence sait que le génie anglais a entre

(1) Dépêche particulière du général Canrobert.

(2)

Dépêche du général en chef au ministre de la guerre.

9 mars. « Nous sommes prêts à ouvrir le feu, mardi prochain ; j'en ai officiellement prévenu le général en chef de l'armée anglaise, il est indispensable que nos alliés agissent en même temps que nous.»

pris de nouvelles batteries, dont le rôle ne sera pas sans importance dans les opérations contre la place; ces hatteries sont assez avancées, mais elles ne seront pas terminées pour le jour que vous indiquez, et je ne saurais en ce moment préciser celui où elles pourront, ainsi que les autres batteries anglaises, ouvrir le feu dans des conditions d'approvisionnement convenables, »

Il était pourtant impossible de se dissimuler que tous ces retards étaient funestes et permettaient à la défense un développement qui doublait les obstacles et multipliait les dangers. Les Russes, favorisés par la configuration et la nature du terrain autour d'Inkermann et de la baie du Carénage, avaient enlevé par des travaux habiles la possibilité de tenter autre chose contre Malakoff qu'une puissante diversion.

La difficulté de cette position périlleuse frappait toutes les pensées; aussi le général Canrobert insistait chaque jour auprès du général en chef de l'armée anglaise pour l'amener à ouvrir le feu.

Ainsi il écrivait au ministre, en date du 17: « Nos batteries présentent le chiffre énorme de près de cinq cents bouches à feu en état d'agir et j'attends, depuis le 14, que les Anglais soient prêts à entrer en action. Je les presse de mon mieux, officiellement et officieusement, car je comprends l'impérieuse nécessité de nous lancer sur la partie de Sébastopol qu'il peut nous être permis de prendre; mais je dois aussi comprendre, qu'il m'est interdit d'agir sans le concours de nos alliés. La grosse affaire du moment est de nous emparer de vive

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force du mamelon au sud de la tour Malakoff, où l'ennemi se retranche fortement sous la protection d'un cercle de feu d'artillerie. »

Le 20 mars il écrivait : « Les Anglais ne peuvent encore me dire quand ils seront prêts. Ce retard est d'autant plus funeste, que l'ennemi en profite pour augmenter chaque jour la force de ses ouvrages et en ajouter de nouveaux avec une habileté très-remarquable. De jour en jour la position devenait plus tendue.

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Hier, écrivait encore le général Canrobert, en date. du 23, j'ai pressé lord Raglan aussi vivement que les circonstances le permettaient. Je n'ai pu obtenir de réponse positive. »

Pendant ce temps des dangers sans cesse renaissants menaçaient notre attaque Malakoff, qui se jetait forcément dans de nouveaux développements de batteries et de tranchées (1).

(1)

Dépêche particulière du général Canrobert, 23 mars.

« A la gauche, le 1er corps (ancien corps de siége) continue à fonctionner et à défendre avec un succès constant les énormes travaux d'attaque entrepris de ce côté contre la place. On a la confiance que le feu, concentré entre le bastion Central et le bastion du Mât, assurera à nos colonnes d'assaut la possession, au moins, de la première enceinte de la ville comprise entre ces deux points.

« A la droite, le 2e corps, qui, tout en observant la plaine de Balaclava et la vaste vallée de la Tchernaïa, doit occuper le plateau dominant d'Inkermann, où il a élevé de nombreuses batteries au milieu des difficultés de tout genre, chemine péniblement sur le roc vif, sous le feu de grosses batteries de Karabelnaïa et sous celui d'une myriade de tirailleurs retranchés dans les nombreuses embuscades vers le mamelon sud de la tour Malakoff. — Là, l'ennemi a construit un très-fort ouvrage qui est protégé en avant par le feu croisé de batteries, s'étendant depuis le grand Redan jusqu'aux ouvrages russes, à l'est de la baie du Carénage, et soutenu, en arrière, à moins de 800 mètres par plus de 20 000 hom

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