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ne raconte cet épisode sans éprouver une profonde émotion.

La nuit calma l'intensité du feu; les salves d'artillerie ne se firent plus entendre que par intervalles; nos mortiers continuèrent, toutefois, à lancer des bombes dans les ouvrages ennemis : et aussitôt que le jour parut, le feu reprit avec violence des deux côtés. Le soleil ne devait pas se coucher sans avoir éclairé cette énergique entreprise depuis si longtemps attendue, et dont le résultat pouvait avoir sur les opérations à venir une importance décisive.

Toutes les dispositions sont prises par le général Bosquet en personne avec ce calme actif, résolu, qui le distingue. Les 2°, 3°, 4° et 5° divisions du 2 corps ont été désignées pour l'attaque.

Entre trois et quatre heures du soir, le 7 juin, le général Bosquet se porte successivement dans les camps de ces divisions, et au moment de la prise d'armes fait serrer tous les bataillons en masse autour de lui. Là, dans une courte et énergique allocution, il apprend aux officiers et aux soldats ce qu'ils sont appelés à faire, et ce que la France attend d'eux. D'unanimes acclamations lui répondent.

A quatre heures et demie, les colonnes d'assaut se mettent en marche, profitant des ravins contournés du Carénage et de Karabelnaïa pour se rendre à leurs postes de combat; elles peuvent y arriver, sans que l'ennemi ait eu l'éveil de leur présence. Les troupes confiantes et animées d'une ardeur indicible attendent

impatiemment que la voix de leurs chefs leur donne le signal.

Ceux-ci se sont réunis une dernière fois, pour que les instructions bien précises ne laissent aucun doute dans les esprits, et que l'attaque commencée sur tous les points avec ensemble, frappe les Russes de terrear par son énergie et sa spontanéité.

Des détachements de canonniers, commandés par des capitaines d'artillerie, doivent marcher avec les premiers bataillons, afin de retourner aussitôt les ouvrages contre l'ennemi, et reconnaître les travaux immédiats à effectuer.

En outre, l'artillerie doit après le départ des colonnes d'assaut, changer le tir des batteries du Carénage et de la parallèle Victoria, et diriger tous ses feux sur la place. La direction supérieure de ces mouvements est confiée au lieutenant colonel de Laboussinière, homme intrépide dont le dévouement et l'activité sont à toute épreuve.

XLIX.

L'action qui allait s'engager avait donc trois points très-distincts; deux nous étaient dévolus, le troisième appartenait aux Anglais. — A droite, sur le contre-fort du Carénage, étaient les ouvrages Blancs, appelés par les Russes (redoutes de Volhynie et de Selighinski); au centre, le mamelon Vert (redoute de Kamchatka), en avant de la tour Malakoff; à gauche l'ouvrage dit : des Carrières. Des ravins aux berges escarpées et rocheuses séparaient chacune de ces attaques, et

avaient l'inconvénient de les isoler l'une de l'autre ; mais les parties couvertes de ces ravins permettaient, d'un autre côté, de placer de nombreuses et puissantes réserves à l'abri du feu de l'ennemi.

Les 3 et 4° divisions, sous les ordres des généraux Mayran et Dulac, étaient massées du côté du Carénage. Les 2o et 5o (généraux Camou et Brunet) étaient placées au centre.

A cinq heures, le général Pélissier, accompagné des généraux Niel, Trochu, Martimprey, Thiry, Frossard, Beuret et de tout son état-major, arrivait dans les retranchements en avant de la redoute Victoria. Déjà le général Bosquet était à son poste à la batterie de Lancastre. Les derniers rapports viennent de lui être donnés, les derniers ordres sont transmis; chacun est prêt; les troupes sont frémissantes d'impatience et d'ardeur. L'heure désirée du combat va bientôt sonner; tous les regards sont fixés sur le point d'où les fusées de signal doivent partir, et, messagères de feu, nous précéder dans les ouvrages ennemis.

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L. Le général Bosquet a donné ordre à l'officier d'artillerie de lancer le signal; les fusées traversent l'espace avec leurs sifflements aigus. Aussitôt, pendant que les brigades de Failly et Lavarande se dirigent sur les ouvrages du Carénage, le général Wimpffen s'est élancé des tranchées qui, de notre côté, entourent la base du mamelon Vert.

Trois colonnes ont été disposées. A la droite, c'est

le colonel Rose avec les tirailleurs algériens; au centre, le colonel de Brancion avec le 50°; à gauche, le colonel de Polhes avec le 3° de zouaves.

Comment dire l'élan, l'enthousiasme de ces vaillantes troupes, qui se précipitent! De toutes parts les cris de vive l'Empereur! parcourent les rangs; c'est le mot d'ordre du combat. Ce flot humain monte et envahit la colline, comme une marée vivante que pousse une puissance irrésistible.

Déjà la mitraille de la redoute, les feux convergents du grand Redan et les batteries à gauche de la tour Malakoff, lancent sur les troupes assaillantes un ouragan de mitraille.

Pendant que le colonel Rose s'empare d'une batterie annexe de la redoute, où il se loge vigoureusement, et que le colonel Polhes attaque la gauche du mamelon, le colonel de Brancion aborde de front la redoute ellemême avec son brave 50; il anime ses soldats de la voix. La résistance est terrible; les Russes luttent en désespérés; une fusillade renverse nos premiers rangs à bout portant.

Le colonel de Brancion s'empare du drapeau, pour que tous, au moment du danger, voient flotter devant eux l'étendard de la France; il s'élance sur le parapet ennemi, et pendant que d'une main victorieuse, il plante sur les épaulements de la redoute l'aigle d'or du régiment, de l'autre il agite son épée et appelle ses braves soldats autour de lui; mais la mitraille s'acharne sur ce point où flotte notre drapeau, et le

colonel de Brancion tombe glorieusement enseveli dans son triomphe (1). »

LI. Ce n'est là qu'une des faces de ce brillant et rude combat, qui prit, par son importance et son étendue, les proportions d'une bataille. A l'extrême droite aussi, nous avons envahi résolûment les positions ennemies. La brigade Lavarande, placée dans les tranchées du Carénage, s'élance, son général en tête, en dehors de la deuxième parallèle, sur l'ouvrage du 27 Février, pendant que la brigade de Failly, avec le même élan et la même ardeur, se précipite sur l'ouvrage du 22 Février. Toutes deux ont un long espace à parcourir sous une pluie terrible de mousqueterie et de mitraille; la brigade de Failly surtout, prise de flanc par des feux meurtriers, traverse un terrain difficile; rien toutefois n'arrête ces deux intrépides brigades qui avancent tou

(1)

LE COLONEL DE BRANCION.

Le colonel de Brancion, que la mort avait frappé agitant le drapeau de la France sur la redoute conquise, était né en 1803. Élève de SaintCyr en 1818, sous-lieutenant en 1821, il entrait, l'année suivante, au 53° de ligne, et dans la garde royale le 28 janvier 1827, lieutenant en 1830, il rentra, par suite du licenciement de ce corps, au 18° léger. Capitaine en 1833, il passait les années 1845 et 1846 en Afrique, et les notes des généraux inspecteurs le signalaient comme un officier vigoureux et instruit. Chef de bataillon en 1845, il était lieutenantcolonel en 1851 et colonel du 50° de ligne en 1854. Ses états de service ne comptent pas de nombreuses campagnes, mais son héroïque conduite à l'attaque du mamelon Vert lègue à sa famille un beau souvenir.

Par ordre du général en chef, la redoute de Kamchatka, sur le mamelon Vert, prit le nom de redoute Brancion.

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