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fliction profonde pour toute l'armée. Aussi, tout ce que les trois armées comptaient d'officiers généraux avait voulu rendre un dernier hommage au brave et noble Bizot et accompagner sa dépouille mortelle qui allait reposer pour toujours sur cette terre de Crimée, té

en 1839, comme chef du génie de la province d'Oran. C'était la vie qu'il fallait à cette ardente nature, que dévorait à la fois un besoin d'activité et de travail. Nommé chef de bataillon en 1839, il prit part à presque toutes les expéditions. Après celle de 1841, contre les Kabyles, chargé de faire sauter un pont, il reçut à l'issue de la campagne la croix d'officier de la Légion d'honneur. Déjà le commandant Bizot avait su faire apprécier par tous ses qualités réelles il était recommandé au ministre comme un officier d'avenir. Rentré en France en 1841, il repartait une seconde fois pour l'Afrique en 1849. Depuis quatre ans déjà, il était lieutenant-colonel. Aussi, à peine avait-il pris possession de son nouveau commandement de directeur des fortifications à Constantine, qu'il fut nommé colonel, et trouva bientôt l'occasion de se distinguer, dans plusieurs expéditions, sous les ordres du général de Saint-Arnaud. Général de brigade en 1852, il reçut le commandement supérieur du génie en Algérie, dont il exerça les fonctions jusqu'au moment où les brillantes qualités qu'il avait su toujours déployer, dans les diverses phases de sa vie, l'appelèrent à la tête de l'Ecole polytechnique.

Lorsque notre armée s'embarqua pour l'Orient, le général Bizot fut nommé commandant en chef du génie, et s'embarqua pour Gallipoli, le 1er mai de l'année 1854. Dans la première partie de ce travail, nous avons dit avec quelle énergique et persistante audace il avait dirigé pendant le siége les durs et périlleux travaux de son arme. Nommé commandeur de la Légion d'honneur au mois de janvier 1855, il devait périr glorieusement, sans avoir pu porter les épaulettes de général de division, qu'il avait si noblement gagnées.

On ne peut faire un plus bel éloge de celui que l'armée venait de perdre, que de répéter les nobles paroles prononcées sur sa tombe par le général en chef Canrobert:

« C'est parce que Bizot était un noble caractère, donnant à tous, chaque jour, le modèle du courage, du devoir accompli sans relâche, du dévouement, de l'abnégation; c'est parce que Bizot avait toutes les vertus et toutes les mâles qualités que Dieu, dans sa justice infinie, lui a accordé le suprême honneur de tomber en soldat sur la brèche, en face de l'ennemi. »

moin de son constant dévouement et de sa courageuse abnégation. En tête de ce triste et solennel cortége marchaient les trois généraux en chef des armées alliées. Au milieu de la foule accourue, c'était un silence triste et grave qu'interrompait seulement le bruit du canon, qui, lui aussi, semblait vouloir saluer la dépouille du brave soldat tombé sur la brèche (1).

Non loin de son général allait reposer le commandant Masson, mort le même jour. Le génie était souvent frappé par de cruelles blessures; le commandant Saint-Laurent (2), officier du plus haut mérite, que

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Le commandant Masson était mort au champ du combat, et ce fut pour lui un grand et dernier honneur d'être conduit à sa dernière demeure côte à côte avec le général Bizot.

C'était un brave officier, dont la vie comptait déjà de bons et loyaux services en France, en Afrique, à la Guadeloupe.

Né en 1806, au Sénégal, il fut élève de l'Ecole polytechnique, puis de l'Ecole d'application de Metz en 1828. Envoyé à l'état-major du génie en Algérie, en 1835, il ne tarda pas à être nommé capitaine. Il suivit plusieurs expéditions dans la province de Constantine, et fut mis à l'ordre du jour dans un rapport du duc d'Aumale, pour s'être brillamment distingué.

On lit dans ses états de service : « A la Guadeloupe, du 7 avril 1845 au 28 septembre 1847. Au Sénégal, du 2 novembre 1847 au 13 juin 1850: a assisté à l'attaque et à la prise de Fanaye, dans la province de Dimar, où il s'est particulièrement distingué.

Blessé d'une balle au côté gauche, dans la tranchée, le 1er avril, il succomba le même jour à sa blessure.

(2)

LE COMMANDANT SAINT-LAURENT.

C'est au moment où le commandant Saint Laurent allait être élevé au grade de colonel pour récompense méritée de ses services dans ce siége à jamais mémorable que la mort vint le frapper.

Sa perte fut vivement sentie, vivement regrettée.

La note que le brave général Bizot avait ajoutée au mémoire de pro

l'avenir avait marqué du doigt pour en faire un de ses élus, avait succombé le 13 avril dans les tranchées. Le capitaine Mouhat, également du génie, nominé quelques jours auparavant officier de la Légion d'honneur pour une action d'éclat, avait aussi trouvé une mort glorieuse et le général Canrobert saluait le brancard qui transportait à l'ambulance de tranchée le capitaine expirant (1).

position d'avancement est le plus grand éloge et le plus digne hommage que l'on puisse rendre à cette tombe si vite fermée.

Le commandant Saint-Laurent, disait le général, réunit toutes les qualités qui constituent l'habile ingénieur et l'excellent officier de guerre. Après avoir pris une part active aux travaux de la première période du siége de Sébastopol, il a été chargé de l'exécution souvent périlleuse des travaux de défense des positions d'Inkermann, et s'est acquitté de cette mission avec autant d'intelligence que d'intrépidité. Il n'est pas de proposition mieux motivée que celle faite en sa faveur. »

Le commandant Saint-Laurent, né en 1814, était sorti de l'Ecole d'application à la fin de l'année 1834. Après une année de séjour à Bayonne, il fut envoyé en Afrique, où il resta jusqu'en 1839. De retour en France, il fut aide de camp du général Dode, président du comité de fortifications, puis envoyé comme chef de bataillon du génie à Montpellier en 1852. Partout où son service l'appela, le commandant Saint-Laurent fit preuve d'une intelligence supérieure et d'une haute capacité. Pourvu qu'ils ne nous tuent pas Saint-Laurent, » disait un général devant Sébastopol en apprenant la mort d'un officier du génie. Hélas! ils l'ont tué.

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Le capitaine Mouhat, entré au service comme jeune soldat, était un énergique officier, et sa vaillante conduite lui avait valu de la part du général Canrobert une mention spéciale.

<< Le capitaine du génie Mouhat (disait-il dans un ordre du jour du 20 mars 1855), opérant sous la direction immédiate du lieutenantcolonel Jourjon, s'est fait remarquer particulièrement, et je récom. pense ses vieux services en lui conférant, au nom de l'Empereur, la croix d'officier de la Légion d'honneur. »

C'étaient de tristes tableaux; mais la pensée les oubliait vite. On vivait trop souvent et de trop près avec la mort pour qu'elle effrayât. Sur les champs de bataille elle n'a pas le même aspect qu'au sein des villes paisibles.

IX. Devant le bastion du Mât, nos mines avaient marché, creusant en avant leurs voies souterraines.

Le 15 avril, seize fourneaux contenant 25 000 kilog. de poudre devaient sauter, aussitôt la nuit venue. A huit heures, en effet, l'explosion se fit entendre. La détonation ne fut pas retentissante au dehors, mais on eût dit que la terre se soulevait, et à une grande distance les troupes de garde qui avaient été éloignées de ce point des tranchées, la sentirent frémir et onduler. Des blocs de rocher d'une dimension énorme furent lancés dans les airs; de profonds fossés se creusèrent dans le sol déchiré.

A ce bruit soudain, à ce tremblement dont ils ressentirent au loin les effets, les Russes crurent à une attaque générale; aussitôt, de toutes les parties des remparts et de leurs ouvrages défensifs, commença une terrible fusillade dont le but était d'écraser nos colonnes, si elles eussent tenté de s'avancer. Des bombes, des obus, des paniers de grenades éclatent à la fois dans le ciel et sur les terrains défoncés; l'horizon s'éclaire de longues raies enflammées qui s'entrelacent, se confondent, puis se séparent et jaillissent en étincelles. Pendant près d'une heure ce vacarme continua donnant à la nuit,

tout à l'heure encore si obscure, des lueurs soudaines, semblables à celles d'un vaste incendie.

X. Nos canonniers, prudemment éloignés par crainte de l'explosion, sont accourus à leurs pièces et ont, de leur côté, ouvert sur le bastion du Mât le feu de toutes celles qui sont armées d'obusiers et de mortiers.

Deux compagnies d'élite du 39°, suivies de sapeurs du génie et d'une nombreuse escouade de travailleurs, ont déjà franchi les épaulements et se sont précipitées à travers les terres-plains, pour occuper les fossés produits par la mine. Les balles et la mitraille forment au-dessus d'eux un dôme de fer; mais rien n'arrête leur élan, rien n'ébranle leur courage; chefs et soldats travaillent sous cet orage, car tous comprennent qu'il ne faut pas que les Russes puissent se rendre maîtres des entonnoirs.

Le major de tranchée, le colonel Raoult, que le danger trouve toujours le premier à son poste, est sur les lieux.

A la maison du Clocheton des officiers d'état-major, prêts à monter à cheval, attendent des nouvelles, pour les porter au quartier général.

Les premières qui arrivent sont du colonel Raoult; il a écrit au crayon ces quelques mots adressés au général commandant le corps de siége

« Les mines ont formé deux fossés de 4 à 5 mètres de profondeur et d'une longueur suffisante; on travaille à relier la droite de la troisième parallèle avec le fossé

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