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voie apportait la réponse; et le 30 juillet le général en chef écrivait au général Canrobert:

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« Mon cher général, j'ai fait connaître au ministre votre lettre. L'Empereur persiste dans ses intentions et modifie la forme de leur expression. J'ai reçu cette nuit la dépêche suivante, que je vous communique sans délai :

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L'Empereur ordonne au général Canrobert de venir prendre son service auprès de sa personne.

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Le général Canrobert fit ses préparatifs de départ et quitta la Crimée le 4 août.

Tous ses frères d'armes voulurent lui dire adieu et l'accompagner jusqu'à la plage. Le général Pélissier vint dans sa voiture chercher le général Canrobert, qui était depuis la veille chez le commandant supérieur du 1er corps, et tous deux se rendirent au vaisseau amiral, où l'amiral Bruat avait demandé avec instance que le général passât les derniers moments qui précédaient son départ.

A huit heures, le courrier de Constantinople approcha le vaisseau amiral, et celui qui, depuis les premiers jours de la campagne, avait partagé les fatigues, les combats et la gloire de notre vaillante armée, s'embarqua pour la France, au bruit retentissant de l'artillerie qui en signe d'honneur saluait son départ, et aux

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acclamations des soldats blessés dont était chargé le bâtiment. Par une courtoisie digne des nobles cœurs du général Pélissier et de l'amiral Bruat, le salut dû à un général en chef fut fait à l'ancien commandant supérieur de l'armée d'Orient.

LXXVII.-Maintenant que nous approchons du dénoùment de ce grand drame; maintenant que le siége a creusé tout le plateau de ses voies souterraines; maintenant que le sol est brûlant sous chacun de nos pas, que les grands événements planent, pour ainsi dire, dans le ciel, prêts à s'abattre sur les champs de bataille, notre récit, malgré nous, suit ce rapide courant; nous ne pouvons plus, comme dans les premiers pas de cette œuvre laborieuse, suivre les travaux qui se tracent et nous arrêter à chaque combat partiel. L'heure solennelle ne doit pas tarder à sonner; toutes les pensées sont incessamment tendues vers ce but qui couronnera de si persistants efforts, de si nobles dévouements, de si grands courages; mais l'avenir, ce livre fermé aux regards de tous, ne dit pas encore de quel côté la volonté de Dieu veut envoyer la victoire.

Presque chaque nuit les Russes tentent des sorties. Aujourd'hui le général Uhrich repousse sur les glacis de Malakoff plusieurs bataillons ennemis; demain ce sera le général Vinoy qui soutiendra, avec la 1re division du second corps, le choc des assaillants devenus plus audacieux encore par l'imminence du danger. — Nos

parallèles les enveloppent de tous côtés; ils sentent cette étreinte qui les enlace, et aussitôt que leurs détachements sont rentrés dans la place, l'artillerie lance à profusion des bombes et des obus qui éclatent, bondissent et tuent de tous côtés; la mort frappe au hasard, sans lutte, sans combat.... On comprend combien les troupes impatientes, lasses de ces tueries obscures, demandent l'assaut à grands cris et la lutte en plein jour.

LXXVIII.

Dans une campagne, on livre une bataille; si l'on est vainqueur, on continue sa marche, et excepté une petite portion de l'armée, ceux que le sort des combats a respectés n'ont pas le triste spectacle de tout ce sang versé, de tous ces restes à ensevelir; si l'on est vaincu, on se retire, et le champ de bataille demeure à l'ennemi. Le mouvement, l'activité, la marche, l'imprévu arrachent la pensée aux tristes et funèbres souvenirs.

Ici, le soldat est forcément rivé aux mêmes lieux, il revoit la place, où la veille sont tombés ses compagnons d'armes, il vit au milieu des morts qui se succèdent, des tombes qui se creusent, des brancards qui portent chaque jour de nouveaux et funèbres fardeaux; il voit les ambulances encombrées, il entend les plaintes des souffrances, et toujours il revient à la même place, quand l'heure a sonné, prendre sa faction, donner sa vie, affronter la mort, sans qu'un seul jour son cœur ait failli, et que l'élan, l'ardeur du combat se soient

refroidis dans ses veines. -C'est un beau spectacle donné au monde étonné, qui montre que les fortes races des temps antiques ne sont pas éteintes au cœur de la France; car cette vie de siége, qui dure depuis dix mois, cette vie souterraine, de surprises, d'embuscades, où l'on rampe, où l'on guette, est une rude épreuve pour les natures même les plus fortes et les plus résolues.

Les habiles tacticiens, les maîtres dans l'art de prendre les places étudieront cette œuvre aux proportions herculéennes; ils diront les fautes qui ont été commises, les erreurs dont ne sont pas exempts les esprits les plus intelligents et les plus éclairés; ils prendront le squelette de terre et de bronze et le disséqueront à leur manière; c'est le droit de l'avenir sur le passé; c'est le droit d'enseignement des nations et des armées; mais nous qui retraçons cette lutte persistante, infatigable, nous n'avons pas ce rôle de la critique. Si le génie s'est trompé dans les premiers pas de son audacieuse entreprise, s'il a cru lorsqu'il ne devait pas croire, si l'artillerie a eu des espérances irréalisées, et parfois une confiance en soi peut-être trop aveugle, combien de preuves de courage, de dévouement, de force persistante, n'ontils pas données tous deux ! - Quel que soit le jugement que l'on portera sur le siége en lui-même, il faudra rendre une éternelle justice à cette inébranlable fermeté qui ne s'est pas démentie, et à ce feu sacré du combat qui a lancé le dernier jour, comme le premier, nos colonnes intrépides contre des obstacles inconnus.

LXXIX.

Maintenant, il n'y a plus d'opinions di

verses, de croyances opposées, la nécessité impérieuse de la réalité réunit tous les esprits vers un seul et même but la prise de la ville par le siége direct.

L'attaque principale a été décidée contre Malakoff, parce que, cette position prise (et elle domine tout le système défensif de ce côté), Karabelnaïa tombe en entier, et, une fois Karabelnaïa tombé, la ville ne peut plus tenir. Devant les attaques de l'ancien siége, au contraire (c'est ainsi que l'on appelle nos attaques de gauche), on trouverait devant soi deux enceintes successives formidables, une étendue de terrain où peuvent se masser d'immenses réserves ennemies et des batteries nombreuses battant tous les abords; de plus, le succès sur ce point, fût-il même assuré, n'entraînerait pas la chute de toute la ligne des ouvrages russes.

Voilà ce que l'expérience acquise et les mois écoulés avaient appris, expérience chèrement payée. Des deux côtés l'entreprise était rude et hasardeuse; mais sur Malakoff, on marchait à un but plus sûr et plus réel. Les anciens projets sont entièrement bouleversés. Dans le principe, cette attaque ne devait être qu'une diversion; aujourd'hui, c'est le siége de gauche qui remplira ce rôle. Telle était la situation, telles étaient les résolutions arrêtées.

Heureusement le choléra, ce cruel visiteur, qui semble ne s'éloigner des armées, que pour revenir s'abattre sur elles avec plus de certitude, avait enfin disparu; il ne reste plus que les maladies inhérentes aux masses

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