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jours, semant de morts la trace glorieuse de leurs pas; elles arrivent compactes, irrésistibles.

Ici la brigade Lavarande, entraînée par son jeune et bouillant général, entre par les embrasures et par les brèches de l'ouvrage qu'elle attaque avec une énergique résolution; de son côté, la brigade de Failly se jette sur la batterie ennemie; son chef lui donne l'exemple, elle escalade les parapets sous un feu terrible qui l'accueille à bout portant, et brise jusque dans l'intérieur de l'ouvrage la résistance désespérée de l'ennemi.

Les Russes, refoulés par cette impétueuse attaque, abandonnent les deux positions; nos soldats que le combat enivre, s'élancent à leur poursuite sur une batterie construite, le 2 mai, par les Russes pour défendre l'embouchure du ravin du Carénage, et enclouent les canons.

Une forte colonne russe s'avance, mais le général Mayran la voit, et lance des bataillons qui chargent à la baïonnette et font bon nombre de prisonniers; les troupes engagées sont ralliées et ramenées dans les ouvrages du 22 et du 27 Février, qu'elles occupent pour ne plus les quitter.

Il se passait dans le même moment sur l'extrême droite de cette attaque un épisode marquant : deux bataillons avaient été massés dans le ravin du Carénage, sous le commandement du lieutenant-colonel Larouy d'Orion; aussitôt que l'offensive se dessine, ce brave colonel descend rapidement le ravin et pousse en avant ses bataillons qui malgré les nombreuses dif

ficultés du terrain, gravissent les escarpements de la rive droite, et arrivent assez à temps pour couper la retraite à l'ennemi repoussé des deux premiers ouvrages. Pris ainsi à revers par ce mouvement habile et audacieux, toute résistance lui est impossible; 400 prisonniers sont en notre pouvoir, parmi lesquels on compte 12 officiers (1).

LII. Revenons en toute hâte à l'attaque principale du mamelon Vert; c'est là que les plus saisissantes péripéties se succèdent, mêlant les lugubres cris de la mort aux enthousiastes acclamations de la victoire.

L'ordre formel avait été donné de ne pas dépasser la gorge de l'ouvrage, et de s'y créer aussitôt un logement contre les tentatives et les feux de l'ennemi; mais nos soldats, n'écoutant que l'ardeur qui les entraîne, animés par leur succès, voyant les Russes abandonner en désordre la redoute du mamelon Vert, s'élancent à leur poursuite jusqu'au fossé de la batterie Malakoff, cherchant à pénétrer avec eux dans l'intérieur de ce redoutable ouvrage. Quelques-uns déjà, parmi nos héroïques soldats, ont franchi le fossé et veulent escalader les embrasures; mais tout à coup un feu roulant les décime et couvre en un instant le terrain de nos morts.

(1) Le général en chef dit dans son rapport au ministre de la guerre, en date du 11 juin :

« Ce mouvement tournant, conduit avec autant de vigueur que d'habileté, et qui nous a donné 400 prisonniers, dont 12 officiers, fait le plus grand honneur au colonel Larouy d'Orion, et mérite que je recommande particulièrement cet officier à Votre Excellence. >>

II

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Les réserves ennemies, massées en arrière, apparaissent et garnissent les remparts qui vomissent le fer et le feu.

Bientôt notre imprudente colonne est forcée de se replier devant des forces considérables qui marchent droit sur notre attaque du centre. La redoute Kamchatka ne pouvait offrir encore aucun abri contre le retour des Russes; une explosion subite l'avait encombrée de poutres, de planches, de cordages enflammés, et ce point important, si vaillamment enlevé par nos troupes, et sur lequel avait flotté l'aigle de la France, est de nouveau occupé par les Russes.

Nos bataillons, décimés et désunis, se rallient en arrière du mamelon; le 50°, qui a déjà perdu son intrépide colonel de Braucion, a vu tomber aussi son lieutenant-colonel Leblanc, vaillant soldat que le feu trouvait toujours le premier à son appel (1).

Le général Bosquet a suivi le mouvement avec une anxiété croissante; aussitôt qu'il a vu les troupes dépasser dans leur élan le but qui leur avait été assigné, il a compris la gravité de la situation. Pendant que le général Camou fait immédiatement sortir des tran

(1)

LE LIEUTENANT-COLONEL LEBLANC.

Élève de l'école spéciale militaire, le lieutenant-colonel Leblanc entra au service en 1834, toute sa carrière militaire s'est passée en Afrique, où il était resté 11 ans. Il s'était plusieurs fois brillamment distingué dans différentes expéditions, et avait été blessé en 1839. Energique, plein d'entrain, il avait, le jour du combat, sur ses soldats, l'ascendant que donne toujours l'énergie et le courage. C'est en s'élançant, un des premiers à l'attaque du mamelon Vert, qu'il fut tué à la tête de son régiment, le 50 de ligne.

chées sa 2 brigade, il envoie à la 5 division l'ordre. de se porter en toute hâte en avant, au secours de la brigade Wimpffen qui menace d'être écrasée. Cet ordre est énergiquement exécuté par le général Brunet. La 1re brigade vient occuper les parallèles en arrière du mamelon que les Russes menacent d'envahir; la 2 appuie à gauche, en profitant d'un pli de terrain qui la protége contre les feux ennemis.

Le général Vergé gravissait déjà la pente, en battant la charge et ralliait à sa brigade celle du général Wimpffen.

Ce fut un spectacle imposant et qui fit frissonner tous les cœurs, de voir ces belles troupes opérer leurs mouvements avec un ensemble calme et résolu sous le feu qui les accablait. Les nouvelles colonnes s'élancent avec un élan et une ardeur que doublent les dangers qu'elles bravent en quelques instants la terrible redoute est entourée, les parapets sont franchis, les Russes sont une seconde fois repoussés, et le général en chef voit de nouveau flotter triomphalement notre drapeau sur ce mamelon qui nous est définitivement acquis.

:

Il était sept heures et demie; à l'horizon lointain le soleil se couchait dans les flots de la mer, et éclairait cette scène de combat de ses derniers rayons.

LIII. Nos alliés s'étaient emparés, de leur côté, de la position (dite des Carrières), en avant du grand Redan, dont l'occupation complétait la ligne de défense enlevée aux Russes.

Aussitôt que les colonnes d'attaque furent sorties des tranchées françaises, les troupes anglaises, composées de détachements de la division légère et de la 2, avaient marché sur l'ouvrage des Carrières. Avec cette calme intrépidité qui les distingue, elles envahissent l'intérieur de la redoute que défendent les Russes avec une énergique ténacité; mais là, comme au mamelon Vert, comme aux redoutes de la droite, ceux-ci sont refoulés. C'était au moment où nos soldats, descendant le ravin qui sépare le bastion Malakoff de la redoute du mamelon Vert, s'élançaient follement à l'assaut de ce redoutable bastion; nos alliés ne voulurent pas rester en arrière de bravoure et d'audace imprudente, et s'élancèrent, eux aussi, sur le grand Redan, à travers un terrible feu de mitraille; mais, malheureusement, ils furent repoussés, et laissèrent sur ce terrain, qu'ils n'auraient pas dû franchir, une large ligne de morts, parmi lesquels on comptait de braves et regrettables officiers.

LIV. —Le point important, c'était de s'établir assez solidement dans les ouvrages conquis du mamelon Vert et du mont Sapoun, pour être à même de repousser les tentatives de l'ennemi pendant la nuit. Les travailleurs du génie se mettent aussitôt à l'œuvre au milieu de la fusillade et des bombes; chacun rivalise d'ardeur, d'énergie et de courage; les compagnies placées en éclaireurs protégent le travail et surveillent les mouvements des Russes dans le ravin.

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