Images de page
PDF
ePub

joindre, se mêler et se confondre dans un centre lumineux. C'était un bâtiment russe qui brûlait majestueusement dans le port. Cet incendie dura plusieurs heures.

[ocr errors]

XCIV. Au lever du jour, le feu recommence avec une énergie nouvelle; l'ennemi n'y répond que faiblement. Comme la veille, notre tir est saccadé; il s'arrête, puis reprend, tantôt lent, tantôt formidable surtout vers la gauche où le nombre de nos batteries est énorme, et les munitions plus abondantes. Les projectiles ennemis lancés à courte distance ébrèchent les parapets, déchirent les épaulements, renversent les servants au milieu du sang et de la poussière; rien n'arrête l'ardeur, l'audace, le courage de notre vaillante artillerie; on dirait que le bronze lui-même dans cette lutte terrible a l'enthousiasme du combat. -Déjà depuis longtemps les défenses de la place souffraient cruellement par la continuité de notre feu; la ville était devenue intenable, les maisons étaient traversées, les toits effondrés, de tous côtés nos boulets et nos bombes semaient la mort; les troupes, pour la plus grande partie, bivouaquaient sur les places, dans les ravins et se construisaient des abris, qui bientôt eux-mêmes étaient détruits et bouleversés (1).

(1) Les Russes empilaient leurs morts dans des chalands et les faisaient remorquer, la nuit, sur la rive nord, où on les enterrait dans d'immenses tranchées, qu'un bataillon d'infanterie était occupé à creuser, tous les jours, dans le cimetière. A la longue vue, des différents camps, on voyait, chaque jour, le cimetière s'agrandir par ce funèbre travail.

« A partir du 5 septembre, dit lui-même le prince Gortschakoff dans son rapport, l'assaillant renforça d'une manière incroyable la canonnade et le bombardement, ébranlant et détruisant nos ouvrages sur toute la ligne de défense, tantôt par des salves de toutes ses batteries, tantôt par un feu roulant d'artillerie.

« Ce feu infernal, dirigé contre les embrasures et les merlons, indiquait clairement l'intention de l'ennemi de démonter nos pièces, de détruire nos ouvrages et de donner ensuite l'assaut à la place.

« Il n'y avait plus aucune possibilité de réparer les fortifications, et l'on se borna, en conséquence, à remblayer les magasins à poudre et les blindages.

་་

« Les parapets en s'affaissant comblaient les fossés ; les merlons s'écroulaient; il fallait à chaque instant déblayer les embrasures; les servants des pièces d'artillerie périssaient en grand nombre, et l'on parvenait à peine à les remplacer.

[ocr errors]

Dans cette période, la perte fut énorme : du 5 au 8 septembre, 4 officiers supérieurs, 47 officiers subalternes et 3917 hommes furent mis hors de combat (1), »

Ces quelques lignes, que nous empruntons au général en chef de l'armée russe, démontrent clairement les ravages terribles qui se succédaient dans la ville assiégée. XCV. Évidemment l'ennemi comprenait que l'assaut définitif ne devait pas tarder à être livré; mais sans

(1) Sans compter les artilleurs tués dans les batteries.

indication certaine soit sur le jour, soit sur l'heure, il devait forcément tenir ses réserves massées à l'abri, pour ne pas les voir hachées par le feu redoutable de notre artillerie.

« Nous arrivons à la crise du siége (écrivait le 6 septembre l'aide de camp du général Pélissier, le lieutenant-colonel Cassaigne, qui devait payer de sa vie notre triomphe), la place est serrée comme dans un étau; nous sommes à pied d'œuvre; les canons anglais et nos batteries font un feu épouvantable. Dans deux jours les destins auront prononcé.

La brigade Wimpffen, détachée des lignes de la Tchernaïa, arrivait le 6, dans la matinée et prenait le service de tranchée pour donner, ainsi qu'il avait été résolu dans le plan d'attaque, une nuit de complet repos aux troupes désignées pour l'attaque générale.

L'assaut doit être donné le lendemain; cependant les chefs de corps n'ont pas encore été prévenus du jour, de l'heure et des dispositions dernières nul ne sait quelles sont les troupes qui doivent marcher et sur quels points elles seront dirigées : le feu de nos batteries fait fureur et nos munitions s'épuisent dans un tir terrible et précipité.

XCVI.

Dans l'après-midi, le général Bosquet réunit à son quartier général les généraux de division et de brigade, ainsi que les généraux du génie et de l'artillerie de son corps d'armée.

Dans cette conférence secrète, le général leur apprend

que, par ordre du général en chef, l'assaut sera donné le lendemain à midi, que toutes les forces vives de notre armée seront engagées dans cette lutte décisive; il explique clairement le plan d'attaque pour lequel chacun recevra des instructions particulières, et il engage les généraux à aller eux-mêmes étudier et reconnaitre, autant qu'ils le pourront, avant la fin du jour les points qu'ils doivent occuper, et les directions de leurs attaques. A chacun il recommande le plus profond et le plus impérieux silence, puis leur serrant la main il leur dit : « Je vous connais tous de longue date, messieurs, pour de vaillants hommes de guerre; aussi j'ai pleine et entière confiance en vous. Demain Malakoff et Sébastopol seront à nous. »

Ces paroles étaient l'écho de toutes les pensées. Combien parmi ceux qui étaient là, devaient payer de leur sang cette glorieuse conquête!

Les généraux se séparèrent la joie dans le cœur et se rendirent aux tranchées.

Les chefs d'état-major des trois colonnes accompagnés du général Frossard, d'officiers du génie et du commandant Besson, major de tranchée, allèrent marquer les emplacements sur le terrain, et en reconnaître les minutieuses dispositions. Les soldats et les officiers de service les suivaient du regard, un instinct secret disait à tous que l'heure tant attendue allait enfin sonner.

Dans la soirée le commandant Henry, sous-chef d'étatmajor du général Bosquet, porta confidentiellement aux généraux divisionnaires, ainsi qu'aux chefs de service du

génie et de l'artillerie, l'ordre du jour du général commandant le 1 corps; cet ordre devait être lu le lendemain, à 8 heures, dans chaque bataillon, au moment où les troupes se réuniraient pour aller prendre leurs positions de combat. Le commandant portait en outre des instructions relatives à la tenue des troupes; officiers et soldats devaient être en grande tenue.

La nuit fut longue d'impatience et de fièvre.

Enfin le jour se leva; un vent du nord s'engouffrait dans les ravins et mêlait ses sifflements aigus aux retentissantes détonations de notre artillerie déchaînée.

XCVII. Dans la matinée le général de Cissey, chef d'état-major du 2 corps, fit relever la brigade Wimpffen par 6 bataillons, deux par deux, qui devaient former la tête de colonne de chaque colonne d'assaut. On évitait ainsi dans les tranchées des mouvements qui auraient pu être aperçus de l'ennemi; ces bataillons ainsi disposés, n'avaient plus, au moment de l'attaque, qu'à se serrer à la tête des ouvrages qu'ils devaient franchir pour s'élancer à l'assaut.-Les officiers de l'état-major du général Bosquet, afin d'éviter toute erreur ou toute confusion, présidaient avec les états-major divisionnaires, au placement des troupes et aux dispositions de détail (1).

(1) A huit heures du matin, le génie fit jouer en avant de nos cheminements, sur le fort de Malakoff, trois fourneaux chargés ensemble de 1500 kilogrammes de poudre, afin de rompre les galeries inferieures des mineurs russes, et de rassurer nos soldats qui venaient se masser dans les tranchées sous lesquelles les déserteurs annonçaient que le sol était minė.

« PrécédentContinuer »